VISIONS DE LYCÉEN
Quand on sort de rhétorique,
Du livre et de l'encrier,
On a l'âme chimérique
Et le coeur aventurier.
On a pour nid des murs bistres,
Des galetas fabuleux,
Que les rats ont faits sinistres,
Que l'illusion fait bleus.
On n'est pas très difficile
Aux divinités qu'on voit;
Et les nymphes de Sicile
S'accoudent au bord du toit.
Puisqu'il faut que j'en convienne,
C'est vrai, souvent nous prenons
Dans le passage Vivienne
Des Margots pour des Junons.
Toute la mythologie
Vient becqueter nos taudis;-
Nous y faisons une orgie,
De ciels et de paradis.
Je rêve. Oui, la vie est sombre
Et charmante; et des clins d'yeux
M'arrivent au fond de l'ombre
Qui m'ont mis au rang des dieux.
L'extase au cinquième habite,
L'amour fait multiplier
Les rêves du cénobite
Par le front de l'écolier.
Je suis naïf au point d'être
Par moments persuadé
Que Vénus, à sa fenêtre,
M'a fait signe à Saint-Mandé.
Mon oeil sous ma boîte osseuse
Est à de tels songes prêt
Qu'à travers ma blanchisseuse
Phyllodoce m'apparaît. '
Une chemisière aimante
Vint hier dans mon grenier;
Elle portait, la charmante,
Des rayons dans son panier;
Ravi de cette descente,
Je crus que je voyais choir
Hébé, toute frémissante
D'aurore, sur mon perchoir.
Comment peindre l'air de fête
De deux yeux presque innocents?
Fraîche, elle avait sur la tête
Cette lumière, seize ans.