Nous courions dans les ravines,
Le vent dans nos cheveux bruns,
Rançonnés par les épines,
Mais payés par les parfums.
Chaque fleur, chaque broussaille,
L'une après l'autre attirait
Son beau regard, où tressaille
La lueur de la forêt.
Elle secouait leurs gouttes;
Tendre, elle les respirait,
Et semblait savoir de toutes
La moitié de leur secret.
Un beau buisson plein de roses
Et tout frissonnant d'émoi
Se fit dire mille choses
Dont j'aurais voulu pour moi.
Ému, j'en perdais la tête.
Comment se rassasier
De cette adorable fête
D'une femme et d'un rosier!
Elle encourageait les branches,
Les fontaines, les étangs
Et les fleurs rouges ou, blanches,
A nous faire un beau printemps.
Comme elle était familière
Avec les bois d'ombre emplis!
-Pardieu, disait un vieux lierre,
Je l'ai vue autrefois lys!
'VII
Quel bouquet nous composâmes!
Pour qu'il durât plus d'un jour,
Nous y mîmes de nos âmes;
La comtesse, tour à`toùr
M'offrant tout ce qui se cueille,
Jouait à me refuser
La rose ou le chèvrefeuille
Pour m'accorder le baiser.
Les ramiers et les mésanges
Nous enviaient. par moments;
Nous étions déjà des anges
Quoique pas encore amants.
Seulement, son coeur dans l'ombre
M'appelait vers son corset
Au fond de mon rêve sombre
Une alcôve frémissait.
Quoique plongés aux ivresses,
Quoique égarés et joyeux,
Quoique mêlant des caresses
Aux profonds' souffles des cieux,
Nous avions ce bonheur calme
Qui fait que le séraphin
Trouve un peu, lourde sa palme,
Et voudrait être homme enfin.
Car là-haut même,. ô mystère,
Il faut, et je vous le dis, '
Un peu de chair et de terre
Pour qu'un ciel soit paradis.
22 juin 1859.