À UN RAT
Ô rat de là-haut, tu grignottes
Dans le grenier, ton oasis,
Les Pontmartins et les Nonottes
Moisis.
Tu vas, flairant de tes moustaches
Ces vieux volumes 'qu'ont ornés
De tant d'inexprimables taches
Les nez.
Rat, tu soupes et tu déjeunes
Avec des romans refroidis,
Des vers morts, et des quatrains jeunes
Jadis.
Ô rat, tu ronges et tu songes!
Tu mâches dans tôn galetas
Les vieux dogmes et les vieux soriges
En tas.
C'est pour toi qui gaîment les fêtes
Qu'écrivent les bons Patouillets;
C'est pour toi que les gens sont bêtes
Et laids.
Rat, c'est pour toi qui les dissèques
Que les sonnets et les sermons
Disent dans les bibliothèques:
Dormons!
Pour toi, croulent les noms postiches,
Tout à bien pourrir réussit,
La rime au bout des hémistiches
Rancit.
C'est pour toi qu'en ruine tombe
L'amas difforme des grimauds;
C'est pour toi que grouille la tombe
Des mots.
C'est pour toi, rat, dans ta mansarde,
Que Garasse se fait vieillot;
Et c'est pour toi que-se lézarde
Veuillot.
La postérité, peu sensible,
Traite ainsi l'oeuvre des pédants
La nuit dessus; toi, rat paisible,
Dedans.
Le public incivil se sauve
Devant ces bouquins d'aujourd'hui
Où gît, comme au fond d'une alcôve,
L'ennui;
Toi, tu-n'as point de ces faiblesses.
On reconnaît, ô rat poli,
Au coup de dent que tu lui laisses
L'oubli.
C'est égal, je te plains; contemple
Là-bas, sous les cieux empourprés,
Le lapin dans l'immense temple
Des prés.
Il va, vient, boit l'encens, s'enivre
De rayons, de vie et d'azur,
Pendant que tu mords dans un livre
Trop mûr.
L'aurore est encore en chemise,
Que lui, debout, il se nourrit;
Sa nappe verte est toujours mise;
Il rit,
Il est le roi de la clairière;
Il contemple, point soucieux,
Tranquille, assis sur son derrière,
Les cieux.
Il fait toutes sortes de mines
A la prairie, à l'aube en feu,
Aux corolles, aux étamines,
A Dieu.
Télégraphe de l'herbe fraîche,
Ses deux pattes à chaque instant
Jettent au ciel cette dépêche:
Content!
En plein serpolet il patauge.
Vois, il est vorace et railleur.
Compare: il broute, lui, la sauge
En fleur,
L'anis, le parfum, la rosée,
Le trèfle, la menthe et le thym;
Toi, l'Ermite de la Chaussée
D'Antin.
1859.