MON JARDIN
Dans le gazon qu'au sud abrite un vert rideau,
On voit, des deux côtés d'une humble flaque d'eau
Où nagent des poissons d'or et de chrysoprase,
Deux aloès qui font très bien dans une phrase ;
Le bassin luit dans l'herbe, et semble, à ciel ouvert,
Un miroir de cristal bordé de velours vert ; _
Un lierre maigre y rate un effet de broussaille ;
Et, bric-à-brac venu d'Anet ou de Versaille,
Pris à l'antre galant de quelque nymphe Echo,
Un vase en terre cuite, en style rococo,
Dans l'eau qui tremble avec de confuses cadences,
Mire les deux serpents qui lui tiennent lieu d'anses,
Et qui jadis voyaient danser dans leur réduit
Les marquises le. jour, les dryades la nuit.
Un rayon de soleil ! une bête à bon Dieu !
Oh oui, je te comprends, printemps, tu m'insinues
Que c'est le mois des fleurs, des bois, des gorges nues,
Des billets doux ornés d'un' coeur d'où sort du feu,
Et que je pourrais voir en me penchant un peu,
Si jusqu'au bord du toit mon regard se hasarde,
Marguerite en chemise au fond de sa mansarde.
Mois de- Maïa ! Lilàs, parfums, ruisseaux, bosquets,
Marquises regardant en dessous leurs laquais !
Les êtres sont poussés au péché par les choses ;
Oh ! la douce saison que la saison des roses !
L'homme s'écrie : Amour ! et l'âne dit : hi han !
Au temps jadis, au temps du bel Esplandian
Pour être en ce moment visité dans mon bouge
Par Garlinde, j'aurais mordu dans du fer rouge,
CHARLE, .IL FAUT QUITTER L'ODE...
J'eusse été frénétique autour des voluptés,
J'aurais eu faim et soif de toutes les beautés,
Pour. la belle Euriante. ou la belle Fosseuse,
J'aurais au coin des murs cogné ma boîte osseuse,
Je me serais tué, je me serais damné ;
Aujourd'hui, peuh ! la femme ! aujourd'hui j'ai dîné.
Je resterais plus froid qu'Abeilard, le vrai sage,
Lors même que Brahma viendrait dans son nuage
M'apporter sur un lit en acajou tout neuf
Berthe aux grands pieds avec -Junon .aux yeux 'de boeuf' !
Je suis Platon au lieu d'être un drôle robuste.
Je tourne au marbre blanc "et- je deviens un buste.
C'est beau, mais assommant ; c'est fort original,
Mais très fastidieux. Nodier à l'Arsenal
M'eût juché sur un cippe entre deux bôuquins jaunes.
Que Suzon dans les prés dorme à l'ombre des aulnes,
Qu'Anna, qui ravirait un faune au pied fourchu,
Fasse en penchant la tête entr'ouvrir son fichu,
Je n'en profite pas. Je reste comme un terme.
Avril ne me fait pas frissonner l'épiderme.
A la barbe du mois de mai, je suis un sot.
Lise offre le duel, mais j'évite l'assaut. .
Le soir, sur mon grabat, en bâillant comme une huître,
Je m'étends sans daigner regarder par ma vitre
Si Vénus monte au ciel et Gretchen dans son lit.