Le sort s'est acharné sur cette créature.
C'était peu Aue cet être eût la prunelle obscure,
L'oeil éteint, le front bas, le_ cri rauque, et des noeuds
D'opprobre et de misère à ses genoux cagneux;
Qu'il fût difforme, abject, vil ; il fallait encore
Que, battu, fouetté, maigre, et marchant dès l'aurore
Sous un fardeau trop lourd pour sa force, il courbât
Son échine sàignante aux boucles de son bât.
Et cependant l'ortie, à ses pieds, sur la routé,
Liée au sol tandis qu'il va, vient, passe et broute,
Muette, ne pouvant fuir ni changer de lieu,
Tremblante sous la dent de l'âne, le croit dieu.
Et plus bas, car la brume. a *la nuit pour voisine,
Seul dans la terre aveugle et noire, sans racine,
Sans germe, sans lien avec quoi que ce soit,
Le caillou, sourd, stérile, informe, .inerte, froid,
Sent au-dessus de lui la plante frémir, vivre,
Fleurir dans la clarté dont l'infini s'enivre,
Et croître, et s'abreuver au souffle universel,
Et, dur,. triste, envieux, dit : L'ortie est au ciel !
Descends ; tu trouveras des jaloux de la pierre.
Les zones sont sans fin dans cette fondrière !
Monte; monte aussi haut que peut s'élever l'oeil;
Où l'azur t'apparaît, tu trouveras le deuil.
Vois : ce génie ayant pour épouse la grâce,
Cet être à qui la femme en souriant s'enlace,
Cet élu de la force et de la majesté,
Par l'aigle et le lion à peine contesté,
Ce front craint des serpents qui rampent sur leurs ventres,
Cet éblouissement des bêtes dans les antres,
Ce souverain de l'eau, de la terre et du feu,
Grand,-fier, obéissant pourtant à son milieu,
Pris par la pesanteur, loi de sa sphère, et chaîne
De son globe qui passe avec un' bruit de haine,
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L'homme, avec ses besoins de la chair et des sens,
Avec ses appétits du fumier renaissants,
De la honte secrète incurable piqûre,
Rappel perpétuel .à la bassesse obscure,
Avec son sang fatal, âcre et noir, dont ses moeurs,
Ses croyances, ses dieux, ses lois sont les tumeurs,
Avec le doute affreux que son regard reflète,
Et ses fièvres, ses maux, ses pleurs, et son squelette,
Spectre qui vaguement se dessine à son flanc,
Et son vil alambic d'entrailles, distillant
Le cloaque, et, hideux, souillant même la fange,
L'homme, roi pour la brute, est un forçat pour l'ange.
De là toutes vos soifs d'idéal et de beau,
Et l'aspiration des jtistes au tombeau.
Et l'ange, ce gardien des races planétaires,
Lumineux visiteur de lunes et de terres;
Comme vous d'une terre,' habitant d'un soleil,
Ayant pour vol l'éclair de son rayon vermeil,
Pour domaine l'azur qu'il échauffe, et pour borne
Le point où ce rayon s'éteint dans l'éther morne,
L'ange, errant dans vos cieux comme dans une mer,
Est lui-même la nuit, l'inférieur, l'enfer,
Pour l'immense archange ivre et ruisselant d'aurore,
Espèce d'aigle monde et d'oiseau météore !