Hé, prends ton 'microscope, imbécile ! et frémis.
Tout est le même abîme avec les mêmes ondes.
L'infiniment 'petit contient les mêmes mondes
Que l'infiniment grand. Qué vas-tu'contempler
Le ciel noir quand il plaît aux nuits de l'étoiler,
Le groupe constellé, le globe, la planète,
Orion; Sirius que ,grossit ta lunette;
L'anneàu de celui-là, les lunes de ceux-ci ? '
La fourmi' sous sa patte a des sphères aussi ;
L'intervalle que font les ailes d'une mouche
Contient tout un azur où se lève et> se couche
Un soleil invisible, éblouissant au loin -
De profonds univers qui n'ont pas de témoin:
Montez ou descendez ; tout s'ouvre sans rien clore ;
On trouve au fond d'un puits un autre puits encore ;
La limite n'est' pas dans la nature ; elle est'
Dans l'instrument grossier, dans l'organe inco'mplet ;
Votre prunelle est moins tin moyèn qu'un obstacle ;
Tu n'as' qu'à grandir l'oeil pour grandir le' spectacle ;
Le petit, c'est l'immense. En ta main, ô'passant,.
Prends la mer bleue ainsi 'qu'un vèrre grossissant,
Et, courbé sur là vie, abîme dont la lampe
Est un soleil qui brille ou bien tin ver qui rampe,
A travers l'océan regarde un puceron ;
Tu pâliras ainsi qu'Amos, Élie, Aaron,
Devant les visions de l'incompréhensible,
Et tu ne sauras pas si cet . être impossible,
Formidable, aperçu par toi confusément,
N'est pas le chaos même, horrible, en mouvement
Dans l'éther qu'il obstrue avec sa forme immonde,
Et si tu vois un monstre ou si tu vois un monde !
Oui, l'aube le matin emplit ton corridor
Des constellations de la poussière d'or ;
878 DERNIÈRE GERBE
La toile d'araignée en ses mailles nocturnes
A des. gouffres où vont et viennent des Saturnes;
Une création passe entre chaque fil;
Tout homme, le dernier, le moindre, le plus vil,
L'esclave, le forçat de Brest, le juif qui rogne
Un liard, le voleur de grand chemin, l'ivrogne,
Le grec qui triche au jeu dans un bouge aux eaux d'Aix,
Broie un astre en fermant son pouce et son index.
Il ne faut pas que l'âme humaine s'assoupisse
Au bord de l'atome, ombre, abîme, précipice ;
Homme, il n'est pas d'esprit qui, s'il se penche un peu
En bas, sur le petit, l'autre côté de Dieu,
Ne frissonne devant l'élargissement sombre
Du néant, du caché, de l'espace, du nombre !
II suffit que, demain, un ouvrier savant,
Inventant un cristal plus clair et plus vivant,
Pose sur l'inconnu des lentilles puissantes,
Pour que, si ton regard s'en approche, tu sentes
Le vertige du trou d'une aiguille, et la peur
De tomber dans ton souffle, effrayante vapeur !
Le point n'a pas de fond. Homme, l'inaccessible
Est dans le grain de sable, à jamais divisible ;
L'imperceptible est fait de la même grandeur
Que les cieux qui n'ont pas encore eu de sondeur.
Un pou dè l'infini contient en lui la somme ;
Tu serais Dieu le jour où tu pourrais, toi l'homme,
Voir le commencement et la fin d'un ciron.
Pendant qu'un maringouin sonne de son clairon,
Homme, des millions de mondes peuvent naître
Et mourir ; à l'instant où je parle peut-être,
Des peuples ignorés, vague fourmillement
Qu'un infusoire couvre ainsi qu'un firmament,
Regardent s'étoiler le ventre d'un volvoce ;
Sourds, obscurs, adorant quelque idole féroce,
Noirs, enfouis dans l'être, ensevelis dessous,
Invisibles, perdus.; et peut-être est-ce vous !