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 Victor HUGO (1802-1885) À UNE STATUE

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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) À UNE STATUE   Victor HUGO (1802-1885) À UNE STATUE Icon_minitimeJeu 29 Déc - 18:50

À UNE STATUE
Non, tu n'es pas la grande et sainte République !
Celle que l'homme attend, que l'évangile explique,
Qui se composera de tous les bons instincts
Allumés et vivants, et des mauvais, éteints ;
Qui s'enveloppera d'une paix magnifique,
Fera sortir des coeurs un .hymne séraphique,
Pénétrera les lois de lumière et de jour,
En ôtera la mort pour y mettre l.'amour,
Fera, sur les versants même les plus contraires,
Libres tous les esprits et tous les peuples frères,
Nous réchauffera tous autour du même feu,
. Sera sur tous les fronts comme un ciel toujours bleu,
Et qui, comme si Dieu, dans sa bonté profonde,
Rendait visible aux yeux la grande âme du monde,
Mettra, vaste et sublime épanouissement,
Toute l'humanité dans son rayonnement !

Tu n'es pas même, non, tu n'es pas la déesse,
La déesse terrible, étrange, vengeresse,
Qui tua le vieux monde et créa le nouveau,
Broya peuples et rois sous son fatal niveau,
Vainquit l'Europe armée, et qui, dans la fournaise,
Après quatrevingt-neuf jeta quatrevingt-treize,
Comme en son moule ardent le fondeur souverain
Mêle le plomb à l'or quand il fait de l'airain !
Non, tu n'es pas la grande et sainte République !
O fantôme à l'oeil louche, à l'attitude oblique,
Tu n'as pas su donner l'honneur à nos drapeaux,
Au peuple le travail, au pays le repos ;
Tu n'as point reconnu le droit des misérables ;
Tu n'as point su toucher à leurs maux vénérables !
Tu pouvais, en suivant un élan immortel,
De l'échafaud brisé te bâtir un autel,
Et tu ne l'as point fait. Tu n'as rien su comprendre
Au peuple qui, pour être heureux, superbe et tendre,
L'EXCÈS DE LA PITIÉ..
Ne veut qu'un peu de gloire avec un peu de pain.
Tu n'as, comme les rois, qu'un tréteau de sapin,
Et tu n'as su montrer, triomphante et rapace,
Que la voracité d'un étranger qui passe.
Tu troublas les palais sans calmer les greniers ;
Tu n'as point eu pitié des pauvres prisonniers,
Et tu n'as pas eu même un instant ,de clémence.
Tes pères, nains chétifs, qui mesuraient; démence !
La pensée à l'équerre et le coeur au compas,
T'ont faite à leur image avec ce qu'ils n'ont pas ;
Des sourds t'ont dit : entends ! des boiteux t'ont dit : marche !

La patrie est un temple et tu n'en es point l'arche ;
Car l'éclair d'en haut manque à ton code impuissant,
Car Dieu n'est pas visible où le peuple est absent !

Fille des courts instants et des heures troublées,
Éclose au dur cerveau des sombres assemblées,
Parmi les rires vains, les rumeurs,. les refus
Des sages,- et les cris dans les groupes confus,
Qui donc t'a mise ici, dans un jour d'ironie,
Près de la pierre auguste où revit le génie
°Des temps évanouis et: des peuples anciens;
Énigme dont rêvaient les sphinx égyptiens,
Sinistre et du manteau des siècles revêtue ?
Qui donc ainsi t'adosse, ô fragile statue,
A l'obélisque empreint du doigt de Sésostris ?
La pluie âpre et chassant les feuillages flétris,
Inonde le quai morne et les Champs Élysées,
Et ce pavé, témoin des royautés brisées ;
Que viens-tu faire, à. l'heure où l'automne finit,
Spectre de plâtre au pied du géant de granit ?

12 novembre 1848.
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Victor HUGO (1802-1885) À UNE STATUE
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