O peuple, noir dormeur, quand t'éveilleras-tu?
Rester couché sied mal à qui fut abattu.
Tu dors, avec ton sang sur les mains, et stigmàte
Que t'a laissé l'abjecte et dure casemate,
La marque d'une corde autour de tes poignets.
Qu'as-tu fait de ton âme, ô toi qui t'indignais!
L'empire est une cave, et toutes les espèces
De nuit te tiennent pris sous leurs brumes épaisses.
Tu dors, oubliant tout, ta grandeur, son complot,
La liberté, le droit, ces lumières d'en haut;
Tu fermes les yeux, lourd, gisant sous d'affreux voiles,
Sans souci de l'affront que tu fais aux étoiles!
Allons, remue. Allons, mets-toi sur ton séant.
Qu'on voie enfin bouger le torse du géant.
La longueur du sommeil devient ignominie.
Es-tu las? es-tu sourd? es-tu mort? Je le nie.
N'as-tu pas conscience en ton accablement
Que l'opprobre s'accroît de moment en moment?
N'entends-tu pas qu'on marche au dessus de ta tête?
Ce sont les rois. Ils font le mal. Ils sont en fête.
Tu dors sur ce fumier, toi qui fus citoyen!
Te voilà devenu bête de somme. Eh bien,
L'âne se lève, et brait; le boeuf se dresse et beugle.
Cherche donc dans la nuit puisqu'on t'a fait aveugle!
O toi qui fus si grand, debout! car il est tard.
Dans cette obscurité l'on peut mettre au hasard
La main sur de la honte ou bien sur de la gloire;
Étends le bras le long de la muraille noire;
L'inattendu dans l'ombre ici peut se cacher;
Tu parviendras peut-être à trouver, à toucher,
A saisir une épée entre tes poings funèbres,
Dans le tâtonnement farouche des ténèbres!
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, novembre 1867.