Croyez-vous donc, songeurs qui vous apitoyez
Sur l'affreux mendiant des ravins non frayés,
Sur le larron des bois, demi-nu, maigre et blême,
Que ce bandit n'est pas un despote lui-même?
Non, il est le tyran sauvage de minuit;
Il prend cette heure triste, avec elle il s'enfuit;
Il est le conquérant du sentier solitaire;
La forêt, qu'il viole en son sacré mystère,
Le regarde arriver comme Rome Attila.
Croyez-vous donc qu'il est sans flatteurs? Non, il a
Sa faim qui lui dit : Prends! sa soif qui lui dit : Tue!
La solitude, fauve et de branches vêtue,
Qui dit : Te voilà seul! voleur! te voilà roi!
Son lourd bâton ferré qui dit : Compte sur moi!
Il a ses muscles durs qui lui disent : Personne
Ne te vaut; le passant en te voyant frissonne;
Tu peux tuer un homme avec un coup de poing.
Il a sa haine au coeur qui dit : N'épargne point!
Et, troués et béants, ses vieux haillons farouches
Baisent son crime avec leurs misérables bouches,
Et, caressant sa main sanglante, et la léchant,
Lui parlent à voix basse et lui chantent ce chant :
- L'or est bon à piller, le sang est bon à boire;
Cherche l'or, cherche l'or, ô conscience noire!
Vois comme ton esprit la nuit étinceler;
Le meurtre ténébreux est fait pour s'étoiler
De sequins rayonnants, de doublons et de piastres;
C'est aux abîmes noirs qu'appartiennent les astres.