LE VOYAGEUR
Le Vieillard.
Voyageur, dont l'âge intéresse,
Quel chagrin flétrit tes beaux jours?
Le Voyageur.
Bon vieillard, plaignez ma jeunesse,
En butte aux orages des cours.
Le Vieillard.
Le sort est injuste sans doute,
Mais n'est pas toujours rigoureux.
Dieu qui m'a placé sur ta route,
Dieu t'offre un ami; sois heureux.
Le Voyageur.
Mes maux sont de tristes exemples
Du pouvoir des dieux d'ici-bas.
Bientôt le crime aura des temples;
Des palais il doit être las.
Le Vieillard.
Prends mon bras, car un long voyage
Endolorit tes pieds poudreux.
Comme toi j'errais à ton âge.
Dieu t'offre un ami; sois heureux.
Le Voyageur.
Quand j'invoquai dans la tempête
Ce dieu qu'on dit si consolant,
Les poignards levés sur ma tête
Portaient gravé son nom sanglant.
Le Vieillard.
Te voici dans mon ermitage;
Versons-nous d'un vin généreux.
Hélas! Mon fils aurait ton âge.
Dieu t'offre un ami; sois heureux.
Le Voyageur.
Non, il n'est point d'être suprême
Qui seul peuple l'immensité,
Et cet univers n'est lui-même
Qu'une grande inutilité.
Le Vieillard.
Vois ma fille, à qui ta détresse
Arrache un soupir douloureux;
Elle a consolé ma vieillesse.
Dieu t'offre un ami; sois heureux.
Le Voyageur.
Dans cette nuit profonde et triste
Ce dieu vient-il guider nos pas?
Eh! Qu'importe enfin qu'il existe,
Si pour lui nous n'existons pas?
Le Vieillard.
Voici ta couche et ta demeure:
Chasse tes rêves ténébreux.
Tiens-moi lieu du fils que je pleure.
Dieu t'offre un ami; sois heureux.
L'étranger reste; il plaît, il aime,
Et de fleurs bientôt couronné,
Époux et père, il va lui-même
Dire à plus d'un infortuné:
" le sort est injuste sans doute,
Mais n'est pas toujours rigoureux.
Dieu qui m'a placé sur ta route,
Dieu t'offre un ami; sois heureux. "