Aux Enfants.
Lorsque durant l’hiver, dans les soirs de tempêtes,
Sur l’oreiller moelleux posant vos blondes têtes,
Vous fermez vos grands yeux aux terrestres clartés,
Ne songez-vous jamais, enfants joyeux et roses,
Auxquels le ciel clément prodigue toutes choses,
A ceux qu’il a laissés seuls et déshérités?
Et tandis qu’au-dessus de votre couche blanche,
Votre mère, pensive, avec amour se penche,
Comme un ange du ciel qui veille auprès de vous.
Pensez-vous quelquefois aux enfances sans nombre
Qui n’ont pour les garder que la nuit morne et sombre
Et que le sol, au lieu de votre nid si doux?
Pensez-vous à tous ceux qui vont dans les ténèbres,
Parmi les hurlements sinistres et funèbres
Du sauvage ouragan qui vole avec fracas;
Qui n’ont pas d’autre lit que la neige et la glace,
Qui n’ont pas d’autre toit que le brumeux espace
Et dont le seul refuge est souvent le trépas?
Ne les oubliez pas, enfants, dans les prières
Que vous dites avant de clore vos paupières
Et de vous endormir d’un sommeil calme et fort!
Dieu prêtera l’oreille à vos voix argentines,
Qui s’en iront vers lui dans les sphères divines,
Comme des cygnes blancs aux grandes ailes d’or.
Il doit vous écouter bien mieux que nous, sans doute,
O petits voyageurs sur notre sombre route,
Qui connaissez encor le langage du ciel;
El sa grâce descend sur votre tête blonde,
Quand vos yeux, tout remplis d’une lueur profonde,
S’élèvent suppliants à son trône éternel.
Bevaix, 20 octobre 1881.