La Mare.
Dans le couchant aux tons d’opale
Où scintille l’éther doré,
Un nuage d’un rose pâle
Vole ainsi qu’un cygne égaré.
Le lac est comme de la moire
Sous les derniers feux du soleil;
Il reflète toute la gloire
Du ciel éclatant et vermeil.
Dans une vallée âpre et sombre
Pleine de bourbe et de marais,
Où toujours il règne un peu d’ombre,
Où le jour ne luit qu’à regrets,
Il est une mare fangeuse;
Quelques roseaux croissent au bord,
Et, sur sa rive dangereuse,
Le sol mouvant cache la mort.
Dans les eaux noires et profondes
D’où monte un miasme d’égout,
Grouillent des animaux immondes
Dont on s’écarte avec dégoût.
Rien n’éclaire ce paysage
Triste comme une aube d’hiver
Et dont seul un oiseau sauvage
Change parfois l’aspect désert.
Mais soudain, dans la transparence
De l’univers étincelant,
Un rayon de magnificence
Sur ce lieu s’abaisse en tremblant.
Et voilà qu’en cette eau fétide,
Sous ces flots noirs et croupissants,
Se mire la clarté limpide
Des espaces éblouissants.
Et c’est ainsi que dans la vie
Il n’est pas un être assez vil,
Assez plein d’astuce et d’envie,
Si lâche et si mauvais soit-il,
Qui, dans un jour béni ne puisse,
Vers l’infini levant les yeux,
Trouver un rayon de justice
Et refléter un coin des cieux.
Neuchâtel, 17 octobre 1882.