LIVRE 3
L'ombre n'est plus si noire, et la nuit moins profonde
D'un voile plus leger enveloppe le monde,
Les regards sont bornés d'un cercle moins estroit;
Et, si l'on ne voit pas, du moins l'on entrevoit.
La guerriere, en ce temps, quitte le sombre cloistre,
Et vient, avec l'aurore, à la terre paroistre;
L'eclat, qui de leurs fronts se respand à l'entour,
Fait douter qui des deux a ramené le jour.
Dunois luy vient alors, d'une ardeur enflammée,
Presenter le baston que respecte l'armée,
Et, je veux, luy dit-il, sous vos aimables loix,
Comme vostre soldat, marcher contre l'anglois.
Il eust dit, vostre amant; mais une froide crainte
Luy glace la parole, à l'aspect de la sainte,
Son esprit se confond, et troublé de sa peur
Laisse mourir ces mots, dans le fond de son coeur.
Elle prend de sa main le sceptre militaire,
Voit que le camp s'assemble, et brusle de bien faire,
Le tire hors des murs, en couvre les sillons,
Et de tous ses drappeaux forme vingt bataillons.
Elle charge des uns le genereux Saintrailles,
Si fort dans les assauts, si fier dans les batailles,
Le belliqueux Illiers, Chabanes le puissant,
Et Giresme fatal aux cornes du croissant.
À ces quatre elle joint l'adroit Sainte-Severe,
Fratames l'indonté, Canede l'insulaire,
Coulouces, Termes, Rieux, le brave Arragonnois,
Et sur tous, comme chef, l'invincible Dunois.
Des autres qu'elle a pris pour combatre avec elle,
Elle charge Gaucourt, le chevalier fidele,
Graville, dont les traits de tous sont les plus craints,
Et Puyseux Capdorat le plus beau des humains.
Elle en charge Villars, honneur de la milice,
Verduran, Chasteaubrun, Valpergue, La Palisse,
Vignoles, Deloré, Villandrade, et Corras,
Tous du corps de la France infatigables bras.
L'anglois qui de vingt forts, et de deux cens redoutes,
Avoit semé la plaine, et traversé les routes,
Dans ses divers reduits, de machines armés,
Tenoit ses estandards desormais renfermés.
D'un oeil judicieux, la celeste guerriere
En choisit deux des grands, pour l'attaque premiere,
Veut que Dunois au droit s'efforce de passer,
Et, pour elle à-l'envy, prend le gauche à forcer.
François, dit-elle alors, vostre masle courage
S'excite assés tout seul, sans l'ayde du langage,
Et, pour vous aquerir le titre de vainqueurs,
Il suffit du brasier, qui consume vos coeurs.
Allés donc à ces forts, dont la superbe enceinte,
Vous cachant les anglois, vous descouvre leur crainte,
Et pour mieux l'entreprendre, en vous-mesmes songés
Que leur camp tient encor vos remparts assiegés.
Elle leur parle ainsi, d'une voix foudroyante,
Et soudain aux deux forts l'escalade se plante;
On y fait en cent lieux cent vigoureux efforts,
Et l'ardeur est pareille, au dedans, au dehors.
À celuy de Dunois ses trouppes attachées,
Sous les dards qu'on leur jette à l'instant sont cachées,
Et tous presque, en montant, de leurs corps renversés,
Vont tapisser la vase, et remplir les fossés.
Peu des plus valeureux vers la cime s'avancent;
Les cailloux, et les traits se roulent, et se lancent,
La mort, en cent façons, vole de toutes parts,
Et le sang espanché rougit les boulevards.
Coulouces vers le haut de l'eschelle dressée,
À deux mains par Huntley, voit la hache abbaissée,
Coup sur coup sur l'eschelle il la voit delascher,
Et, grimpant contremont, espere l'empescher.
Mais le robuste anglois enfin l'ayant couppée,
Du françois courageux l'esperance est trompée;
Le guerrier et l'eschelle, en tombant à la fois,
Laissent plus d'un soldat accablé de leur poids.
Fratames remarquable en grandeur de stature,
Approchoit du sommet de la forte closture,
Et refrappant plus fort ceux qui l'avoient frappé,
Tenoit son large fer dans leurs veines trempé.
Descalles plein de trouble accourt en cette place,
Voit dequoy ce grand corps la courtine menace,
Et d'un roc, qui jadis fut la creste d'un mont,
Le fait cheoir comme mort, au lieu le plus profond.
Le françois qu'à son tour, cette infortune trouble,
S'excite à la vengeance, et sa fureur redouble,
Il redouble sa force, il redouble l'assaut,
Et tousjours rejeté, tousjours remonte en haut.
Rais, Canede, Giron, Saintrailles, Rieux et Termes,
Contre l'effort anglois demeurent les plus fermes,
Abandonnent plus tard le creneau defendu,
Et regaignent plustost l'avantage perdu.
Ainsi du vert palmier l'ambitieuse branche
À peine, sous le fer, contre terre se panche,
Qu'on la voit aussitost, d'un eslans glorieux,
Mesme avec tout son faix, remonter vers les cieux.
Durant l'aspre combat, l'invincible Pucelle
Fait, au second des forts, attaquer le rebelle;
Le courage des siens va jusques à l'excès,
Et semble luy promettre un plus heureux succés.
Au redoutable mur chaque bande s'applique,
Les uns, pour se guinder, se servent de la pique,
Les autres de la main, les autres du poignard,
Et, mesme sans eschelle, eschellent le rempart.
Mais si l'assaut est rude, aussi l'est la defense;
Aucun trait par l'anglois vainement ne se lance,
Aucun dard ne se perd; tous vont chercher le flanc,
Tous s'y font ouverture, et s'y teignent de sang.
Pour gravir au sommet, Alard et Richardelle
Se prestoient l'un à l'autre, une ayde mutüelle,
Quand un fleau, que sur eux descharge un pesant bras,
À tous deux, en tombant vient donner le trespas.
Lancosme s'avançoit, quand une fleche aigüe
Vole, et sifle vers luy, le traverse et le tüe;
Le pied manque à Chavagne, il se prend à Cussé,
Et d'un grais l'un et l'autre, en glissant, est blessé.
Vignoles, abatu d'un coup de javeline,
Voit de corps renversés une pile voisine,
Et, par cette autre voye à la cime aspirant,
D'une autre javeline en reçoit un plus grand.
Au point qu'on la retire, il la prend et l'embrasse,
Et croit, en la suyvant, monter sur la terrace;
Mais de ruse ou d'effroy l'ennemy la quitant,
Sur les siens, avec elle, il retombe à l'instant.
Rodolphe, Chasteaubrun, Verduran et Graville,
Malgré tout, vers le haut s'eslevent entre mille,
Par cent traits, par cent dards, ne sont point arrestés,
Et les anglois, par eux, craignent d'estre emportés.
Le vaillant Rameston, contre tant de vaillance,
Recueille en ce peril sa derniere puissance,
À chacun des guerriers oppose cent soldats,
Et, par force à la fin, les precipite en bas.
Ainsi lors que des mers les vapeurs orageuses
Viennent couvrir du ciel les plaines lumineuses,
Et, se haussant tousjours, d'une constante ardeur,
Du throsne des clartés offusquent la splendeur;
Le soleil eclatant, pour venger son outrage,
Avec tous ses rayons bat le sombre nüage,
Et, dontant à la fin son orgueil indonté,
Le fait recheoir en pluye, et se rend la clarté.
Mais, bien que de plusieurs la cheute soit mortelle,
Ardemment toutesfois l'assaut se renouvelle,
Leur perte les irrite, et tant d'affreuses morts
Demandent à leurs mains de plus masles efforts.
Chacun d'eux animé de douleur et de honte,
D'un mouvement rapide au boulevard remonte;
On les voit tous, en l'air, rabbatre heureusement
Les traits, dont l'ennemy les charge incessamment.
Rodolfe, entre les chefs, plus que tous se signale,
Soustient de plus d'espieux l'impression fatale,
Et, sous son grand pavois à leurs pointes caché,
Moins que tous, en montant, sent son cours empesché.
La Pucelle en tous lieux à vaincre les exhorte,
Et par ses cris ardens aux terraces les porte;
Ils y touchent par tout, et vont à cette fois
Au fort, desormais foible, asservir les anglois;
Quand, des prochains reduits, quatre bandes pressées
Aux reduits combatus viennent piques baissées,
Et la sainte et Dunois, tous deux en mesme temps,
Ont, contre leurs deux corps, deux mille combatans.
Alors, comme à l'envy l'un et l'autre s'appreste,
À prevenir l'effet de la double tempeste,
Et, tournant vers le champ le feu de leur courroux,
Delivre les remparts de la peur de leurs coups.
Plusieurs cedent d'abord à leurs regards terribles,
Plusieurs tombent d'abord sous leurs bras invincibles,
Plusieurs perdent le coeur avec le jugement,
Et peu s'osent resoudre à mourir noblement.
Stafford contre Dunois, Holland contre la sainte,
Dans l'effroy general semblent estre sans crainte,
Par gloire, ou par pudeur, ils se monstrent vaillans,
Et s'opposent au cours des deux forts assaillans.
Mais qui peut soustenir cette double puissance?
Son choc impetüeux donte leur resistance,
Et malgré la vigueur de leur bras indonté,
L'un y perd la franchise, et l'autre la clarté.
De fuyards esperdus la campagne est semée,
La guerriere les chasse, aux yeux de leur armée,
Jusques sur les fossés le guerrier les poursuit,
Et nul à leur secours ne vient de son reduit.
Le rebelle, en tous lieux, d'espouvante se glace,
Il se croit en peril, mesme dans sa terrace,
Le feu qui luy restoit à ce coup s'amortit,
Et le camp le plus grand a peur du plus petit.
Tel le rinoceros, que la terre africaine
A veu long temps regner sur sa bruslante arene,
Et, par sa corne horrible, en leurs antres profonds
Resserrer, de frayeur, elephans et dragons;
Au rugissant assaut de la fiere lionne,
Malgré sa fermeté, sent son coeur qui s'estonne,
Et, le pied glorieux devant elle laschant,
Dans sa grotte se cache, et tremble en s'y cachant.
Les trouppes sont à peine, en leurs forts rechassées,
Qu'ils retournent tous deux aux courtines laissées,
Et chacun voit les siens, des boulevards tentés,
Avec beaucoup de sang, par tout precipités.
La guerriere s'escrie, o guerriers sans courage,
Quoy! L'anglois contre vous garde son avantage,
Quoy! Par vostre foiblesse, il vous voit en ce lieu,
Rendre vain, le secours de la bonté de Dieu.
Imprudens ennemis de vostre propre gloire,
Vous laissés, vers Betford, envoler la victoire;
Ah! Remontés, soldats, et, mesprisant la mort,
Sur le corps des tyrans, suivés moy dans ce fort.
L'assaillant refroidy, tout à coup, dans son ame,
Par le feu de ces mots, sent rallumer sa flamme,
De toutes parts remonte, et par tout desormais
Supporte, sans ceder, les cailloux et les traits.
Devant les plus ardens resplendit la guerriere,
Et plus que tous s'expose à la gresle meurtriere,
Chacun, par son exemple, autant que par sa voix,
Se resout de mourir, ou de forcer l'anglois.
Il semble, en se guindant vers l'effroyable cime,
Qu'elle y tire, apres soy, le françois magnanime;
Sous elle, à droit, à gauche, ils la suyvent en haut,
Et portent aux remparts un formidable assaut.
Proche d'elle s'eleve, et doucement eclate,
Du vaillant Capdorat la beauté delicate,
Et de ses cheveux blonds les anneaux radieux,
À l'egal de son fer, esbloüissent les yeux.
Un peu plus à l'escart, le puissant Villandrade,
Le javelot en main la courtine escalade;
Les fermes eschelons se courbent sous ses pas,
Et son bras luy promet l'effet de mille bras.
L'assailly qui ne craint que celuy de la sainte,
Et de qui la valeur s'anime par la crainte,
En tous autres endroits resiste foiblement,
Et, dans cet endroit seul, combat obstinement.
Elle, de plus en plus, s'esloigne de la terre,
Et soustient, sur son dos, tout le faix de la guerre;
L'anglois tonne sur elle, et tonne à grands eclats;
Mais, bien qu'il la foudroye, il ne l'estonne pas.
Elle dissipe enfin la tempeste mortelle,
Et luit affreusement au sommet de l'eschelle,
Dans ses yeux embrasés, et dans son fer ardent,
L'estranger reconnoist son trespas evident.
Ainsi par fois en l'air une rouge comete,
Des changemens d'estat messagere müette,
Lance, d'un oeil de feu, ses menaçans regards,
Sur le coupable chef des injustes cesars.
Les tirans orgueilleux dans son aspect funeste,
Lisent avec effroy leur cheute manifeste,
Perdent toute esperance, et, maudissant leur sort,
De moment en moment n'attendent que la mort.
Mais tandis qu'à son mur la guerriere s'eleve,
Le grand Dunois au sien ne donne paix ny tréve;
Il le veut emporter, et le premier de tous
Se presente à l'attaque, et s'abandonne aux coups.
À la mercy des traits, contremont il s'elance,
Voit en vain, contre luy, renforcer la defense,
En vain, sur son armet, sent fondre mille dards,
Et touche desormais le front des boulevards;
Quand ainsi qu'un soleil, qui brusle autant qu'il brille,
Il voit, d'un oeil jaloux, la valeureuse fille,
Maistresse du reduit si long temps defendu,
Et le fier Rameston sous ses pieds estendu.
De douleur il s'escrie, ô foibles, ô timides,
Quoy! Vous tardés encore à donter ces perfides;
Et voilà cependant, que dans cet autre fort,
Par le bras d'une fille, ils endurent la mort.
Contre nous seulement ils ont de l'avantage,
Et l'ont, par nostre peur, plus que par leur courage;
Soldats jadis vaillans, ah! Forçons ce rempart;
C'est assés de malheur, de l'avoir fait si tard.
Il parle, et sa parole est aspre et vehemente,
Son eclat aux anglois donne de l'espouvante,
Ses coups les font fremir, et Descalles en vain
Oppose à ce tonnerre, et la voix, et la main.
Des creneaux, à la fin, Dunois se rend le maistre;
Nul anglois, devant luy, n'oseroit plus parestre,
Par le chemin frayé, sa bande suit ses pas,
Et remplit tout d'horreur, de fuitte, et de trespas.
L'estranger emporté, s'effraye, et se disperse,
Et pressé du françois, l'un l'autre se renverse;
Descalles cede mesme, et par Dunois poussé
Tombe, mais apres tous, dans le bas du fossé.
Il n'est plus d'ennemy qui ne fuye, ou ne meure,
Le fort aux assaillans, sans obstacle, demeure,
Le sang rebelle y coule, et les vainqueurs espars,
Dans le sang respandu, plantent leurs estandards.
La sainte fille alors, rayonnante de gloire,
À grands cris, par les siens, fait chanter la victoire;
La trouppe de Dunois, à ces cris eclatans,
Par de semblables cris, respond au mesme temps.
Ce chant, deçà delà, par trois fois se redouble;
De ces echos guerriers, l'air s'emeut et se trouble;
Mais l'orgueilleux Betford, de douleur accablé,
À ce bruit triomphant, plus que l'air est troublé.
Dans ses autres remparts la crainte le resserre,
Il semble terracé de deux coups de tonnerre,
Tout espoir l'abandonne, et sa triste raison
Pour luy, n'offre à ses sens, que mort, ou que prison.
Le jour luysoit encore, et le flambeau du monde,
Alloit, comme à regret, s'esteindre au sein de l'onde;
Dunois, sans perdre temps, veut sur les autres forts,
À la faveur du jour, employer ses efforts.
Mais des deux grands succés l'heroïne contente,
Reprime du heros la fougue impatiente,
D'un eloge obligeant tempere son refus,
Et veut au lendemain remettre le surplus.
De pics et de brandons la populace armée,
Contre les forts conquis, va de rage animée,
Et violant la paix de la tranquille nuit,
Les pille, les abat, les brusle, et les destruit.
Le vainqueur cependant repose, et prend haleine,
Mais repose en vainqueur, et loge dans la plaine;
Il a rompu ses fers, et du joug deschargé,
Repute à deshonneur d'agir en assiegé.
Assiegeant, à son tour, il dispose ses bandes,
Sur les costaux voisins, dans les voisines landes;
Et par toute l'enceinte, avec cent petits corps,
Des boulevards anglois couppe tous les abords.
Chaque corps est petit, mais sa force est puissante,
Et l'anglois renfermé, par sa crainte l'augmente;
Des boulevards gaignés l'evenement heureux
Nourrit la confiance en leur sein valeureux.
Aux postes assignés, chacun, de feux sans nombre,
Par les champs tenebreux, donne la chasse à l'ombre,
Et par tout, d'un temps mesme, en cet immense tour,
Au milieu de la nuit fait paroistre le jour.
Le feu s'esprend, s'allume, estincelle, et petille,
Sous le fer, chaque trouppe à ces lumieres brille,
Et par cent cris tonnans, meslés à ces eclairs,
Fait resonner la terre, et retentir les airs.
Le long des feux ardens, les brigades couchées,
Sur l'aride sablon, ou les herbes sechées,
Sans trouble desormais, le couteau dans la main,
Sur les vivres tranchés assouvissent leur faim.
Des vins delicieux les escumeuses ondes
Se versent coup sur coup, dans les tasses profondes,
Et prises à longs traits, par leur douce liqueur,
Resveillent les esprits, et reschauffent le coeur.
Les uns dancent en rond, en rond les autres chantent,
Ceux cy content leurs faits, les content, et les vantent,
Ceux là plus enflammés se lancent à leurs dards,
Et des timides forts menacent les remparts.
Le tremblant ennemy, du haut de ses terraces,
Voit tous leurs mouvemens, oit toutes leurs menaces,
Et palissant d'effroy, demande à sa valeur,
De reparer sa perte, et donter son malheur.
Il demande à ses bras d'employer leur puissance,
Pour garantir son chef des foudres de la France,
Et s'armant de courage, en ce pressant besoin,
N'espargne, à se munir, diligence ny soin.
Ainsi contre le choq de la mer courroucée,
Dont la plage Belgique est tousjours menacée,
La prevoyante peur y fait de toutes parts,
Construire incessamment, et digues, et remparts.
Entre tant de grands forts, qu'occupent les rebelles,
Aucun n'est comparable au grand fort des Tournelles;
Il est vaste d'enclos, il est haut elevé,
Et son pied, tout autour, par la Loire est lavé.
Mais, vers deux des costés de la superbe masse,
La bruslante saison rend la riviere basse,
Et sans moüiller les flancs, au midy comme au nord,
Du rivage opposite on peut aller au fort.
Le general anglois de sa nombreuse armée,
Là, pour vaincre, ou mourir, tient l'elite enfermée,
Et, sur ce beau theatre, aspire à faire voir
Ce que peut la vaillance unie au desespoir.
La sainte, aux premiers rais de la vermeille aurore
Se tourne vers les cieux, leur assistance implore,
Puis se monstre à son camp, et de ses bataillons
Couvre, au son des tambours, les arides sablons.
Alors pleine de feu; compagnons, leur dit-elle,
Achevés de punir cette race infidelle,
Achevés d'affranchir la fidelle cité,
Du joug insuportable à ses murs appresté.
Qu'au grand fort, à grands pas, chacun de vous s'avance;
Je voy d'icy l'anglois, qui tremble, et qui balance;
Marchés, courés, volés, et n'aprehendés rien;
Il se defendra mal, si vous l'attaqués bien;
Sa voix est foudroyante, et les claires trompettes
Semblent estre aupres d'elle, ou foibles, ou müettes;
On marche, on court, on vole, et, d'une et d'autre part,
On traverse les gués, on monte au boulevard.
L'estranger, accueilly de ce funeste orage,
En repousse l'effort d'un semblable courage,
Le françois et l'anglois egalement boüillans,
Sont tous deux assaillis, et tous deux assaillans.
Dunois vers le midy ses brigades anime,
Et presente à leurs coeurs la perilleuse cime;
Mille morts à la fois partent de mille bras,
Et du comble tenté rejettent les soldats.
Rassan perit d'un trait, et Valin d'une hache;
Un roc tombe sur l'isle, et de son poids l'ecache,
Laigues par une fleche, et Morges par un dard,
Perdent avec le jour le sommet du rempart.
De tant de sang versé, l'onde au dessous est teinte;
Chabanes, de douleur se sentant l'ame atteinte,
Pour venger ses amis son eschelle dressant,
Vers l'horrible creneau s'eleve en menaçant;
Quand de trois lourds marteaux la sonnante tempeste,
Par l'effort de trois bras vient fondre sur sa teste;
Il resistoit aux deux, mais au troisiesme enfin,
Il perd la connoissance, et cede à son destin.
Termes, qui de Betford meditoit la ruïne,
Trebusche, en l'approchant, sous une javeline,
Et Rieux, plus haut encor vers la cime avancé,
Par une demypique, est sur luy renversé.
Canede le dernier, dans l'attaque terrible,
Entre mille vaincus sembloit estre invincible,
Et, bien que mille traits l'atteignissent d'enhaut,
D'un pas moins resolu, n'alloit pas à l'assaut.
Alors un fleau bruyant, qu'un bras nerveux desserre,
Le mesure, l'atteint, et le porte par terre;
Par le fleau tournoyant, il est pris en travers,
Et, loin des premiers cheus, s'en va cheoir à l'envers.
Il n'est rien cependant, qui leur valeur rebute,
Rien n'allentit leur cours, ny blessure, ny cheute;
Tous tendent à la palme, et veulent, dans le fort,
L'aller mesme cueillir aux despens de leur mort.
Le prince impetüeux, parmy les siens se mesle,
Et, plus que tous, s'expose à la mortelle gresle;
Son armet en resonne, et les coups violens
Tirent de son escu des feux estincelans.
Aucun d'eux ne l'abat, aucun d'eux ne l'arreste;
Il s'eleve tousjours, malgré l'aspre tempeste,
Estonne, et fait blesmir le nombreux defenseur,
Et va du boulevard se rendre possesseur;
Lors qu'un enorme grais, poussé de la terrace,
Luy roule sur le dos, et l'eschelle fracasse;
Le fort, par ce tonnerre, à son bras est ravy;
Il tombe, et de cent dards en tombant est suyvi.
Soudain, à la vengeance, il s'appreste, et s'excite;
La perte du rempart plus que son mal l'irrite,
Et, bien qu'il ait le corps en plus d'un lieu froissé,
Il retourne plus fier à l'ennemy laissé.
Ainsy quand un aspic, dans la plage enflammée,
D'un ongle d'elephant sent sa gorge entamée,
Et que de sa blessure il voit, à gros boüillons,
Jalir un sang fumeux, sur les jaunes sillons.
Si le coup l'affoiblit, la douleur le ranime,
Contre son ennemy son fiel se renvenime;
Il se redresse en l'air, il sifle avec horreur,
Et, par sa triple langue, exprime sa fureur.
La sainte en mesme temps, d'une ardeur vehemente,
Au nord du boulevard l'escalade presente;
Elle brille entre tous, et ses yeux flamboyans
Attirent, sur son chef, cent rochers foudroyans.
Mille soldats choisis, trente pour chaque eschelle,
Sur le bois ondoyant se guindent avec elle;
Un orage mortel se descharge sur eux,
Et souvent un seul dard fait plus d'un malheureux.
Bidache et Senarpont, d'une fougue empressée,
Montoient l'un apres l'autre, à l'eschelle dressée;
Un javelot lancé par un robuste bras,
Les perce l'un et l'autre, et les livre au trespas.
Alain, qui voit leur cheute, adroittement se cache,
Sous le solide acier d'une grande rondache,
Et volant contremont, par le metal espais,
Du brave defenseur rebouche tous les traits.
Mais de bois enlacés une vaste machine,
Par l'effort de cent mains, luy fondant sur l'eschine,
Il se couvre, sans fruit, de son large pavois;
La machine, en tombant, l'ecrase sous son poids.
Argilmont approchoit la formidable cime,
Quand d'une faux aigüe il devient la victime;
Atteint par le gosier, il prend un rude saut,
Et fait, en trebuchant, trebucher Concressaut.
Umbert reçoit au ventre une profonde playe,
Ossemont à la gorge, à la teste Canaye,
Au genou Roquepine, à la hanche Barrain,
À la cuisse Nargonne, et Vandenesse au rein.
Rodolphe, qui sur tous au peril s'abandonne,
S'avance plus qu'aucun, et moins qu'aucun s'estonne,
Et, tout armé qu'il est, verse un fleuve de sang,
De la temple, du front, de l'espaule, et du flanc.
Le sort n'espargne rien, et la sainte guerriere
Estoit seule eschapée à la gresle meurtriere,
Elle touchoit au comble, et, dans le vaste fort,
D'une main triomphante, alloit prendre Betford;
Lors qu'au fond des bas lieux, le prince des tenebres,
Entre les pleurs amers, et les accens funebres,
Dans sa grotte embrasée, au milieu de sa nuit,
Sceut l'estat où l'anglois, par elle, estoit reduit.
De tout temps le demon, en son ame inhumaine,
Nourrissoit pour la France une implacable haine,
Ayant veu, tant de fois, ses projets inhumains,
À son grand deshonneur, par elle, rendus vains;
De l'effroyable hun les drapeaux mis en fuitte,
Du nombreux sarrazin la puissance destruitte,
Du profane lombard le regne aneanty,
Du saxon revolté l'orgueil assujetty,
Sur le fier musulman Solyme reconquise,
L'albigeois egaré reconduit à l'eglise,
Enfin malgré les flots, les escueils, et les vens,
Le more attaqué mesme en ses sables mouvans.
Mais outre tant d'affronts, dont, sur l'illustre France,
Son empire abatu luy demande vengeance,
Si rien fait qu'il en vueille estre persecuteur,
C'est de voir que Michel en est le protecteur.
Sa rage le transporte, autant de fois qu'il pense
Au coup desmesuré qu'il receut de sa lance,
Quand des cieux assaillis dans l'abysme jetté,
Il perdit, pour jamais, la gloire et la clarté.
Le poids d'un si grand coup incessamment l'oppresse,
Ce Michel, cette France, à luy s'offrent sans cesse,
Et d'un fiel embrasé luy remplissent le coeur,
Contre son ennemie, et contre son vainqueur;
Mais sa mortelle rage, et sa haine immortelle,
Ne pouvant rien sur luy, se deschargent sur elle.
À ces vieux aiguillons un nouveau succedant,
Ne fait qu'aigrir le fiel de son courroux ardent.
Dans la centiesme année un prince d'Angleterre,
Declarant à l'eglise une sanglante guerre,
Doit alterer son culte, et, vray monstre d'horreur,
En infecter le sein de licence et d'erreur.
Satan qui de ce mal flate sa frenaisie,
Et qui voit cette porte ouverte à l'heresie,
Par ce malin espoir ses douleurs consolant,
En esprouve l'acces un peu moins violent.
Comme des anglois seuls il attend toute chose,
Selon leurs interests ses desseins il dispose,
Il seconde leurs voeux, il soulage leurs soins,
Il espouse leur cause, et veille à leurs besoins.
Des peuples souslevez la faveur ondoyante,
Par les traits de son art, pour eux devient constante,
Et ce mesme art pour eux, fait, et princes, et grands,
Du monarque françois rebelles et tyrans.
Pour eux, pour leur fortune, il est tousjours en crainte,
Aussi, voyant leur chef succomber sous la sainte,
Dans le mesme moment, pour le sauver des fers,
Des demons les plus forts il prive les enfers.
Entre les legions qu'arme la noire plage,
Sur toutes une excelle, en grandeur de courage;
Pour garde il la choisit, et, de pres l'animant,
La rend de ses fureurs l'ordinaire instrument.
Va, luy dit le demon, va fidelle milice,
Garantir mes anglois du fatal precipice,
Va destourner le coup du fer victorieux,
Que leur tient sur le front la guerriere des cieux.
L'estat où je les voy, des estats est pire,
De leur salut depend l'honneur de mon empire,
J'ay pour ce rare exploit destiné ta valeur;
Va pronte, et de leur sort repare le malheur.
La bande, à ce discours, se respand sur la terre,
Et vient mesler sa rage à celle de la guerre;
L'air en est agité, le soleil en paslit,
Et la Loire s'en trouble, au plus bas de son lit.
Dans son dernier instant Betford sent leur venüe,
Et se sent assisté d'une force inconnüe;
Ils passent dans son sein, ils passent dans son bras,
Et luy font de la fille esperer le trespas.
Du fort imperieux elle tenoit la cime,
Et le faisoit trembler sous son bras magnanime,
Quand d'un bras animé par les monstres d'enfer,
Contre elle, avec grand bruit, il darde son grand fer.
C'est ainsi que l'on voit l'impetüeuse foudre
Tomber du firmament, reduire tout en poudre,
Et dans tous les endroits où son trait a passé,
Laisser d'affreux tesmoins du bras qui l'a lancé.
Vers où l'espaule gauche à la gorge est conjointe,
Le sacrilege fer, de sa mortelle pointe,
Le bouclier, la cuirasse, et le col entamant,
Se fait jour par le dos, et fuit rouge et fumant.
D'une atteinte si rude, estourdie, esbranlée,
Elle voit de ses mains la victoire ecoulée;
Les anglois, les demons contens et furieux,
D'espouvantables cris font retentir les cieux.
À l'eclat, au fracas de ce nouveau tonnerre,
Le françois sent son coeur, qui se glace et se serre,
Il croit la sainte morte, et pleurant son trespas,
Du rempart assailly se retire à grands pas.
Seule, bien que le sang de ses veines ruisselle,
Elle tient ferme encor au faiste de l'eschelle,
Et, r'assurant les siens dans leur estonnement,
En ces termes leur parle, et d'un ton vehement.
Quoy! Valeureux guerriers, quoy! Dans vostre avantage,
Un peu de sang perdu vous fait perdre courage;
Pour moy, je le repute à supreme bonheur,
Et, dans ce petit mal, je trouve un grand honneur.
Le succés, bien qu'heureux, n'eust eu rien d'honnorable,
Si le ciel n'eust permis un coup si favorable;
Vous n'en verrés pas moins vos bras victorieux,
J'en verray seulement mon nom plus glorieux.
Elle est en ce moment de cent fleches couverte,
Et desormais aucun ne doute de sa perte;
Des fleches toutesfois aucune ne l'atteint,
Ou du moins, l'atteignant, de son sang ne se teint.
Mais la force la quitte, et l'oblige à descendre;
Sa grande ame y repugne, et voudroit s'en defendre;
Il le faut, elle cede, et crie à haute voix;
Reçoy de mon retour ce noble gage, anglois,
Retiens le. Et sur ce mot recueillant sa puissance,
Haut, dans le sein de l'air, son enseigne elle lance;
L'enseigne vers les cieux, s'eleve avec effort,
Puis se va replanter dans le milieu du fort.
La sainte aux siens se tourne et, nous verrons, dit-elle,
Qui la possedera, de nous, ou du rebelle;
Nous verrons qui de nous la laissera perir,
Et si je seray seule à l'aller requerir.
Depite elle descend, et, non loin de l'eschelle,
Descouvre au medecin sa blessure mortelle;
Il voit, en la sondant, que le coup brise l'os,
S'en estonne, la pense, et l'exhorte au repos.
Chacun, ainsi que luy, l'exhorte à la retraitte,
Mais de tous constamment l'avis elle rejette,
Du perilleux assaut promet un bon succes,
Et de son cuisant mal dissimule l'exces.
Dunois qui dans son poste, à ce poste opposite,
Pressoit des ennemis la belliqueuse elite,
Du coup de la guerriere entend le triste bruit,
Et sent couvrir ses yeux d'une ombrageuse nuit.
De douleur il souspire, et devient froid et pasle,
Son coeur se sent percé de l'atteinte fatale,
Et pour se maintenir, sans en estre abatu,
Se trouve avoir besoin de toute sa vertu.
Sur ses pieds chancelans à peine il se rassure,
Et l'esprit tout remply de l'horrible blessure,
Il ne songe d'abord qu'à luy donner secours,
Et, sans deliberer, y va d'un viste cours.
Vers elle il prend sa course, et ses armes appreste;
Mais, il n'est gueres loin, que sa course il arreste;
L'honneur retient ses pas, qu'avoit poussés l'amour,
Luy monstre la courtine, et l'invite au retour.
Un trouble violent s'eleve dans son ame;
Son devoir est contraire au dessein de sa flamme;
L'un et l'autre, un grand temps, contestent de pouvoir,
Enfin la flamme cede, et fait place au devoir.
Dure loy, dit le prince, en retournant aux bandes,
Qui de ma passion la tendresse gourmandes,
Et qui me rens barbare envers le saint objet,
Par qui du sceptre anglois je ne suis point sujet.
Aux despens de mon coeur, he! Bien fois satisfaitte,
Contente ton desir, dans ma lasche retraitte,
Pour plaire à ta rigueur je consens d'estre ingrat,
D'estre mauvais amant, pour estre bon soldat.
Malgré toy toutesfois, inhumaine contrainte,
Ma vaillante douleur combatra pour la sainte,
Et mon bras dans le sang fera les corps nager,
Sinon pour la sauver, au moins pour la venger;
Je plongeray ce dard au sein du parricide.
Aux remparts, à ce mot, il va d'un cours rapide,
Les siens il y remeine, et l'anglois plein d'horreur,
Tremble au terrible aspect de leur noble fureur.
Cependant le treshaut contemplant sa guerriere,
Et voyant de ses yeux obscurcir la lumiere,
Plustost que de laisser le saint oeuvre imparfait,
Luy veut d'un saint secours faire sentir l'effet.
Aux jardins estoillés, dont les fleurs et les plantes
Ont le suc salutaire, et les füeilles brillantes,
Sur toutes une luit, qui, pleine de vertu,
N'a jamais sans victoire aucun mal combatu.
Le peuple aymé des cieux, à l'antique monarque,
Dont les jours n'attendoient que le fer de la Parque,
Vit jadis cette fleur, dans les champs palestins,
De trois lustres entiers prolonger les destins.
Son bouton est vestu d'une pourpre enflammée,
Qui, sans nombre à l'entour, d'astres d'or est semée;
Sa tige est haute et droitte, et d'un azur changeant,
Qui traisne en serpenteaux ses racines d'argent.
D'une tendre emeraude, en lames divisée,
La merveilleuse plante à sa fleur composée,
Et, sans s'espanoüir, cette puissante fleur
Tient sa force cachée aux replis de son coeur.
Par le vouloir divin, un des anges la cueille;
Il presse entre les doigts sa verdoyante feüille,
Et, pour remede unique au mal qu'a fait le trait,
En tire un lait plus doux que le terrestre lait.
L'ange avec la liqueur, d'une cheute soudaine,
Vient où la fille souffre une cuysante peine,
Et, dans son coup mortel, sans paroistre à ses yeux,
Verse insensiblement ce baume precieux.
L'efficace pouvoir de ce nouveau dictame,
De la brulante playe oste toute la flamme,
Chasse tout le venin, et, ses bords unissant,
Rend la force premiere à son bras languissant.
Elle se sent guerie, et du secours celeste
Voit, dans sa guerison, la preuve manifeste,
Benit le souverain, adore ses bontés,
Et retourne aux anglois à pas precipités.
Contre eux elle s'excite, et, doublant sa vaillance,
Au boulevard quité rapidement s'eslance;
Les françois sur ses pas y vont rapidement;
Betford plus que jamais en craint l'evenement.
Mais contre les demons, dont la trouppe invisible
Rend le haut du rempart à tous inaccessible,
L'ange, qui se voit seul, en ce besoin pressant,
Pour n'y pas succomber, recourt au tout-puissant.
L'enfer, s'escria-t-il, ô majesté divine,
Des perfides anglois ne veut point la rüine,
Il borde de leurs murs, et le front, et le flanc,
Et des françois par tout a respandu le sang.
Contre sa violence, et contre sa malice,
À nos foibles efforts joins ceux de ta milice,
Et, par tes esprits saints, dans les feux eternels,
Vueille precipiter les esprits criminels.
Dieu voit le grand peril, accorde sa demande,
Et de soldats ailés fait partir une bande,
Uriel la conduit, et tombe, en un moment,
Du ciel le plus sublime au plus bas element.
Il fond, avec les siens, sur la trouppe infernale;
En valeur, en fureur, là chacun se signale;
Les anges, les demons, d'un foudroyant eclat,
Sur le mur combatu, font un aspre combat.
Deux nüages de feu, l'un clair, et l'autre sombre,
Semblent faire heurter la clarté contre l'ombre,
On voit leurs tourbillons l'un vers l'autre voler,
Et de leur choq ardent la flamme estinceler.
Tantost l'un, tantost l'autre, en egale balance,
Dans la plaine des airs, ou recule, ou s'avance,
Tantost, d'egale force à-l'envy se poussans,
Ils font, pour s'esbransler, des efforts impuissans.
Mais enfin, tout à coup, le tenebreux nüage
Au nüage brillant laisse prendre avantage;
On le voit entr'ouvert, on le voit enfoncé,
On le voit, en cent parts, en cent lieux, dispersé.
Sur ce temps l'esprit saint, garde de la guerriere,
Luy leve le bandeau, qui voiloit sa paupiere,
Et luy descouvre à nu les escadrons d'enfer
Escartés loin du fort, par l'angelique fer.
Il luy descouvre à nu, dans l'horrible bataille,
Les saints qui d'Orleans protegent la muraille,
Saint Agnan, Saint Euvert, qui de leurs saints bastons,
Des anges à-l'envy, poursuyvent les demons.
Cet objet la surprend, et d'aise la transporte;
Il luy hausse le coeur, et rend sa main plus forte;
Elle crie; ô françois, l'enfer est terracé,
Le ciel veut à ce coup que l'anglois soit forcé.
Donnons; et de furie en parlant elle donne;
Le françois donne alors; le rebelle s'estonne,
Et, comme si l'effroy l'avoit rendu perclus,
Il demeure immobile, et ne resiste plus.
Ainsi quand l'onde emeüe est la plus aboyante,
Le hardy nautonnier monstre une ame constante,
Et long-temps, par soy-mesme, et par ses matelots,
Reprime adroittement l'insolence des flots.
Mais si malgré son art, et malgré son courage,
En fin tombe sur luy la vague du naufrage,
À l'aspect de la mort, qu'il ne peut eviter,
Contre le flot vainqueur il cesse de lutter.
Durant ces hauts exploits le renommé Giresme,
Terreur de l'othoman, et son horreur extreme,
Pour aller à l'assaut du rempart orgueilleux,
Avoit pris entre tous un chemin perilleux.
À la teste des siens, sous des armes dorées,
De mille blanches croix couvertes et parées,
Il court au boulevard, un long trait à la main,
Et se prepare à faire un acte plus qu'humain.
La grande croix d'argent, sur sa rondache emprainte,
Ebloüit le rebelle, et le remplit de crainte;
L'infidelle en cent lieux devant elle a tremblé,
En ce lieu le chrestien devant elle est troublé.
Le pont, par qui le fort se joignoit à la ville,
N'estoit plus sur les eaux qu'une masse inutile,
Depuis que l'assiegeant, resserrant l'assiegé,
L'eut pour son assurance à le rompre obligé.
Par là le grand guerrier son attaque medite,
La grandeur du peril sa vertu sollicite,
Il y va plein d'ardeur, d'un cours precipité,
Vient à l'arche rompüe, et s'y trouve arresté.
Le vuide en est, à l'oeil, de largeur excessive,
Il veut pourtant rejoindre et l'une et l'autre rive,
Et d'une estroitte planche, aussi-tost vif et pront,
Sur le pont demoly, fabrique un autre pont.
Avec peine et danger, il fournit cet ouvrage,
Avec peine et danger, il s'en fait un passage;
La planche, sous ses pieds, semble rompre à tous coups,
Et luy monstre la Loire, et la mort au dessous.
Toutesfois, sans frayeur, d'un pied ferme il y passe,
Et suyvi de sa trouppe avance à la terrace;
Il y monte, et remarque, avec estonnement,
Que l'anglois à son choq s'oppose laschement.
Entre le haut des cieux, et le bas de la terre,
Dans la plaine estendüe où regne le tonnerre,
Habite la terreur, qui par cent froides mains,
Serre et glace les coeurs des malheureux humains.
On connoist sa nature, et non son origine;
Le ciel se l'attribüe, et la nomme divine;
L'enfer s'en dit le pere, et croit devoir ce fruit
À l'effroyable sein de l'eternelle nuit.
Elle a, comme le corps, les deux ailes couvertes
De bouches aux clameurs incessamment ouvertes,
Et darde pres et loin, par cent ressorts divers,
Cent visages hideux, et cent goziers ouverts.
D'un mouvement rapide elle vole, et revole,
Du levant au couchant, de l'un à l'autre pole,
S'accommode, sans peine, aux changemens du sort,
Et se range tousjours au party du plus fort.
Sur le dernier instant que la bande celeste
Donnoit à l'infernale une chasse funeste,
La volage terreur vint dans le vaste fort,
En faveur du françois, intimider Betford.
Elle estouffe en son coeur tout ce qu'il a de flamme,
D'affreuses visions elle agite son ame,
Et luy feint, et Giresme, et la sainte, et Dunois,
Avec cinquante dards, et cinquante pavois.
À ses regards douteux elle peint, et figure
Chacun des assaillans immense de stature,
Les figure chacun de deux masses armé,
Envenimé de haine, et de sang affamé.
Ainsi dans sa fureur, par son crime excitée,
Sur le haut Citheron, le fabuleux Penthée
Voyoit, ou pensoit voir, de ses farouches yeux,
Et deux Thebes en terre, et deux soleils aux cieux.
Chacun de ses soldats, non moins que luy, se trouble;
À leur sens egaré le françois se redouble;
Ils luy cedent par tout, se confessent vaincus,
Laissent tomber leurs traits, et jettent leurs escus.
La guerriere, Dunois, et le brave Giresme,
Se lancent dans le fort, d'une vigueur extreme,
Saintrailles, Chasteaubrun, Villandrade et Flavy,
D'une extreme vigueur s'y lancent à-l'envy.
Là se fait du rebelle un horrible carnage,
Le sang s'y verse à flots, les corps y vont à nage,
Et le fer alteré s'y voit, avec plaisir,
Dans un rouge ocean estancher son desir.
Betford, à la faveur d'une obscure poussiere,
Sur le pont abaissé traverse la riviere,
Et, dans l'un de ses forts se tenant resserré,
Là mesme, du vainqueur se croit mal assuré.
Plusieurs suyvent ses pas, et se sauvent en foule,
La crainte, vers le pont, l'un sur l'autre les roule,
Le genereux Talbot, et le fier Glacidas
Pensent, mais vainement, retenir leurs soldats.
La terreur les poursuit de mille ombres funestes,
Et pousse vers ce lieu leurs miserables restes;
Par un chemin estroit, tous veulent, à la fois,
Eviter la rigueur des armes du françois.
Mais se voulant couvrir de cette aspre tempeste,
La haste les retarde, et l'ardeur les arreste;
D'un effort inutile, ils s'empressent tousjours,
Et tousjours, par la presse, embarassent leurs cours.
Ainsi d'un grand vaisseau, de petite ouverture,
La liqueur renversée au passage murmure,
Et ne sçauroit sortir, pour se trop empresser,
Lors que, tout à la fois, on tasche à la verser.
La foule, en cet endroit, de plus en plus s'augmente,
Et desormais le pont l'esprouve trop pesante,
Il gemit, il eclate, et, dans le fond de l'eau,
Precipite avec luy son enorme fardeau.
L'infortuné rebelle, en sa cheute effroyable,
Pousse un cry, jusqu'aux cieux, horrible et pitoyable;
Chacun tombe, et tombant voit l'infaillible mort,
Lasches et courageux, tous ont le mesme sort.
Le fleuve les reçoit dans ses grottes profondes,
Et, plus haut que le fort, fait rejalir les ondes;
Il blanchit tout d'escume, et roulant, à grand bruit,
Vers l'un et l'autre bord, se rejette et s'enfuit.
Dans cette deplorable et terrible avanture,
Mille anglois sous les eaux trouvent leur sepulture,
Et là, confusement, demeurent entassés
Les foibles et les forts, les sains et les blessés.
Toy-mesme, ô Glacidas, toy par qui l'Angleterre
Avoit creu remporter le prix de cette guerre,
En ce triste accident, vaincu, mais non troublé,
Des rüines du pont tu te vis accablé.
De tant de corps meurtris la Loire ensanglantée,
Aux maritimes flots courut espouvantée,
Et, leur communiquant sa nouvelle couleur,
Du superbe estranger leur apprit le malheur.
Talbot seul, entre tous, dans l'injure commune,
À respecter sa teste obligea la fortune,
Et du pont et des siens pesle-mesle chargé,
Sous les vagues pourtant ne fut pas submergé.
Il tomba, mais tout droit, et du gouffre de l'onde
À peine eut des deux pieds touché la vase immonde,
Qu'au dessus, à l'instant, d'un eslans vigoureux,
On le vit reparoistre, ardent et valeureux.
De l'une de ses mains il tient son cimeterre,
De l'autre il fend les eaux, et s'eslance à la terre,
Et, bien qu'il soit suyvi d'un orage de dards,
Sur le rivage enfin triomphe des hazards.
Au boulevard conquis alors tournant la veüe,
De colere et de rage il sent son ame emeüe,
Menace le françois de cent crüels trespas,
Et vers les autres forts dresse ses tristes pas.
Mais pour dernier malheur, il voit de son armée,
La colline couverte, et la plaine semée,
Il voit ses bataillons de frayeur esperdus,
Il les voit esbranslés, il les voit confondus.
L'invincible terreur, au grand fort dominante,
Avoit de là, par tout, jetté son espouvante,
Et, par l'augure affreux de mille dures morts,
De son plus froid venin remply les autres forts.
Par cent griffes d'acier, par cent secousses fortes,
Elle en avoit brisé les remparts et les portes,
Et, par cent foüets sonnans, des rebelles chassés,
Avoit, aux champs voisins, les drappeaux dispersés.
Talbot vient sur ce temps, et le monstre effroyable
Vole soudain vers luy, mais visible et palpable,
Se lance dans ses yeux, s'empare de son sein,
Et l'oblige par force à changer de dessein.
Malgré luy son grand coeur, à ce coup, l'abandonne,
Il craint, et de sa crainte il a honte, et s'estonne,
Il ne prend pas la fuitte, et toutesfois il suit
Le soldat, qui de peur, se desbande, et s'enfuit.
Ainsi, quand sous les murs de la vieille Carthage,
Les ardens lionceaux s'exercent au carnage,
Si le more vaillant, de fleches et de dards
Les charge, et les contraint d'esloigner ses remparts;
La superbe lionne, au mesme estat reduitte,
Devant le fier chasseur, fait une lente fuitte,
À chaque pas s'arreste, et d'un noble courroux
Monstre qu'elle craint plus la fuitte que les coups.
Mais parmy tout l'eclat de sa haute victoire,
La sainte voit manquer quelque chose à sa gloire,
Et du milieu des morts tirant son estandard,
Songe à finir la guerre, et sort du boulevard.
Le soleil, affoibly d'ardeur et de lumiere,
Languissoit desormais au bout de sa carriere,
Precipitoit son cours vers le bas horizon,
Et s'alloit renfermer dans sa moite prison.
Il restoit peu de jour, mais la fille celeste
Veut destruire Betford dans le jour qui luy reste,
Traverse le grand fleuve, avec le fort Dunois,
Et chacun d'eux s'anime à de nouveaux exploits.
Ils couroient aux reduits vuides et sans defense,
Et preparoient contre eux une vaine vaillance,
Quand, de soldats anglois et d'anglois estandards,
Ils descouvrent les champs couverts de toutes parts.
Tous deux à cet objet sont transportés de joye,
Et, comme deux aiglons qui descouvrent leur proye,
Au vaste sein de l'air, loin de l'abry des bois;
Tous deux prennent leur course, et fondent sur l'anglois.
Mais les tristes demons, au bruit de la tempeste,
Qui gronde sur Betford et menace sa teste,
Ne pouvant se resoudre à le laisser perir,
Pour la seconde fois, le viennent secourir.
Des plus sombres vapeurs de l'infernale plage,
Ils forment à l'instant un tenebreux nüage,
Et, de son espaisseur environnant Betford,
Le cachent à la sainte, et l'ostent à la mort.
Elle veut toutesfois poursuyvre sa victoire,
Et s'elançant d'ardeur, où l'ombre est la plus noire,
Eclate, brille, et semble un soleil qui reluit,
Et qui chasse, à longs traits, les horreurs de la nuit.
Desja par ses efforts la nüe estoit percée,
Et sur les derniers rangs la charge commencée;
La sainte avoit desja le grand bras desployé,
Et Betford estoit prest d'en estre foudroyé;
Lors qu'apres la nuit fausse, une nuit veritable
Vint aux fuyards tremblans se monstrer secourable;
Si son voile eust plus tard le monde envelopé,
Du fer victorieux nul ne fust eschapé.
Qui deçà, qui delà, sans ordre, et sans conduitte,
D'une espouvante egale ils prennent tous la fuitte,
Les uns courent vers Meun, les autres vers Gergeau;
La campagne en est pleine, et la rive de l'eau.
Ainsi lors qu'un milan, de penetrante veüe,
Tombe à plomb, tout à coup, du milieu d'une nüe,
Et fond dans un grand lac, où les vagues poissons
Esprouvent rarement le fer des hameçons;
Si d'un broüillars soudain l'onde couvre sa face,
Aux peuples escaillés il donne en vain la chasse,
Et le trouppeau müet, par la crainte escarté,
Dans les roseaux touffus cherche sa seureté.
D'une eclatante voix, la sainte, à chaque bande,
Vers le mur affranchy, la retraitte commande,
Et son authorité moderant leur chaleur,
Au plus fort de leur course, arreste leur valeur.
Elle ordonne cent feux, pour tesmoins de sa joye;
Leur flamme, à gros boüillons, vers les astres ondoye;
La nuit s'en illumine, et son obscurité
Se dissipe aux rayons de ce jour emprunté.
Le camp vole à la proye, et ses mains triomphantes
Recueillent des vaincus les despoüilles sanglantes;
Puis, sur le tour egal d'un cercle spacieux,
De mille grands harnois revestent mille pieux.
Dans le milieu du cercle, en suite l'on entasse
Pique sur javelot, heaume sur cuirasse,
Magnifique trofée, et sacré monument
Dressé par la Pucelle au roy du firmament.
Apres ce beau travail, la guerriere modeste,
Bruslant d'un feu devot, et d'un zele celeste,
Monte sur le trofée, et, sa voix renforçant,
Au camp parle en ces mots, d'un ton grave et puissant.
Benissés, compagnons, la sainte providence,
Qui, d'un oeil pitoyable, a regardé la France,
Et qui, sous ces remparts, dontant vos ennemis,
A, dans les champs françois, les lys d'or affermis.
C'est par son ordre seul, que l'injuste Angleterre
A senty cet essay d'une nouvelle guerre;
C'est elle, dont la force a poussé tous nos dards,
Et dans tous ces reduits planté nos estandards.
Qu'estois-je? Qu'estiés-vous? Pour tenter l'entreprise,
Qui de ces murs tremblans a sauvé la franchise;
Quelles estoient nos mains, et quels estoient nos coeurs,
Pour ravir aux anglois le titre de vainqueurs.
Cet innombrable camp, dont ils couvroient la plaine,
Estoit insurmontable à la puissance humaine;
Les cieux seuls, à sa force, estoient à redouter,
Et ce n'est qu'eux aussi, qui l'ont pu surmonter.
Au seul Dieu souverain tout l'honneur s'en doit rendre,
Ou si, dans ce succés, nous pouvons rien pretendre,
C'est l'honneur d'estre eleus, parmy tant de guerriers,
Pour cueillir, en son nom, de si fameux lauriers.
Cette grace, pour nous, est une insigne grace,
Ainsi que nostre espoir, nos desirs elle passe,
Et toutesfois encor, ce rare evenement
N'est de nostre bonheur que le commencement.
Nous allons bientost voir la Beausse reconquise,
Bientost voir la Bourgogne en liberté remise,
Bientost voir la Champagne, et les saints murs de Rheims,
Resousmis à leur roy, par l'effort de nos mains.
Vos yeux verront enfin le throsne de vos princes,
Paris, ce noble chef des françoises provinces,
Par le bras du Seigneur, en ses maux assisté,
Triomphamment sortir de sa captivité.
Loüons donc le treshaut, qui, par cette victoire,
Ouvre à nostre courage un si beau champ de gloire,
Et s'il nous a choisis pour de si grands exploits,
Ne nous tesmoignons pas indignes de ce choix.
Tous d'un commun esprit, et d'une voix commune,
Rendent graces au ciel de leur bonne fortune,
Et, sans presumer rien de leur infirmité,
Donnent tout au pouvoir de la divinité.
Pour ses illustres morts, la pieuse guerriere
Fait mettre, au mesme lieu, les trouppes en priere,
Intercede pour eux, leur impetre la paix,
Et d'eloges exquis couronne leurs hauts faits.
Puis, dans le sein profond de cette terre mesme,
Qui doit sa delivrance à leur valeur supreme,
Elle veut que leurs corps soient en pompe inhumés,
Et de traits ennemis leurs sepulchres semés.
Cependant la nuit vole, et le flambeau du monde
Sent de la violence à demeurer sous l'onde,
Vers le sombre orient, il haste son retour,
Et prepare aux humains la naissance du jour.
Le camp triste et müet, en ces devoirs funebres,
Consomme tout le temps qu'embrassent les tenebres,
Et, coulant, dans ces soins, les heures du sommeil,
Revoit sur l'horizon paroistre le soleil.
Alors, de tous costés, la plaine descouverte
Du superbe assiegeant fait remarquer la perte;
Alors, de toutes parts, la tremblante cité,
Avec ravissement, se trouve en liberté.
L'habitant desormais, sans contrainte, respire,
Desormais des tyrans il ne craint plus l'empire,
Il sort des murs en foule, et, par cent mots flateurs,
Vient rendre un juste hommage à ses liberateurs.
Ainsi lors que de loups une trouppe enragée
A du belant trouppeau la closture assiegée,
Et que, de pieux et d'aix foiblement remparé,
Il n'ose esperer mieux que d'estre devoré;
Si du soigneux pasteur la puissante houlette,
Malgré tous leurs efforts, les force à la retraitte,
Les agneaux delivrés de leurs sanglants assauts,
En foule, autour de luy, bondissent à grands sauts.
Pregent, qui de la ville est l'oracle et le juge,
Et qu'en tous ses besoins elle prend pour refuge,
Imploré de chacun, dans cet evenement,
Vient servir d'interprete au public sentiment.
Il s'addresse à la sainte, et luy tient ce langage;
Amazone nouvelle, ornement de cet âge,
Par qui les fiers destins, contre nous irrités,
Ont veu changer nos maux en des prosperités.
Ce peuple, garanty des chaisnes du barbare,
Reconnoist de ta main une faveur si rare,
Et son coeur, par ma voix, te vient fidelement
Tesmoigner la grandeur de son ressentiment.
C'est, ô fille des cieux, toute la recompense,
Que peut tirer de nous ta fatale vaillance;
Orleans, qui doit tout à tes divins exploits,
N'a, pour s'en aquiter, que le coeur et la voix.
Mais quel stile pompeux, quel hymne de loüanges,
Egalera jamais tes merveilles estranges?
Il n'est si grave son, ni si tonnante voix,
Qui puisse bien respondre à tes divins exploits.
Que fera donc ce peuple affranchy par tes armes?
Il livrera son coeur au pouvoir de tes charmes,
Et, parmy ses transports, s'il parle desormais,
Ce sera seulement pour celebrer tes faits.
Dieu, qui n'est pas bien mesme exalté par les anges,
Se satisfait pourtant des humaines loüanges;
En cela, comme en tout, imite l'eternel,
Et reçoy de nos chants l'hommage solennel.
Suy cet exemple auguste, et fay toy reconnestre
Imitatrice, en tout, des vertus de ton maistre,
Preuve encore au françois, par ce dernier essay,
Qu'en te croyant celeste, il n'a creu que le vray.
Un jour, pour monument glorieux et durable,
Sur ce pont delivré, par ton bras indontable,
À ta sainte valeur, nostre zele enflammé
Erigera, de bronze, un simulachre armé.
De pudeur, à ces mots, la guerriere interdite
Au seul dieu des combats raporte son merite,
Baisse la veüe en terre, et, d'un ton hesitant,
Fait sa response courte au disert habitant.
En suitte pour quartiers, elle donne à l'armée
Ceux, où le chef anglois tint la sienne enfermée,
Et, par un long repos, veut rendre la vigueur
Aux corps, qu'un long travail a reduits en langueur.