LIVRE 6
Charles, pendant ce temps, accreu de renommée,
Meine contre Betford une innombrable armée,
Prend la plus droitte route, et loin, devant ses pas,
Fait voler l'espouvante, et l'horreur du trespas.
Il court aux ennemis, d'une ardeur violente,
Sa course toutesfois est une course lente;
Du pesant attirail l'excessive grandeur,
Malgré sa violence, allentit son ardeur.
Au recit des exploits de la fille admirable,
La France, bien qu'alors, et foible, et miserable,
Pour seconder les coups de ce celeste bras,
En plus d'une province enfante des soldats.
Le camp grossit à l'oeil, et desormais la plaine
Sous ses drappeaux se cache, et les soustient à peine,
Il s'espand par les monts, par les prés, par les bois;
Et, pour le contenir, les champs sont trop estroits.
Ainsi, quand sous le vent, qui ramasse les nuës,
Tombent les tas neigeux des montagnes chenuës,
Le ruisseau qui naguere en ses bords languissoit,
Et, sur le moite sable, à peu de bruit, glissoit,
De ces tributs soudain enrichissant son onde,
Dans son lit resserré, hausse, boüillonne et gronde,
Et s'accroissant tousjours des tresors de l'hyver,
Deborde, et sur les champs represente une mer.
Le camp marche six jours, et sa vaste puissance,
Jusqu'aux remparts de Meun, le septiesme s'avance;
Meun s'ouvre aux bataillons, les invite à passer,
Et les voit au passage à-l'envy se presser.
Charles est à leur teste, et le long du rivage,
Luy mesme, pour camper, le terrain leur partage;
Vers le bas, vers le haut, par cent divers sentiers,
Tous, sans confusion, remplissent leurs quartiers.
Mais, au premier avis de l'approche royale,
La sainte met au vent son enseigne fatale;
Autour d'elle aussi-tost se rangent les soldats,
La suyvent en bataille, et vont d'un grave pas.
Le soleil desormais, cherchant l'autre hemisphere,
Luysoit sur l'horison, d'une flamme moins claire;
Quand elle sort du bois, et, d'un feu radieux,
Comme un soleil naissant, vient ebloüir les yeux.
Sur elle, avec transport, chacun tourne la veuë,
Chacun, plein d'allegresse, à grands cris la saluë;
Ses triomphans guerriers, sur eux, de toutes parts,
De ces guerriers nouveaux attirent les regards.
Quelques pas au devant, vient le jeune monarque;
Le plaisir de son coeur, sur son front, se remarque;
Il aborde la fille, et modeste, et sousmis;
J'ay fait, dit-il, enfin, ce que je t'ay promis;
Pour respondre à tes voeux, enfin j'ay mis ensemble
Un camp, sous qui l'anglois, jusqu'en son isle, tremble;
Le voilà prest enfin de te suyvre en tous lieux,
Et d'accomplir, sous toy, la volonté des cieux.
Mais, ô que ta vaillance à mon bras est funeste!
Que j'ay peur qu'apres toy nul employ ne me reste!
Que je crains que ce camp d'adversaire privé,
Vainement, par mes soins, ne se trouve levé.
Ton bras seul a tout fait ce que nous devions faire;
Il nous a derobé nostre juste adversaire,
Et se hastant de vaincre, a voulu nous oster
L'honneur de le combattre, et de le surmonter.
De ton propre bienfait la grandeur nous outrage,
Elle empesche nos coeurs de monstrer du courage,
Et de pouvoir, au moins avec quelques exploits,
Acquerir de la gloire, aux despens de l'anglois.
Grand prince, luy respond la genereuse sainte,
Tu conçois, sans sujet, une si belle crainte;
J'ay peu fait jusqu'icy, pour ton droit combatant,
Ce qui demeure à faire est le plus important.
La couronne des lys, par l'anglois usurpée,
Est un plus digne objet, pour ta royale espée;
Rheims, par ton puissant bras, verra son joug levé,
Et, par ce mesme bras, Paris sera sauvé.
Donc, invincible roy, pour ces hautes merveilles,
Renforce ton ardeur, et redouble tes veilles.
Charles, sans repliquer à ce masle discours,
Pour la marche, à-l'instant fait battre les tambours.
Mais la fille, à cét ordre, oppose ce langage;
Reprime un peu, grand roy, le feu de ton courage;
Avant que de partir, il faut voir, sur ce champ,
Drappeaux apres drappeaux, passer ton vaste camp.
Il l'approuve, et soudain la guerriere reveuë,
Pour la suyvante aurore, entre eux, est resoluë;
De quartier en quartier, d'un cours precipité,
L'ordre en est à l'instant, par Tanneguy, porté.
Alors on les voit tous, à l'abry de leurs tentes,
Donner un nouveau lustre à leurs armes luysantes,
Reparer, avec soin, leurs divers manquemens,
Et desployer à l'air leurs plus beaux ornemens.
Leurs casques sont, par eux, ombragés de pennaches;
Ils chargent de rubans, et leurs dards, et leurs haches,
Parent de franges d'or leurs homicides bois,
Et cachent leurs coursiers, sous de pompeux harnois.
Ainsi quand, pour gagner une illustre maistresse,
Se prepare au grand bal l'amoureuse noblesse,
Et qu'il n'en est aucun, qui ne flatte son coeur
Du glorieux espoir d'en retourner vainqueur.
Tant que dure le jour, qui precede la feste,
Chacun, d'un soin veillant, à la danse s'appreste;
Et soit en sa personne, ou dans son vestement,
Fait briller, à-l'envy, la pompe et l'agrément.
Pour ce royal spectacle, on choisit une plaine,
Que nature a formée en boscagere scene,
D'arbres hauts et feüillus ceinte de tous costés,
Sinon où sont ses bords par la Loire humectés.
De l'un à l'autre bout ce theatre superbe,
Est pavé d'un sablon ferme et revestu d'herbe,
Et, comme une mer calme, egalement uny,
Embrasse, dans son tour, un espace infiny.
Au costé descouvert, proche l'humide greve,
La terre plate ailleurs en tertre se releve,
Et le tertre, par tout, de mousse environné,
A d'ormeaux verdoyans son sommet couronné.
La nuit vient, mais en vain, car aucun ne repose;
On s'arme, et, dans les cieux, l'aube est à peine eclose,
Qu'en bon ordre, guidons, enseignes, estandards,
S'avancent des quartiers, en ce beau champ de Mars.
Charles, comblé de joye, au tertre s'achemine,
Rien n'eschappe à ses yeux, dans la plaine voisine;
La sainte est à sa droitte, à sa gauche Amaury;
Le camp passe à leurs pieds, sur l'herbage fleury.
Fidelle gardien du temple de memoire,
Clair esprit qui de tout es la vivante histoire,
Qui vois tout, qui sçais tout, et pour qui le passé
Par la lime du temps n'est jamais effacé;
Sers moy de guide seure au travers de son ombre,
Fay que de ses soldats je discerne le nombre,
Je discerne les chefs, et, l'oubly combatant,
Les monstre à nos neveux, dans un jour eclatant.
La troupe vandomoise, avant tous, se presente,
Petite, mais de fer, et couverte, et brillante;
Glorieuse, entre tous, d'avoir le premier lieu;
Six cens portent la pique, et quatre cens l'espieu.
Ils ont, dans leur drappeau, la larme si vantée,
Qui fut par l'homme-dieu sur son amy jettée,
Foulent le pré, sous elle, avec grace et lenteur;
Et le vaillant Graville en est le conducteur.
L'enseigne estant venuë au droit de la colline,
Celuy qui la soustient, devant Charles, l'incline,
Il s'incline luy-mesme, avec humilité
Des autres, à leur tour, l'exemple est imité.
Archambauld vient apres, et meine, d'un pas grave,
Les peuples qu'en son cours la Lise enferme et lave,
Qui labourent de Blois les rivages marchands,
Et de Romorantin ensemencent les champs.
Orcheze y mesle ceux, qui, dans leurs murs antiques,
Des greniers de Cesar conservent les reliques,
Et de qui la campagne est d'un rouge terrain,
Pour estancher le sang remede souverain.
Au bruit de la guerriere, esveillés dans leur terre,
Ils viennent prendre part à son heureuse guerre,
Neuf cens armés de traits, neuf cens de coutelas,
Et d'une ardente foudre arborent les esclats.
Apres, vient sur les rangs la trouppe redoutée,
Par qui de Chasteaudun la roche est habitée,
Et l'habitant du lac qui boüillit autresfois,
À la tragique mort d'un monarque françois.
À ces peuples sont joints les peuples de la plaine,
Que le Loir si souvent couvre et jonche d'arene,
Qu'abbreuve Aigre, Couvoye, et l'estrange ruisseau,
Dont l'eau s'ensevelit, puis renaist du tombeau.
D'onze cent vieux soldats cette bande est formée,
De corselets vestüe, et de piques armée;
Sa banniere est d'azur, et par l'air voltigeant
Sur trois fleurs de lys d'or, monstre un lambel d'argent.
Dunois en est le chef, aussi bien que le maistre;
À leur teste pourtant il ne veut point parestre;
Un page tient sa place, et porte son harnois,
Mais il le porte à peine, et flechit sous le poids.
Cette enseigne passée, avancent et la suyvent
Ceux qui sous Orleans le vignoble cultivent,
Ceux qui battent son fleuve avec les avirons,
Et ceux que sa forest a rendus bucherons.
Son bourgeois mesme y brille, et marche plein de gloire,
Dans le doux souvenir de sa haute victoire,
Et distingué de tous, par l'arc et le carquois,
Qu'a l'anglois il ravit, pour combattre l'anglois.
Là sont ceux que Loiret, riviere des sa source,
Reschauffe, et raffraischit, dans sa petite course,
Loiret qui, des saisons reparant le defaut,
Est chaud durant le froid, et froid durant le chaud.
La moitié de la Beausse, et la Soulogne entiere,
Ont dans ce bataillon leur jeunesse guerriere,
Et de ceux de Pluviers, de ceux de Baugency,
Ce gros desja puissant est encore grossy,
Montargis le royal, cette ville indontée,
Que par deux fois en vain le rebelle a tentée,
Pour se venger de luy, joint aux orleannois
La genereuse fleur du fecond Gastinois.
Ils sont cinq mille en tout, et tous ont la cuirasse;
Les uns portent la pique, et les autres la masse,
Gaucourt marche à leur teste, à pas lents et posés,
Et leur drappeau n'est peint que de chaisnons brisés.
Apres eux du Berry la milice nombreuse,
Sous le vieillard Gillon, va superbe et pompeuse;
Leur terre est en pastis, et son herbage espais
Jusqu'alors dans le trouble a joüy de la paix.
Bourges, l'antique mur, ce boulevard des Gaules,
De qui, dans un marais plein de joncs et de saules,
Cinq fleuves tortüeux moüillent les larges flancs,
Du vaste bataillon fournit les premiers rangs.
Les Braves qu'a produits l'aspre mont de Sancerre,
Ceux qu'Issoudun le fort arme pour cette guerre,
Ceux qu'enrôlle Agurande, et Perouse et Charros,
Avec ceux de Leuroux, en composent le gros.
Les autres, dont l'amas suit et ferme la trouppe,
Sont ceux que Vierzon descouvre de sa crouppe,
Ceux qu'envoye Aubigny, la Chastre, Saint-Agnan,
Concressaut, Argenton, Linieres et Vatan.
Ils font en tout six mille, et tiennent tous serrées,
Ou des haches d'acier, ou des masses ferrées;
Leur enseigne est illustre, et porte la toison,
Dont la conqueste encor fait honneur à Jason.
Le valeureux Paumy, sur leurs traces, ameine
Tout ce qu'a de vaillant la fertile Touraine,
Ce jardin precieux, dont le fruit sans pareil
Esprouve, plus qu'aucun, la faveur du soleil.
Avec le riche Tours, monarque de la Loire,
Du devot Marmonstier la solitude noire,
Le haut tertre d'Amboise, et le bas Chastillon,
Forment de leur levée un petit bataillon.
À ceux-cy joint les siens Loches, ce mur terrible,
Que la nature et l'art rendent inaccessible,
Cette prison fameuse, et cette forte tour,
Où si long-temps Agnes renferma son amour.
Ce gros est de huit cens, chargés d'armes legeres,
Force peu redoutable aux forces estrangeres,
Bien que dans son drappeau le Montgibel ardent
Les semble menacer d'un mortel accident.
Altiere, sur ses pas, marche la fiere bande,
Que le prince angevin, le fier René commande;
Les trois couronnes d'or, qu'elle desploye au vent,
Representent Sicile, Angleterre, et Levant.
Sa terre entrecouppée, et ceinte de rivieres,
Arme, à son mandement, trois mille ames guerrieres;
Sur l'espaule, deux mille ont le ferme et long bois,
Et mille, sur leur dos, font sonner le carquois.
Là paroissent d'Angers les brigades sçavantes,
Là des ponts de Cesar les gardes vigilantes,
Là ceux qui du theatre, autresfois si fameux,
Habitent maintenant les vestiges fumeux.
On voit là de Saumur l'elite courageuse,
On y voit les pescheurs de la Mayne fangeuse,
Et ceux qui, de vaillance et d'addresse remplis,
Ont laissé du Coüesnon les tortüeux replis.
De Duretal enfin là reluit la noblesse,
Là d'Ingrande paroist la trouppe chasseresse,
Et du vieux Chasteauneuf, cour des ducs anciens,
Là se font remarquer les braves citoyens.
Godefroy, les suyvant, entre dans la carriere,
Et de l'un des Poitous arbore la banniere,
Qui presente aux regards un enorme elephant,
Estendu sous les pieds d'un lion triomphant.
La province a deux parts, mais la part maritime
N'a pû faire, assés-tost, voir le feu qui l'anime;
L'autre part, que le Clain traverse de ses eaux,
S'offre sur la prairie, avec onze drappeaux.
Le populeux Poitiers tire, de son enceinte,
Mille hommes, dont le coeur ne connoist point la crainte,
Accompagnés de mille, aux tristes champs levés,
Que le sang du françois a jadis abbreuvés.
Tous passent revestus de cuirasses dorées,
Qu'en fendant les guerets leur soc a deterrées,
Et tous portent des dards, ou des traits acerés,
Avec le mesme soc, du mesme fonds tirés.
De ses propres remparts, et des plaines voisines,
Où l'antique Poitiers n'est plus qu'en ses rüines,
L'estroit Chastelleraud fournit jusqu'a neuf cens,
Ou bourgeois aguerris, ou villageois puissans.
Parmy le dur metal, qui se plaist au carnage,
Ils ont, des leur naissance, affermy leur courage;
Leur mestier les nourrit parmy l'acier brillant,
Et dispose leur bras au mestier de vaillant.
Lusignan si connu, dont Chypre, en sa misere,
Non sans plaisir encor, le souvenir revere;
Berceau de tant de roys aux soldans opposés,
Pour ce grand armement, a ses murs espuisés.
De six cens est sa trouppe, et, sur leur javeline,
Tous, en femme et couleuvre, ont peinte Mellusine,
D'une grossiere fable, et d'un conte odieux,
Jusqu'à la frenaisie, à-l'envy glorieux.
Saint-Maixant, hermitage enfin devenu ville,
Compose, avec ses bourgs, un gros de pres de mille,
Et, sous de blancs armets, et des corselets blancs,
De ce grand bataillon ferme les derniers rangs.
En suitte on voit venir ceux que fournit l'Yonne,
Ceux que donne l'Allier, ceux que la Loire donne,
Peuples, sur tous, heureux, dont le riche terrain
A le fer et l'argent aux veines de son sein.
Du spacieux Nevers passe la trouppe fiere,
En nombre la plus grosse, en ordre la premiere;
Pougues vient le second, Pougues, où tous les maux
Ont un present remede, en ses froids mineraux.
Apres eux vient Desize, aymable territoire,
Que de ses moites bras environne la Loire;
Cosne, et La Charité se laissent voir apres,
Et, pour armes, n'ont tous que des arcs, et des traits.
À sept cens, ou peu plus, monte cette milice,
Et reconnoist pour chef le sage La Palisse;
L'enseigne est un esquif, que, par un double effort,
La marée et le vent conduisent dans le port.
De l'aspre Bourbonnois la commune aguerrie
Foule, en suyvant ceux-cy, le vert de la prairie;
Trois cens ont des espieux, trois cens des javelots,
Et de peaux de sanglier tous se couvrent le dos.
De ces affreux soldats la meilleure partie
Du resserré Moulins, en campagne, est sortie,
Et Charles doit le reste aux deux royaux bourbons,
Où la santé reside à l'abry des hauts monts.
Clermont le genereux, triste de sa desfaite,
Va tout seul devant tous, et l'ennemy souhaite;
Le drappeau qui les guide est un morne taureau,
Qui, bien que terracé, cherche un combat nouveau.
De l'un et l'autre Auvergne enfin la bande eleüe
Vient de l'infanterie achever la reveüe;
Achon et Senescé, quoy qu'amoureux rivaux,
Pour la regir en paix unissent leurs travaux.
Espris egalement de la jeune Isabelle,
Ils l'aymoient d'un amour egalement fidelle,
Et leurs coeurs, l'un de l'autre egalement jaloux,
Ne pouvoient, l'un pour l'autre, attiedir leur courroux.
Par sa rare beauté, par sa haute naissance,
Par son esprit divin, par sa richesse immense,
Elle charme leurs sens, excite leurs souspirs,
Et d'une ardeur pareille eschauffe leurs desirs.
Chacun d'eux la pretend, et leur flamme embrasée
Embrase la province, et la tient divisée;
Chacun, pour l'aquerir, arme de son costé,
Et le jour du combat estoit presque arresté.
Quand à servir leur prince, à delivrer la France,
La vaillante Pucelle attire leur vaillance;
Alors, par le devoir à la raison sousmis,
Ils font trefve de haine, et vivent en amis.
Ainsi, lors qu'un nocher, dans un mesme navire,
À-l'envy de quelqu'autre au gouvernail aspire,
Et qu'en cet interest l'un à l'autre opposés,
Tant que regne le calme, ils vivent divisés;
Si le vaisseau, batu d'un violent orage,
Demande tous les bras, pour combattre sa rage,
Ils suspendent leur haine, et, luttant contre l'eau,
Travaillent, comme amis, au salut du vaisseau.
Rions glorieux chef de cette terre grasse,
Que l'on nomme Limagne, au lieu d'Auvergne basse,
Au secours de son prince, entre ses habitans,
Leve, et ramasse un corps de mille combatans.
Clermont, le desespoir, du donteur de la Gaule,
Pour renforcer ce corps, huit cens hommes enrôle,
Sept cens dans sa muraille, et cent au mont prochain,
Où campa vainement l'invincible romain.
Deux cens partent des bords de ce fleuve rapide,
Où l'onde fait sur l'onde un passage solide,
Où le sel, qu'une source enfante au pied d'un mont,
Bastit, sur son lit mesme, un admirable pont.
Trois cens quittent le tour du salutaire gouffre,
Où les maux deplorés guerissent dans le souffre,
La creuse Chamaillere, et l'estonnant ruisseau,
Qui change, en goust de vin, la saveur de son eau.
Du fertile rocher, d'où Montferrand domine
Le sommet des bas monts, et la plaine voysine,
D'Yssoire, de Randan, et du haut Montpensier,
Sortent neuf cens, tous forts, et tous couverts d'acier.
À ceux-cy l'on voit joints deux cens hommes d'elite,
Vieux guerriers, qu'aux perils la belle gloire invite,
Nourrissons d'Aurillac, où, dans ce siecle encor,
Le fond du lac seché brille de veines d'or.
Mesme nombre leur joint Saint-Flour, montagne nüe,
Qui n'a, pour y gravir, qu'une roide avenüe,
Mesme nombre leur joint, et Murat, et Carlat,
Et tous sont à-l'envy desireux du combat.
Cantal, le mont neigeux, cette Alpe de la France,
Pour assister son roy, descouvre sa puissance,
Et joint seul aux premiers, trois fois cent montagnards,
Grands coureurs, grands lutteurs, et grands lanceurs de dards.
L'arboriste habitant de la Roche Du Dome,
L'enfumé forgeron du sombre Bois De Come,
Et les buveurs de l'eau que glacent les estés,
Y joignent quatre cens au travail indontés.
Du haut mont, qui de l'or a le titre superbe,
Dont la coste produit plus de sources que d'herbe,
Que la trouble Dordogne a pour antre natal,
Et qui de tous costés distille le crystal.
De cet autre grand mont, de qui la plate cime,
Est le lit d'un grand lac, qui n'a fond que l'abysme,
Où les cailloux jettés produisent, dans les airs,
Un orage confus, et de gresle, et d'eclairs.
Des vallons, où Vichy, par ses chaudes fontaines,
Adoucit tous les jours les plus cuysantes peines,
Enfin du bourg heureux, où les rocs entamés
Font voir de diamans leurs riches flancs semés;
Mille suyvent encor, dont les communes armes
Sont de noirs javelots chargés de blanches larmes,
Et leur drappeau commun porte des flots mouvans,
Qui trouvent leur repos, sous de contraires vents.
Les bataillons passés, l'orgueilleuse prairie
Est couverte à-l'instant par la cavalerie;
Le nombre est de six mille, en vingt gros escadrons,
Qui sur les champs herbus volent brillans et pronts.
Toute, en un mesme temps, des mesmes lieux tirée,
Elle marche en mesme ordre, et sa marche est serrée;
Chacun des escadrons est de six estandards,
Peints d'aigles, de sangliers, d'ours et de leopards.
Artus les doit conduire, aussi bien que sa bande,
Mais du prince irrité la veüe il apprehende;
Dans le bois il se cache, et sous l'ombrage espais
Attend que la guerriere ait menagé sa paix.
Rhodes porte, apres tout la cornette royale,
Qui, d'avanturiers ceinte, est seule et sans egale,
Blanche de tous costés, marque de son pouvoir,
Et de qui la devise est de n'en point avoir.
Tout sembloit achevé, quand la trouppe vaillante,
Que nagueres Betford esprouva si puissante,
Vint clôre la reveüe, et, sous le fort Dunois,
Mesler au nouveau camp les vainqueurs de l'anglois.
Enflés de leur succes, fiers de leurs avantages,
Ils font tous, dans leurs yeux, luire leurs grands courages,
Et, sur leurs masles fronts, ils font remarquer tous,
Des mains de leurs vaincus les effroyables coups.
Ils font tous remarquer, sur leurs armes brillantes,
De ces mesmes vaincus les despoüilles sanglantes,
Et par un air si noble, et de tels ornemens,
Font distinguer leurs corps des communs regimens.
Charles sent, à leur veüe, esmouvoir sa tendresse,
Et, confondant sa honte avec son allegresse,
Dit à la sainte fille; il s'en faut prendre à toy,
Si ces vaillans soldats ont combatu sans moy;
Je devois partager leurs travaux, et leur gloire,
Mais je devois aussi t'obeïr, et te croire.
Elle respond au roy; tel fut l'ordre des cieux,
Et le suyvre est bien plus qu'estre victorieux.
Ils marchent d'un pas grave, et leur marche est suyvie
D'un cry d'estonnement, de plaisir et d'envie;
Tout le camp les respecte, et repute à malheur,
Que leur bras ait, sans luy, monstré tant de valeur.
Alors vers le couchant, et sur l'onde egalée,
On voit un brigantin qui monte à voile enflée;
Les rames, à fleur d'eau, demeurent sans mouvoir;
Sa figure est estrange, et fait peur à la voir.
Il ressemble un dragon d'une grandeur enorme;
L'ouvrier, par un jeu d'art, luy donna cette forme;
Le timon de sa pouppe en queüe il deguisa,
Et le fer de sa proüe en teste il composa.
Ses rames sont ses pieds, et ses voiles tendües
Representent, de loin, des ailes espandües;
D'un rouge-brun luysant son corps est esmaillé,
Et jusques sous l'eau mesme en escailles taillé.
Le serpent contrefait, razant les ondes plates,
Fait voler contremont ses ailes incarnates,
De plus en plus s'approche, et, doublant son effort,
Sous le tertre ombrageux s'en vient mordre le bord.
De cette nouveauté l'armée est suspendüe,
Et, sur le feint dragon chacun tenant la veüe,
Contre toute esperance, on voit sortir enfin,
De son ventre hideux, un visage divin.
Agnes, cette beauté, dont l'amour fit sa gloire,
Qui tousjours à son char attacha la victoire,
Et qui ne luy sousmit que les coeurs des Cesars,
Sort du vaisseau superbe, et surprend les regards.
Telle Chypre autresfois vit, à sa molle arene,
Aborder sa charmante et glorieuse reyne,
Quand l'escume salée en elle se changea,
Et que de tous ses biens le ciel la partagea.
Ce qui fut eclairé de son brillant visage,
Reconnut son empire, et luy rendit hommage;
La mer baisa ses pieds, les zephyrs ses cheveux,
Et les tritons, en l'eau, ressentirent ses feux.
Le jeune et beau Roger, appuy doux et fidelle,
Tend l'une de ses mains, pour ayder à la belle,
Et, portant l'arc en l'autre, et la trousse au costé,
Semble amour dont Venus renforce sa beauté.
De trois filles suyvie, adorable et divine,
Elle quitte la barque, et monte la colline;
Tout luit à-l'entour d'elle, et, sur ses vestemens,
On ne voit que rubis, perles et diamans.
L'armée à cet objet de merveille est comblée;
Charles sent sa raison à cet objet troublée;
Amaury le voyant nage dans le plaisir,
Et s'en promet la fin conforme à son desir.
Vers le prince elle avance, avec l'air et le geste
D'un esprit orgueilleux, et toutesfois modeste,
S'incline en l'abordant, et, d'un ton radoucy,
Les yeux remplis d'amour, luy vient parler ainsi.
Monarque des françois, à qui le ciel destine
L'honneur inesperé de l'angloise rüine,
Et pour qui ce royaume espuisé de soldats,
Reproduit, au besoin, tant de coeurs et de bras;
Pour la noble entreprise, où la gloire t'engage,
Reçoy mon bras encore, et reçoy mon courage;
Je suis fille, il est vray, mais, en cet heureux temps,
Les filles trouvent place, entre tes combatans.
J'en voy devant mes yeux, et pres de ta personne,
Une dont la vertu merite une couronne,
Une à qui justement tes plus braves guerriers
Cedent, sans contester, le premier des lauriers.
Par cét exemple illustre, ardemment animée,
Du fond de mon desert, j'accours en ton armée;
S'il falloit qu'une fille eust soin de te venger,
Qui devoit plus que moy d'un tel soin se charger?
J'ay honte qu'en mon lieu cette sainte bergere
Ait brisé tes liens, et vaincu ta misere;
J'ay honte que mon bras, de pudeur retenu,
Par ce bras estranger ait esté prevenu.
Dans ce sein bat un coeur des grands actes capable,
Aux accidens du sort un coeur inebranslable,
Un coeur qui te revere, et qui sçaura perir,
Pourveu que son trespas t'empesche de mourir.
Elle joint à ces mots tout ce qu'elle a de charmes,
Et combat le monarque avec toutes ses armes;
Il en sent les efforts, et, trop foible pour eux,
Se laisse rengager sous le joug amoureux.
Amaury le remarque, et, poursuyvant sa trame,
Par ces termes adroits, vient accroistre sa flame;
Dieu le veut, luy dit-il, et, par ce second bras,
Confirme que ce sexe est l'heur de tes estats.
Mais la sainte, en horreur ayant leur artifice,
Dit; ah! N'abusons point du soleil de justice,
Ne prenons point en vain le nom du tout-puissant,
Et gardons devant luy nostre coeur innocent.
Charles, contente-toy de la grace celeste;
Le secours que l'on t'offre, est un secours funeste;
Il seroit ta rüine, et non pas ton appuy;
Betford de ta vertu triompheroit par luy.
Rejette ces appas, dont la douce puissance
Ne feroit qu'ammollir l'effort de ta vaillance,
Et commence par là de monstrer aux anglois,
Que tu peux tout ranger sous tes royales loix.
Le ciel te le commande, et, si tu le mesprises,
Tu verras quels malheurs suyvront tes entreprises,
Tu verras quel destin ont reservé les cieux,
À ce brillant objet qui t'ebloüit les yeux.
Beauté funeste à tous, à toy-mesme funeste,
Esloigne de ce camp ton agreable peste,
Reporte en ton desert tes doux enchantemens,
Et crains du dieu vengeur les secrets jugemens.
Tandis que parle ainsi la magnanime fille,
Une rougeur de feu sur son visage brille;
Autour d'elle s'espand une vive clarté;
Sa voix tonne, et chacun en est espouvanté.
Charles perd la parole, Amaury l'a perdüe,
L'imperieuse Agnes se trouve confondüe,
Et l'espoir, tout à coup, mourant dans leur esprit,
Y laisse succeder la honte et le depit.
Pour un si saint discours, l'ange amy de la sainte,
À tous, remplit le coeur de respect et de crainte;
Par le ciel, en ce choq, l'enfer est surmonté,
Et la beauté flechit devant la sainteté.
Agnes pleine d'aigreur rentre dans sa galere,
Et jette au triste prince un regard de colere;
Il s'en tesmoigne emeu, mais pour l'en divertir,
La sainte part soudain, et l'oblige à partir.
Vers l'attirail guerrier adroite elle le meine;
Il va triste, mais sage, et honteux de sa peine,
Et s'armant de vigueur, afin de l'estouffer,
Croit qu'en bien combatant il en peut triompher.
L'implacable ennemy du seigneur de la terre,
Jaloux qu'en sa main seule eclatast le tonnerre,
Pour s'egaler à luy, par un semblable dard,
Avoit cent fois en vain sollicité son art.
Son orgueil s'obstina dans ce projet horrible,
Mais l'esprouva tousjours à son art impossible,
Et ne l'esperoit plus, quand un heureux moment
Luy fit de ses desirs voir l'accomplissement.
Entre mille moyens de faire à l'Angleterre
Avoir enfin le prix de cette longue guerre,
Un jour, au plus profond de ses antres souffreux,
S'offrit à sa pensée un instrument affreux.
Dans un moule estendu d'argille espaisse et grasse,
De differens metaux il fondit une masse,
La creusa, l'arrondit, et, par l'un de ses bouts,
La fit propre à lancer le fer et les cailloux.
Par les plus noirs demons il fabriqua la poudre,
Qui devoit allumer cette infernale foudre,
Et qui, chassant son dard, par les airs, à grand bruit,
Tout obstacle opposé choque, ebransle et destruit.
Il restoit à l'anglois, vainqueur dans les batailles,
De sousmettre à son joug les françoises murailles;
Cet instrument pour luy fut alors inventé;
C'est la clef qui par force ouvre toute cité.
Sous l'habit d'un saxon, une ardente furie
Au triomphant Betford porta l'artillerie;
Tel, du nouveau tonnerre, en ce temps, fut le nom,
Qu'on a changé depuis en celuy de canon.
Tant que sur le françois regna l'ire divine,
L'estranger employant la terrible machine,
Par tout se fit passage, et ne vit point de lieux
Capables d'arrester son cours victorieux.
Mais, quand le ciel calmé voulut, par sa clemence,
Retirer du tombeau la françoise puissance,
Dans les mains du françois vint l'instrument fatal,
Inventé, contre luy, par le monstre infernal.
La sainte en ce moment, pour esteindre la flamme,
Que le fragile roy sent renaistre en son ame,
Le meine, où le canon, par ses trouppes, gardé,
N'attend plus, pour servir, que d'estre commandé.
Charles en conte cent, de grandeurs inegales,
En contemple la forme, en observe les bales,
Et dit, auroit-on creu qu'armé d'un tel secours,
Betford eust veu ternir la gloire de ses jours?
Il l'a veu cependant, luy repart la Pucelle,
Et l'autheur de sa honte est ton peuple fidelle;
C'est luy, dont les efforts viennent de rendre vains
Ces foudres brüissans des antres sousterrains.
Mais du fameux Artus l'heroique vaillance
A le plus, entre tous, merité de la France,
Ayant cherché la mort, pour son soulagement,
Bien que dans la disgrace, et le bannissement.
En sa cause, grand roy, j'implore ta justice,
Rens luy ta bienveillance, et souffre son service.
Amaury, de frayeur, blesmit en l'escoutant;
Le prince à ce discours respond au mesme instant.
Bien qu'Artus soit coupable, ô fille magnanime,
Je veux, si tu le veux, mettre en oubly son crime;
Je veux estre pour luy de moy-mesme vainqueur,
Et veux que desormais il ait part en mon coeur.
Je consens mesme encor qu'il ait part à ma gloire,
Lors qu'il pourra m'ayder à suyvre ma victoire,
Et que des coups receus par le fer ennemy,
Son redoutable bras sera bien raffermy.
Je dois trop aux exploits produits par ta vaillance,
Pour faire à ton desir la moindre resistance;
Et qui peut à tes loix son throsne assujetir,
Peut bien, en toute chose, à tes voeux consentir,
Du malheureux Artus la grace demandée
Estant par le monarque à la sainte accordée,
En termes genereux prononcés gravement,
Elle en monstre sa joye, et son ressentiment.
Sur le declin du jour les bandes separées,
En leurs divers quartiers s'en retournent serrées;
Tanneguy les rameine, et Charles, les quittant,
Du geste et de la voix, s'en tesmoigne content.
Au plus creux de sa tente apres il se retire,
Et dans sa solitude en liberté souspire;
De sa playe incurable il sent la profondeur,
Et sent renouveller son amoureuse ardeur.
Amaury le regarde, et, souspirant luy-mesme,
Monstre de sa douleur une douleur extreme;
Tous deux sans mouvement, comme frappés des cieux,
Tiennent la bouche close, et se parlent des yeux.
Le monarque se couche, et sa peine müette
Jusques dans le repos, l'agite et l'inquiëte;
Agnes, à sa pensée estalant ses attraits,
Plus que jamais l'eschauffe, et l'engage en ses rets.
Mais enfin, par la grace, il estouffe sa flamme,
Il brise les liens, qui captivoient son ame,
Et, devant que le jour ait repeint l'horison,
Voit le divin soleil eclairer sa raison.
Au tertre il monte, et prie, et, durant sa priere,
Sur les champs descouverts la jeunesse guerriere,
D'une egale chaleur bruslant pour le depart,
De ses divers quartiers, se range à l'estandard.
Le prince au tout-puissant demande, avec des larmes,
Qu'il protege son droit, qu'il benisse ses armes,
Et vueille du tyran, qui maistrise son coeur,
Defendre sa foiblesse, et le rendre vainqueur.
Parmy cent longs souspirs, d'une voix gemissante,
Il repeta trois fois sa priere fervente,
Et, recueillant en un tous ses pensers espars,
Vers le sombre orient arresta ses regards.
L'archange valeureux, qui, par la providence,
Est chargé de veiller au salut de la France,
Et qui, malgré Satan, malgré tous ses enfers,
Voit la guerriere preste à la tirer des fers;
De la plus haute sphere aux plages les plus basses,
Vient fixer l'air mobile, en assembler des masses,
Les mesler, les unir, et s'en former un corps,
Vuide par le dedans, et solide au dehors.
De la France abbatüe il luy donne l'image,
Il luy donne son air, luy donne son corsage,
Et, dans son cave sein luy-mesme s'enfermant,
À ses membres divers donne le mouvement.
Charles, qui tient la veüe aux astres attachée,
Bien que sous l'onde encor l'aurore soit cachée,
Dans l'eclatant milieu d'un nüage enflammé,
Voit paroistre à ses yeux un colosse animé.
Il le voit qui, vers luy, prend sa route et s'abbaisse,
Sous l'aspect glorieux d'une antique princesse,
En qui malgré les ans l'auguste majesté,
Et reluit avec grace, et tient lieu de beauté.
Son front resplendissoit, et, d'entre ses paupieres,
Sortoient de vifs eclats, et d'ardentes lumieres;
En ondes sur le col les cheveux luy flottoient,
Et les lys sur son chef en couronne eclatoient.
Mais cette mesme fleur, seche et defigurée,
Languissoit sur sa robbe en lambeaux dechirée;
Sa main ne soustenoit qu'un demy sceptre d'or,
Où la trace des lys restoit à peine encor;
Et sur son noble front se remarquoit emprainte,
Parmy beaucoup d'espoir, quelque ombrage de crainte.
L'archange sous ce voile, en s'abbaissant tousjours,
Aborde enfin le prince, et luy tient ce discours.
Grand coeur, dont la vertu s'accroist par les obstacles;
Toy, pour qui Dieu n'aguere a fait tant de miracles;
Toy, que du tout-puissant le vouloir absolu,
A par grace, entre tous, pour ma franchise eleu;
Toy, dont les fermes bras, au besoin secourables,
Vont estre le support de mes jours miserables;
Enfin, toy, que j'implore, et qui dois me venger
Des maux que j'ay soufferts, sous le joug estranger;
Viens, l'unique souhait de mon ame affligée,
Viens me tirer du gouffre, où le sort m'a plongée,
Viens me rendre à moy-mesme, et ranger, sous mes loix,
Le bourguignon perfide, et le superbe anglois.
Je ne te diray point, pour disposer ton zele,
À faire une entreprise, et si juste, et si belle,
Combien de grands motifs, de sujets differens,
Invitent ta valeur à perdre mes tyrans.
Tu me connois assés pour la France guerriere;
Tu sçais que c'est de moy que tu tiens la lumiere,
Que je t'ay dans mon sein tendrement elevé,
Que de mille perils mes soins t'ont preservé;
Que tousjours constamment j'ay suyvi ta fortune,
Que ta peine, avec toy, me fut tousjours commune,
Enfin, que j'ay tousjours, d'un mouvement egal,
Fait mon bien de ton bien, et mon mal de ton mal.
Tu sçais que l'on adore, et sans idolatrie,
Celuy qui sçait mourir, en servant sa patrie,
Que sa memoire est sainte, et qu'entre les mortels,
On accorde à son nom l'encens et les autels.
Tu sçais que, de cent maux vivement poursuyvie,
Je fonde, sur toy seul, tout l'espoir de ma vie,
Et que par ta tendresse, et par ta dureté,
Tu feras ma franchise, ou ma captivité.
Je ne viens point aussi, par un recit funeste,
Emouvoir à pitié cette vertu celeste,
Emouvoir à fureur ce noble mouvement,
Qui previent ma priere, et mon ressentiment.
Je viens de tes bontés recevoir l'assistance,
Je te viens assurer de ma reconnoissance,
Et te viens avertir, par combien de trespas
Tu peux voir traverser tes heroïques pas.
Mais tu cours, à ce mot, enflammé de colere;
Espargnés, justes cieux, une teste si chere;
Plustost que par vos traits ses beaux jours soient bornés,
Finissent par vos traits mes jours infortunés.
Ma teste à vostre foudre est seule reservée;
Si vous sauvés mon fils, je me croiray sauvée.
Arreste un peu, mon fils, modere ton ardeur,
Pese bien ton dessein, mesure sa grandeur,
Unis en tes conseils le courage et l'addresse,
Oppose force à force, et finesse à finesse,
Et dans l'assaut des murs, dans le feu des combats,
Par ruse, et par effort, mets les tyrans à bas.
Tous avis, tous moyens, te seront necessaires,
Tant se monstrent heureux tes crüels adversaires,
Tant, en leur perte mesme, ils font encore voir
De subtil artifice, et d'orgueilleux pouvoir.
Que si ton jeune coeur, à sa haute vaillance,
Peut joindre la conduitte et la perseverance,
Et de ses passions estre victorieux,
Je seray toute libre, et toy tout glorieux.
La terre à ta fortune aveque toy conspire,
L'enfer ne choque plus ton legitime empire,
Et le ciel, en tes maux inflexible autresfois,
Maintenant à ton bien accommode ses loix.
Les decrets du tres-haut enfin te sont propices;
D'un pas de conquerant marche sous leurs auspices;
Je ne vois plus d'obstacle à tes forces egal;
L'entreprise est venüe à son terme fatal,
Paris, lassé du joug, le secoüe, et t'implore,
Sur tous ses boulevards tes enseignes arbore,
Et, par l'ample chemin de ses murs demolis,
T'accompagne en triomphe au grand throsne des lys.
Mais l'avenir m'emporte, et mon ame eclaircie
Connoist que ce discours n'est qu'une prophetie;
Il est temps toutesfois, de l'aller accomplir;
Ce throsne, vuide encor, t'attend pour le remplir.
Allons, que tardons nous? Icy l'archange acheve,
Et dans le sein de l'air, en mesme temps, s'eleve,
Un long trait de lumiere à sa suitte laissant,
Et, d'un vol estendu, le chemin luy traçant.
Charles, plein de transport, descend alors, et crie;
J'en accepte l'augure, allons chers patrie;
Allons, reprend le camp, et, du creux des vallons,
Respondent cent echos, allons, allons, allons.
Le son en rejalit, au sommet des montagnes,
Il se roule, et s'espand, sur les vastes campagnes,
La forest le repete, et le proche torrent,
Plus trouble et plus emeu, fuit en le murmurant.
Tout marche, et le soldat, en son ardeur extreme,
Rapidement vers Rheims se porte de luy-mesme;
On voit, comme à l'enuy, les drappeaux ondoyans,
Vers la sainte cité, d'eux mesmes se ployans;
Le cry des bataillons imite le tonnerre;
Leurs pas, plus sourdement, font resonner la terre;
La poussiere se leve, et compose une nuit,
Qui du camp disparu ne laisse que le bruit.
Ainsi quand, au signal, l'importune barriere
Ouvre aux barbes rangés le front de la carriere,
Et que les cris du peuple aux trompettes meslés,
Poussent leurs sons aigus aux lambris estoillés;
De la main aussi-tost ils partent tous ensemble;
Au battement des pieds le champ murmure et tremble;
On les voit s'esloigner, et l'oeil, en les suyvant,
Moins viste qu'eux, se lasse, et les perd dans le vent.
Tout cede, tout fait joug à la terrible armée;
Devant ses estandards vole la renommée;
Charles jette, en son cours, l'effroy de toutes parts;
Les villes n'ont, pour luy, ni portes, ni remparts.
De tous costés, en foule, on luy vient rendre hommage;
Cet empeschement seul allentit son voyage;
Chacun le reconnoist, chacun luy tend les bras,
Chacun s'offre à le suyvre, au milieu des combats.
Philippes, entre tous, Philippes mesme envoye,
Du succes d'Orleans, luy tesmoigner sa joye,
À ses royales mains des palmes souhaiter,
Et d'un futur accord les fondemens jetter.
Mais les monstres d'enfer, dont la bande obstinée,
Pour traverser le sacre, est au camp retournée,
Dans un noir tourbillon l'accompagnant tousjours,
Consultent les moyens d'en affoiblir le cours.
Apres mille projets, leur profonde malice,
Enfin se determine au damnable artifice,
D'inspirer au soldat le penser libertin,
De faire, sur sa route, un infame butin.
Des cavernes d'horreur, qu'enferme le bas monde,
La plus grande et plus noire est une grotte immonde,
Qui, couvant une molle et piquante chaleur,
Sous ombre de plaisir, n'enfante que douleur.
Cette grotte, formée, et de boüe, et de braise,
Du charnel asmodée est la sale fournaise,
Où, dans un feu cuysant il forge des appas,
Qui, par de beaux sentiers, meinent l'homme au trespas.
C'est luy qui seul au camp cette fureur inspire;
Ce n'est plus qu'à ce but que le françois aspire,
Et rares sont les coeurs, qui, d'un si doux poison,
Puissent, par leur vertu, preserver leur raison.
Pour des filles sans honte, il fait naistre, en leurs ames,
D'impudiques desirs, et de lascives flammes;
Par ce venin charmant, le soldat empesté
Court avec moins de force, et de legereté.
Du desordre des siens, la pucelle indignée
Passe, de rang en rang, du prince accompagnée,
Ecarte, d'un clin d'oeil, ces criminels objets,
Et de l'esprit impur estouffe les projets.
Ainsi, quand le sommeil assoupit la nature,
Les nocturnes oyseaux, de malheureux augure,
Quittent leurs sombres toits, et, d'un long sifflement,
Viennent troubler le sein du venteux element.
Mais à peine le jour rougit les bords du Gange,
Que la bande funeste en ses ombres se range;
L'aurore en purge l'air, et sa vive clarté,
Par leur esloignement, luy rend la pureté.
Le terrible regard de la sainte guerriere,
Redonne aux bataillons leur chasteté premiere;
À leur desreglement succede la pudeur,
Et leur cours recommence, avec la mesme ardeur.
Il n'est point de vaisseau, qui, d'un cours plus rapide,
Raze les vastes champs de l'empire liquide,
Lors que, dans tous ses masts, le pilote sçavant,
Par pouppe, a recueilly tout le souffle du vent.
Le Loin fleuve profond, favorable à leur course,
Retient ses claires eaux captives dans sa source,
Laisse ecouler le reste, et par tout abbaissé,
Par tout devient gueable, et par tout est passé.
Ils laissent Montargis, et tousjours gaignent terre;
La fille les devance, et va sommer Auxerre,
L'habitant luy promet d'admettre le françois,
Et du monarque armé reconnoistre les loix.
Elle en tire parole, et traverse l'Yonne;
De frayeur à son nom la province frissonne;
Tout redoute son bras, tout fremit à sa voix,
Et rien devant ses yeux n'ose paroistre anglois.
Elle observe, par tout, la campagne semée
De charrois destinés aux besoins de l'armée;
Elle voit, en tous lieux, les diligens meusniers,
De bleds nouveaux batus espuiser les greniers.
Sous le vent, et sous l'onde, elle voit cent machines
Changer les grains broyés en de blanches farines,
Et leur masse paistrie, à l'ayde du levain,
Dans les fours embrasés se convertir en pain.
Elle retourne alors, et, sur un pont fragile,
Trouve Charles qui passe, au dessous de la ville,
Se reconnoist deceüe, et voit, au mesme instant,
Quelle ruse a sauvé le parjure habitant.
Son ange l'eclaircit, et descouvre à son ame
Le pacte criminel, et le commerce infame,
Par qui, de son jaloux le credit acheté
A le mur auxerrois du passage exemté.
En ces termes, alors, au prince elle s'addresse;
Quoy! Des le premier pas monstrer de la foiblesse?
Souffrir que ce rempart soit fermé devant toy,
Qu'il mesprise ton sceptre, et te donne la loy!
Est-ce là donc l'essay de ce que tu peux faire?
Est-ce ainsi que ton bras force ton adversaire?
Ô toy, dont l'interest est toute la vertu,
D'un conseil si fatal comment respondras-tu?
À ce reproche amer, à ce langage masle,
Le prince devient rouge, Amaury devient pasle;
Ils ne repartent rien, et, poursuyvant leur cours,
Laissent sens à leur gauche, et s'avancent tousjours.
Le camp, par le plus droit, prend la route de Troye;
La sainte va devant luy preparer la voye;
Mais son projet est vain, et ses pas superflus,
Elle somme la place, et n'en a qu'un refus.
Depite elle revient, et, du roy mal contente,
Le trouve dans son throsne, au milieu de sa tente,
Au milieu de ses chefs, par son ordre assemblés,
Pour redonner le calme à ses esprits troublés.
Depuis qu'aux yeux de tous la vaillante pucelle
Exposa d'Amaury le trafic infidelle,
Emporté de fureur, et de honte confus,
Il luy fit guerre ouverte, et ne l'espargna plus.
La crainte de perir, s'il eust feint davantage,
Plus que jamais, contre elle, envenime sa rage;
Et, mettant sous les pieds, et justice, et raison,
Sur elle, aupres du prince, il vomit son poison.
Desormais, luy dit-il, sans une horrible offense,
Je ne puis voir ta perte, et garder le silence;
Cette fille insensée est l'escueil de ton sort;
Tu n'en dois, ni n'en peux, attendre que la mort.
Sous un cerveau leger, ta grandeur s'humilie,
Prenant, pour feu divin, ce qui n'est que folie;
Et cet eclat, qui brille en sa temerité,
Impose à ta sagesse, et surprend ta bonté.
Ce n'est rien qu'un ardent, qui meine au precipice;
Il faut, si tu le suis, que ta gloire perisse;
Ah! Dessille tes yeux, qu'un nüage à couverts,
Et voy, devant tes pas, cent abysmes ouverts.
L'enfer ces mots appuye, et leur force imprimée
Dans le sein des vieillards qui regissent l'armée,
Corrompant, tout à coup, les plus sages esprits,
Rend la fille, pour eux, un objet de mespris.
Le prince les convoque en sa royale tente,
Et demande remede au mal qui le tourmente;
Ils parlent tour à tour, et font egalement
De l'illustre guerriere un mauvais jugement.
Renaud, grave prelat, et par qui Charles mesme
Doit voir ceindre son front du sacré diademe,
Non moins qu'eux infecté de l'infernal poison,
Dans la commune erreur, laisse aller sa raison.
Sur ce temps au conseil arrive la pucelle;
Tous, sans deliberer, se levent devant elle;
Ils se sentent forcés à ce juste devoir,
Et sa presence auguste à sur eux ce pouvoir.
D'un faux espoir, dit-elle, on te vouloit repaistre;
Charles, le fier troyen, te refuse pour maistre;
De rentrer sous tes loix en vain je l'ay sommé,
Dans sa rebellion, l'injuste est confirmé.
Et, voila le beau fruit que nous produit Auxerre;
Ce mur, donté par nous, eust finy nostre guerre,
Ce mur, laissé par nous, prolonge nos travaux;
Ô, que la soif de l'or nous coustera de maux!
Renaud prend la parole, et dit, brave guerriere,
Qui nous as engagés dans cette aspre carriere,
Tu nous dois pardonner, si nous ne croyons pas
Te devoir faire, en tout, la regle de nos pas.
Nous craignons que le feu de ton zele celeste,
À ce valeureux camp ne devienne funeste;
Nous craignons que le feu de ta haute valeur,
N'attire sur ton roy quelque insigne malheur.
L'ennemy nous resiste, et nous ferme la Seine;
Nostre canon se lasse, et ne nous suit qu'à peine;
On va voir, dans ces champs, nos drappeaux s'affamer,
Et, par un si grand chaud, leur force consumer.
À ces difficultés il n'est point de remede;
Il faut que, malgré nous, nostre vertu leur cede;
Nous tenterions les cieux, les voulant surmonter,
Et nous les craignons trop, pour les vouloir tenter.
Il n'est point de salut, qu'en la retraitte pronte;
Nous mourrons autrement, et mourrons avec honte;
Nous avons assés fait d'avancer jusqu'icy;
Du pouvoir des françois l'anglois est eclaircy.
Sans plus rien hazarder, conservons l'avantage,
Que l'estat et le roy doivent à ton courage;
Laissons là cette Troye imprenable à nos mains,
Et cessons de courir apres des songes vains.
Formons d'autres projets, prenons d'autres brisées,
Allons à nostre but par des routes aisées,
Allons mesme à Paris, si tes rares exploits
N'ont pas, sous Orleans, assés vaincu l'anglois.
Durant tout ce discours, la fille impatiente
A peine à retenir sa colere boüillante;
Elle s'eschappe enfin, et, par un grand eclat,
Releve ainsi l'erreur du timide prelat.
Quoy! Ces lasches conseils, honteux à la couronne,
Mais plus honteux encore à celuy qui les donne,
Trouveront en ce lieu qui leur applaudira,
Et le ciel offensé, sans foudres, le verra.
Renaud qu'est devenu ce coeur si magnanime?
En cette occasion ta foiblesse est un crime;
De tous ces genereux, nul n'estoit plus que toy
Obligé, par sa charge, à n'avoir point d'effroy.
Dans ce que ta frayeur t'inspire et nous propose,
Dieu te voit aujourd'huy deserteur de sa cause,
Devant son tribunal dautant plus criminel,
Que tu dois accomplir le sacre solennel.
Du criminel anglois tu te rends le complice,
Tu repousses la France au bord du precipice,
Et, non moins que Betford, à Charles inhumain,
Tu luy fais retomber le sceptre de la main.
L'art de mes envieux, et l'infernale flamme,
Ont porté leur venin, jusqu'au fond de ton ame;
Du sentier de justice ils t'ont fait escarter,
Et de mon saint envoy t'ont fait mesme douter.
Mais doute, si tu veux, apres tant de merveilles,
Demens tes propres yeux, et tes propres oreilles,
Dieu n'en est pas moins Dieu, ni son oeuvre divin
N'en ira pas moins viste à son heureuse fin.
Ces obstacles puissans, qui troublent ta sagesse,
Ne pourront rendre vain l'effet de ma promesse;
De tous mes ennemis je rompray les desseins,
Et, malgré les enfers, mettray Charles dans Rheims.
Je veux qu'avant trois jours cette imprenable Troye
Craigne son bras vainqueur, et devienne sa proye;
Sans canon, sans assaut, ouy, je veux, dans trois jours,
Planter mon estandard au plus haut de ses tours.
Le prelat, à ces mots, demeure sans replique;
Charles sent rallumer son ardeur heroique;
Gillon d'horreur frissonne, et de son Amaury
Voit avec desespoir l'artifice pery.
Ainsi, lors que le sud, des monts de Barbarie,
Sur l'humide element s'est lancé de furie,
Et que son moite souffle, aux plus tranquilles flots,
Jusques sous les rochers, a ravy le repos;
Si Thetis sort de l'onde, et, d'une voix severe,
À l'orgueilleux Autan tesmoigne sa colere,
Il perd soudain l'haleine, et ne l'agite plus;
Eole s'en afflige, et demeure confus.
La guerriere à l'instant, d'un saint zele animée,
Vers le rebelle mur fait marcher son armée,
Et le matin suyvant, des nombreux bataillons,
Non loin de ses fossés, dresse les pavillons.
Le canon luy manquoit; mais, sans le canon mesme,
Elle veut l'emporter, par un saint stratageme;
Son ange le luy dicte, et la faveur des cieux
En rend l'evenement utile et glorieux.
Comme pour faire breche au moins fort de la place,
Elle eleve en deux lieux une double terrace,
La forme en batterie, et, par ces deux travaux,
Menace les remparts de deux puissans assauts.
L'ange, afin de haster la victoire promise,
De l'affreuse terreur implore l'entremise,
Et, de la part du ciel, la presse vivement
D'aller chez l'ennemy jetter l'estonnement.
Invisible et rapide, elle prend sa volée,
Et, parmy les anglois adroitement coulée,
Leur fait voir dix canons, deçà, delà pointés,
Et prests à foudroyer les boulevards centés.
L'orgueil cede à l'effroy, dans ces ames altieres;
Elles n'esperent plus qu'en leurs seules prieres,
Renoncent à la guerre, et, pour signe de paix,
Se monstrent sur leurs murs, sans piques, et sans traits.
La sainte, au saint des saints rend graces immortelles,
Par accord prend la ville, et pardonne aux rebelles;
L'anglois est jusqu'à Sens seurement escorté;
L'habitant à son roy jure fidelité.
Du progres merveilleux le françois, plein de joye,
Ne sçait s'il le doit croire, encore qu'il le voye;
La fille en tous les coeurs redouble son credit,
Amaury le remarque, et demeure interdit.
Le camp passe la Seine, et rien plus ne l'arreste;
Sans faire de combat, Charles fait sa conqueste;
Tous lieux luy sont ouverts, tous murs luy sont livrés,
Et sont tous moins conquis, qu'ils ne sont delivrés.
Chalons, place fidelle, et chef de la province,
Fait sortir tout son peuple, au devant de son prince,
Et, d'un zele enflammé l'appellant dans son sein,
Le confirme en l'espoir d'accomplir son dessein.
Le monarque se loge au pied de la muraille;
Mais du sacre divin le desir le travaille;
Il bat aux champs des l'aube, et, desployant ses corps,
De l'ondoyante Marne abandonne les bords.
Il va d'un cours rapide, et s'avance vers l'Aisne;
Son bras n'a plus que Rheims à tirer de la chaisne;
L'angloise garnison tremble dans son rempart;
L'habitant se sousleve, et l'oblige au depart.
Le camp survient alors, et, guidé par la sainte,
Entre en la sainte ville, et remplit son enceinte;
Mais, pour ses murs estroits, il se trouve trop grand,
Et, sur les lieux voysins, ses brigades respand.
Ainsi, lors qu'un ruisseau, grossi par un orage,
A brisé les rochers, qui bouchoient son passage,
Et, par mille degasts, dans son cours escumeux,
Aux despens des vallons est devenu fameux;
De destroit en destroit, s'il gaigne enfin la plaine,
Et n'est plus retenu que par un peu d'arene,
Son flot impetüeux regorge sur son lit,
Et, sous ses gros boüillons, la plaine ensevelit.