DOIT-ON LE DIRE? (Le Matin, 25 décembre 1913)
-Est-ce que vous le lui direz, vous, à votre fille, que le bonhomme Noël et le
petit Jésus descendent dans la cheminée? Doit-on le dire ou ne pas le dire?
Je n'y avais pas pensé! Oui... Non...
-Voyons, quand vous étiez petite, quand vous aviez l'âge des souliers dans la
cheminée...
Mais l'enfant d'un village qui laisse, indifférent, s'effriter son église,
fêtait seulement le Nouvel an et n'a pas connu les sabots de Noël...
-C'est pourtant une chose délicieuse et touchante chez nos petits, cette
acceptation tranquille du miracle, et l'attente du donateur divin, et l'intimité
tutoyeuse dans laquelle ils se mettent à vivre avec le petit Jésus, saint
Nicolas, la Vierge... Allez, allez, laissez-leur, ménagez-leur un petit coin de
merveilleux dans leur vie ; elle aura bien le temps, votre fille, de ne plus
croire à rien, et vous celui de la détromper!...
La détromper... Oui, mais alors il faut que, jusque-là, je la trompe? Elle
croira donc au bonhomme Noël -ou bien elle fera semblant d'y croire, et sa
feinte, si je la découvre, m'humiliera. Si elle y croit, j'imagine déjà, avec
malaise, le jour où je devrai, d'un mot, éteindre la lueur boréale qui nimbe
l'Enfant Jésus de décembre, effacer ses pas divins sur la neige, et fondre le
givre étincelant qui raidit la barbe du bonhomme Noël...
Non, je ne le dirai pas. Car ce doit être un moment assez redoutable que celui
où on se trouve devant un petit enfant sévère qui vous demande : « Pourquoi
m'as-tu menti? »