Ballade De François Coppée.
à son maître Théodore de Banville.
Sur leur commun Amour de la Poésie.
T u l'as bien dit, mon bon maître Banville,
Les temps sont durs pour les pauvres rimeurs.
Nous ignorons, ne dînant guère en ville,
Les crus classés et les fines primeurs,
Et tout le gain est pour nos imprimeurs.
Ce siècle est vieux, porte de la flanelle,
Et n'entend plus sonnet ni villanelle;
Pourtant le Luth est là, qu'il faut saisir.
Comme Caussade a tué La Tournelle,
Faisons des vers pour rien, pour le plaisir!
La politique est un plat vaudeville;
La soif de l'or aigrirait nos humeurs.
Laissons les sots traiter de chose vile
Nos rêves bleus d'amants et de fumeurs
Et dire, ô rythme immortel, que tu meurs!
Le philistin, à la voix solennelle,
Peut s'enrouer comme Polichinelle;
Laissons-le geindre et gronder à loisir.
Foin du bon sens de madame Pernelle!
Faisons des vers pour rien, pour le plaisir!
Le coeur joyeux, sans soin bas et servile,
Abandonnons le monde et ses clameurs.
Allons-nous-en par les bois de Chaville,
Ou sur la Seine aux doux flots endormeurs,
Pour y chanter des chansons de rameurs.
Un libre esprit nous toucha de son aile
Et la nature est pour nous fraternelle;
D'aucun sultan nul de nous n'est vizir
Et n'a blessé même une coccinelle.
Faisons des vers pour rien, pour le plaisir!
ENVOI
O maître! 6 toi que la Muse éternelle
Sur le Parnasse a mis en sentinelle
Et pour son preux entre tous sut choisir,
Notre oeuvre est bonne et nous croyons en elle;
Faisons des vers pour rien, pour le plaisir!