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 François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE IX

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MessageSujet: François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE IX   François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE   IX Icon_minitimeSam 14 Juil - 0:12

IX


'est à ce beau rêve qu'Armand venait d'être brusquement arraché.
Sa mère savait tout, sa mère admirable, qu'il aimait de tout son coeur, mais
dont il connaissait bien le caractère jaloux, les sentiments despotiques et
passionnés. Il eut la prévision que ce serait terrible, qu'il allait souffrir et
faire souffrir.
En effet, la lutte s'engagea tout de suite.
Un peu avant l'heure du dîner, Armand, selon son habitude, alla rejoindre sa
mère dans son boudoir. Il y entra, pour la première fois, ce jour-là, les yeux
baissés, le front lourd, le coeur plein d'angoisse et de confusion. Mais,
lorsqu'il vit Mme Bernard assise à sa place ordinaire, devant son canevas de
tapisserie, il revécut, dans un éclair d'imagination et de mémoire, toute son
heureuse enfance; et, ne pouvant supporter l'idée qu'il y avait un obstacle, un
rempart entre sa mère et lui, et qu'il n'était plus le fils unique et bien aimé
d'autrefois, il s'élança vers elle, les bras tendus, les mains tremblantes, avec
un regard qui demandait pardon.
Mais elle l'arrêta d'un geste bref, d'un geste de refus, et lui jeta un «non, je
t'en prie», qui rappela le jeune homme à la douloureuse réalité et lui glaça le
sang dans les veines.
Le domestique ayant annoncé que le dîner était servi, ils passèrent dans la
salle à manger et se mirent silencieusement à table.
Ce repas du soir avait toujours été pour eux un bon moment. Ils y parlaient des
menus faits du jour, faisaient des projets pour le lendemain, se reposaient en
une douce et confiante causerie. Mais, ce jour-là, deux convives invisibles, la
colère et la honte, avaient pris place à la table de famille. Le fils et la mère
touchèrent à peine aux plats qu'on leur servit, et ne s'adressèrent pas une
parole.
Ils revinrent au boudoir, où deux lampes, allumées trop tôt, brillaient
faiblement dans le crépuscule triste des longs jours; et quand le domestique,
après avoir servi le café, les eut laissés seuls, Mme Bernard rompit brusquement
le silence et dit à son fils, d'une voix amère:
-Tu vas, ce soir, à ta conférence, n'est-ce pas?
Il avait, en effet, rendez-vous avec Henriette, et, rougissant dans l'ombre, il
ne sut que balbutier, dans son trouble:
-Ma mère!...
Alors, Mme Bernard éclata.
-Va, s'écria-t-elle en tremblant d'indignation, va retrouver ta maîtresse!
Désormais, pour cela, tu n'auras plus besoin de mentir. Car tu m'as menti, tu
m'as indignement trompée! Ah! cela commence bien, tes amours! Cette fille t'a
déjà fait commettre une bassesse. Je frémis en me demandant ce que cette
malheureuse fera de toi, et jusqu'où elle pourra te mener. Va la retrouver, mon
garçon. Je ne te retiens pas.
Mais elle s'interrompit en entendant son fils qui sanglotait.
-Tu pleures! dit-elle d'une voix plus douce.
Il se jeta à ses pieds, lui couvrit les mains de baisers et de larmes.
-Pardonne-moi, ma mère chérie, murmura-t-il. Pardonne-moi, maman, de te faire de
la peine... Mais, si tu savais!... Je l'aime!...
Ce mot arrêta net, chez Mme Bernard, l'attendrissement qui commençait à la
gagner.
-Tu l'aimes! dit-elle,-et son accent vibrait d'une farouche ironie,-tu aimes ma
couturière! Mais, malheureux enfant, ce n'est pas sérieux. Tu es fou!... J'avais
espéré, oui, j'avais eu la niaiserie de croire que tu passerais purement et
fièrement ta première jeunesse, jusqu'au jour où je t'aurais marié à quelque
belle jeune fille. Cela, c'était mon illusion, je l'avoue, et tu la brises bien
cruellement. Pourtant, je n'étais pas déraisonnable. J'étais prête à comprendre,
à excuser un entraînement, un coup de passion. Vingt ans sont vingt ans, je le
sais bien... Mais toi! toi! suivre le premier jupon venu! Faire attention à
cette ouvrière, si commune, à peine jolie! Vraiment, je t'aurais cru plus
dégoûté!... En voilà assez! Je compromettrais ma dignité de mère et d'honnête
femme à parler plus longtemps d'une telle turpitude. Avec ta permission, nous
n'ouvrirons plus la bouche sur ce sujet. J'ai même eu tort de m'emporter, de te
faire des reproches. Laisse-moi espérer que tu ne tarderas pas à t'en adresser
toi-même, et de plus sévères que les miens... Une drôlesse pour qui j'ai eu de
la bonté! Une misérable petite intrigante que j'avais protégée, attirée chez
moi, et qui débauche mon fils!... Non! Armand, ce n'est pas sérieux. Tu ne sais
ce que tu dis. Et bientôt, demain peut-être, quand tu auras un peu réfléchi,
quand ton détestable caprice aura passé, tu rougiras d'avoir osé me dire que tu
aimais cette fille!
Comme elle s'y prenait mal, la pauvre femme! Comme elle avait tort d'offenser
son fils dans son amour! Déjà, il n'était plus à ses genoux, il ne pleurait plus
sur ses mains, avec des cajoleries de petit enfant. Tout frémissant, il s'était
relevé, et, respectueux, mais les yeux secs, la voix enrouée:
-Je t'en supplie, ma mère, lui disait-il, ne parle plus ainsi! Tu ne connais pas
la pauvre fille, tu es injuste pour elle!... Et, puisque je ne puis la défendre
qu'en t'avouant tout... sache donc... que je suis le premier...
Mais il ne put achever sa phrase. Mme Bernard venait d'éclater d'un rire
insultant, épouvantable. Puis, se redressant de toute sa taille, hautaine,
impérieuse, le regard noir et méchant:
-Plus un mot là-dessus, ordonna-t-elle, entendez-vous, mon fils?-Et ce «vous»,
qu'elle lui disait pour la première fois, frappa le jeune homme comme un coup de
couteau.-Plus un mot là-dessus! Je vois que vous êtes encore plus dupé, plus
aveuglé que je ne supposais. Gardez pour vous vos confidences, et laissez-moi.
Cette demoiselle vous attend, sans doute, et un gentleman ne doit jamais être en
retard.
Et laissant Armand prostré de douleur, Mme Bernard s'enfuit dans sa chambre à
coucher.
Elle y resta assez longtemps, dans les ténèbres. Elle sentait monter, gronder,
dans son coeur et dans son cerveau, un soulèvement de colère, une tempête de
haine contre cette Henriette, contre cette femme de rien qui lui avait pris
l'innocence et aussi, croyait-elle, l'amour de son fils. A présent, elle
revoyait par le souvenir le joli profil de l'ouvrière, son air de réserve, sa
grâce naturelle. Non! cette petite n'était ni laide, ni vulgaire. Elle pouvait
plaire, être aimée. Cette pensée remplissait de rage la mère au coeur exigeant,
la veuve autrefois dédaignée par son mari. Elle détestait Henriette comme une
ennemie, comme une rivale.
Alors, pendant quelques instants, Mme Bernard des Vignes, la femme pieuse et
bien élevée, qui avait vécu dans le monde et brillé jadis à la cour, redevint la
sauvage paysanne des maquis de Sartène, la fille du vieil Antonini, et sentit
courir dans ses veines le sang corse, le sang brûlé de rancune et prompt à la
vendetta. Si, par impossible, elle avait vu paraître à ses yeux, en ce moment,
la maîtresse de son fils, elle se serait jetée sur elle comme une bête furieuse;
et lui aurait balafré le visage d'une croix au stylet.
Ce désir affreux la réveilla en sursaut, pour ainsi dire. Elle le chassa avec
horreur, eut dégoût et pitié d'elle-même. Puis elle pensa tout à coup à son fils
avec une soudaine indulgence, une faiblesse toute maternelle. Elle avait été
trop sévère. Il faut que jeunesse se passe. Son Armand était bon, l'aimait,
malgré tout. Quand même il aurait un petit sentiment pour cette Henriette, cela
ne pouvait durer. D'ailleurs, jamais elle n'admettrait qu'Armand eût été le
premier amant de cette fille. Une ouvrière en journées, allant où elle veut,
sortant quand elle veut! A Paris! Allons donc! Son fils se lasserait vite d'une
pareille liaison. Les goûts, les habitudes de cette faubourienne le choqueraient
tôt ou tard.
Qui sait? C'est peut-être déjà fait. Et puis, n'est-il pas capable de sacrifier
ce caprice au repos de sa mère? Mais oui, cent fois oui! Peut-être y songe-t-il
déjà? Peut-être, tandis qu'elle se désole, est-il encore là, à deux pas d'elle,
dévoré de regrets, le pauvre enfant! et prêt à promettre, à jurer que c'est bien
fini?
Grisée de cette subite espérance, elle retourne, elle court à son boudoir.
Armand n'y est plus. Et comme le domestique arrive, apportant les journaux du
soir:
-Monsieur Armand est donc sorti? demande-t-elle, espérant qu'on lui dira non,
qu'il est encore à la maison, qu'il vient de rentrer dans sa chambre.
-Oui, madame, lui répond la voix froide du laquais. Monsieur Armand est sorti,
il y a un quart d'heure.
Profondément découragée, Mme Bernard se laisse tomber alors sur sa chaise longue
et s'abandonne au fil de sa tristesse. Il lui semble-et c'est une sensation
presque physiquement douloureuse-que quelque chose s'est écroulé et brisé dans
son coeur. Sur le panneau, devant elle, elle regarde machinalement son propre
portrait en grande toilette de bal, que, pendant sa courte lune de miel, son
mari a fait peindre autrefois par Dubufe. Et, dans le tableau baigné d'ombre,
elle voit se dresser le spectre de sa jeunesse et de sa beauté. Pourquoi donc
lui passe-t-il par la tête, le prélude de cette valse de Strauss, qu'on jouait
le jour où son père l'a présentée au bal des Tuileries?...
Allons! du courage! Il faut secouer cet accablement, penser à autre chose. Elle
fait sauter la bande d'un journal, le déplie, mais, sur la première page, un nom
lui saute aux yeux, un nom qui la fait tressaillir.
Le colonel de Voris, qui est actuellement au Tonkin, où il commande une des
colonnes du corps expéditionnaire, vient d'être nommé général, à la suite d'une
série de brillants faits d'armes contre les Pavillons-Noirs.
M. de Voris! Comme elle a été dure pour ce noble soldat, pour ce parfait
gentilhomme! Elle se rappelle sa longue fidélité, sa respectueuse attente. C'est
le seul homme qui se soit autant approché de son coeur. Et pourtant, à cause
d'Armand, elle l'a repoussé, exilé loin d'elle. Qu'est-il allé chercher sous ce
climat meurtrier, dans cette guerre obscure et sans gloire? L'oubli, peut-être
la mort. Un de ces jours,-oh! c'est affreux!-elle apprendra que ce héros qui l'a
tant aimée est mort là-bas dans les fétides marécages, lentement consumé par la
fièvre, ou bien qu'il a été hideusement torturé et mutilé par les hommes jaunes.
Et ce sera sa faute, à elle! Car c'est elle qui a désespéré M. de Voris, pour se
dévouer toute à ce fils ingrat qui l'abandonne aujourd'hui.
Ah! cruel enfant!
Elle touche le fond de la mélancolie. Elle a laissé tomber le journal sur le
tapis. Devant elle, dans la demi-obscurité qui le transfigure, le grand portrait
la regarde avec des yeux tristes et sévères, semble pleurer sur elle et lui
reprocher d'avoir ainsi perdu, gâché sa vie. Au dehors, la grande ville, qui ne
s'endort jamais, pousse son éternel murmure. Et Mme Bernard revient encore à son
idée fixe. A cette heure, quelque part dans ce grand Paris, son fils est dans
les bras d'une maîtresse, d'une femme qu'il aime mieux qu'elle. Et, se cachant
tout à coup le visage dans ses mains, la pauvre mère pleure à chaudes larmes.
Hélas! hélas! C'est la loi de nature. Le petit oiseau a pris des forces, ses
plumes ont poussé, ses ailes frémissent. Impatient de liberté, il se penche au
bord du nid, et, malgré les petits cris de sa mère éperdue, il s'envole, il
s'est envolé!




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