III
D'un geste, l'Empereur interrompt la lecture.
Il est debout. Il pense à son fils, - ô torture! -
A l'enfant dérobé qu'il ne reverra pas.
Les mains jointes au dos, tête basse, à grands pas,
Il marche. Qu'a-t-on fait du roi de Rome, à Vienne?
Il l'ignore, et pourtant il faut qu'il se souvienne
Que le pauvre petit pleurait, les bras au cou
Du digne Menneval et criait : « Maman Quiou! »
Quand on chassa ses seuls amis venus de France.
O'Méara devant cette atroce souffrance
Reste muet, n'osant tenir ses yeux levés.
Mais l'Empereur s'assied et lui dit :
« Poursuivez. »
L'Irlandais reprend donc :
« Je sais par coeur ta lettre
«M'annonçant que tes chefs t'ont bien voulu promettre
«Que, dans un an, - hélas! un an d'absence encor! -
u Tu reviendras avec le grade de major.
«Même, auprès du vieux Tom, ton fils déjà s'informe
«Des insignes nouveaux qu'aura ton uniforme.
«Toi, mon cher Paul, toujours si bon, si généreux,
«Te voilà, m'écris-tu, d'avance très heureux
«Que ta famille soit enfin hors de la gêne.
u J'espère donc t'avoir à la Christmas prochaine;
«Mais j'ai toujours mon gros souci - l'air empesté
«De cette île. Que Dieu veille sur ta santé!
«Je prierai bien pour toi, ce soir, et je vais faire
«Prier ton cher petit pour son excellent père.
«L'enfant de Bethléem qui naquit aujourd'hui
«Doit écouter surtout les enfants comme lui.
«De toute la ferveur de nos âmes chrétiennes,
«Nous prierons, Dick et moi, pour que tu nous reviennes
«Sans mal et sois reçu, bien portant, dans nos bras;
«Et nous prierons aussi pour tous ceux que, là-bas,
«Menace, comme toi, ce climat délétère,
« Même... Oui, malgré le mal qu'il fit à l'Angleterre...
«En ce jour où parut le Rédempteur promis,
«Nous devons pardonner à tous nos ennemis...
«Oui, nous prierons pour le captif de Saint-l-Iélène. »
Le lecteur s'interrompt encore. Il sait la haine
Que pour Napoléon nourrit tout coeur anglais.
Mais l'Empereur, fronçant les sourcils, dit :
« Après?
- « Comprends-moi bien, cher Paul. Si je prie et pardonne.
«Ce n'est pas seulement parce que me l'ordonne
«L'enfant qu'ont adoré les pasteurs et les rois.
«Non, de ce prisonnier j'ai rêvé bien des fois.
«Sa gloire, sa grandeur, sa chute, son génie,
«Ne sont pour rien, crois-moi, dans la peine infinie
«Que me cause le sort de cet infortuné.
«C'est de notre bonheur de famille qu'est né
«Mon instinct de pitié sincère pour cet homme.
«Je songe à l'Autrichienne, au petit roi de Rome...
«Pour sa femme, il est tel qu'un mort, de son vivant,
«Et l'on voudrait qu'il fût haï par son enfant!...
«Aucune douleur n'est aussi cruelle, aucune!
«Ce bonheur que, modeste officier de fortune,
«Tu possèdes, - un fils par sa mère élevé
«Dans l'amour filial, - ce père en est privé.
«Qu'on le torture ainsi, vraiment, c'est trop inique.
«Quel calvaire! Il ne sait rien de son fils unique!
«C'est pour ce malheureux que notre enfant priera... »