PLUME DE POÉSIES
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 Gérard De Nerval (1808-1855) 2e lettre. Un paléographe.

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Inaya
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Gérard De Nerval (1808-1855)  2e lettre. Un paléographe.  Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) 2e lettre. Un paléographe.    Gérard De Nerval (1808-1855)  2e lettre. Un paléographe.  Icon_minitimeJeu 30 Aoû - 22:12

2e lettre. Un paléographe. - Rapports de police en 1709. - Affaire Le Pileur. -
Un drame domestique.

Il est certain que la plus grande complaisance règne à la Bibliothèque
nationale. Aucun savant sérieux ne se plaindra de l'organisation actuelle; -
mais quand un feuilletoniste ou un romancier se présente, "tout le dedans des
rayons tremble". Un bibliographe, un homme appartenant à la science régulière
savent juste ce qu'ils ont à demander. Mais l'écrivain fantaisiste, exposé à
perpétrer un roman-feuilleton, fait tout déranger, et dérange tout le monde pur
une idée biscornue qui lui passe par la tête.
C'est ici qu'il faut admirer la patience d'un conservateur, - l'employé
secondaire est souvent trop jeune encore pour s'être fait à cette paternelle
abnégation. Il vient parfois des gens grossiers qui se font une idée exagérée
des droits que leur confère cet avantage de faire partie du public, - et qui
parlent à un bibliothécaire avec le ton qu'on emploie pour se faire servir dans
un café. - Eh bien, un savant illustre, un académicien, répondra à cet homme
avec la résignation bienveillante d'un moine. Il supportera tout de lui de dix
heures à deux heures et demie, inclusivement.
Prenant pitié de mon embarras, on avait feuilleté les catalogues, remué jusqu'à
la réserve, jusqu'à l'amas indigeste des romans, - parmi lesquels avait pu se
trouver classé par erreur l'abbé Bucquoy; tout d'un coup un employé s'écria: -
Nous l'avons en hollandais! Il me lut ce titre: "Jacques de Bucquoy: -
Evénements remarquables..."
- Pardon, fis-je observer, le livre que je cherche commence par "Evénement des
plus rares..."
- Voyons encore, il peut y avoir une erreur de traduction: "...d'un voyage de
seize années fait aux Indes. - Harlem, 1744."
- Ce n'est pas cela... et cependant le livre se rapporte à une époque où vivait
l'abbé de Bucquoy; le prénom Jacques est bien le sien. Mais qu'est-ce que cet
abbé fantastique a pu aller faire dans les Indes?
Un autre employé arrive: on s'est trompé dans l'orthographe du nom; ce n'est pas
de Bucquoy; c'est du Bucquoy, et comme il peut avoir été écrit Dubucquoy, il
faut recommencer toutes les recherches à la lettre D.
Il y avait véritablement de quoi maudire les particules des noms de famille!
Dubucquoy, disais-je, serait un roturier... et le titre du livre le qualifie
comte de Bucquoy!
Un paléographe qui travaillait à la table voisine leva la tête et me dit: "La
particule n'a jamais été une preuve de noblesse; au contraire, le plus souvent,
elle indique la bourgeoisie propriétaire, qui a commencé par ceux que l'on
appelait les gens de franc-alleu. On les désignait par le nom de leur terre, et
l'on distinguait même les branches diverses par la désinence variée des noms
d'une famille. Les grandes familles historiques s'appellent Bouchard
(Montmorency), Bozon (Périgord), Beaupoil (Saint-Aulaire), Capet (Bourbon), etc.
Les de et les du sont pleins d'irrégularités et d'usurpations. Il y a plus: dans
toute la Flandre et la Belgique, de est le même article que le der allemand, et
signifie le. Ainsi, de Muller veut dire: le meunier, etc. - Voilà un quart de la
France rempli de faux gentilshommes. Béranger s'est raillé lui-même très
gaiement sur le de qui précède son nom, et qui indique l'origine flamande."
On ne discute pas avec un paléographe; on le laisse parler.
Cependant, l'examen de la lettre D dans les diverses séries de catalogues
n'avait pas produit de résultat.
- D'après quoi supposez-vous que c'est du Bucquoy? Dis-je à l'obligeant
bibliothécaire qui était venu en dernier lieu.
- C'est que je viens de chercher ce nom aux manuscrits dans le catalogue des
archives de la police: 1709, est-ce l'époque?
- Sans doute; c'est l'époque de la troisième évasion du comte de Bucquoy.
- Du Bucquoy!...c'est ainsi qu'il est porté au catalogue des manuscrits. Montez
avec moi, vous consulterez le livre même.
Je me suis vu bientôt maître de feuilleter un gros in-folio relié en maroquin
rouge, et réunissant plusieurs dossiers de rapports de police de l'année 1709.
Le second du volume portait ces noms: "Le Pileur, François Bouchard, dame de
Boulanvilliers, Jeanne Massé, - comte du Bucquoy."
Nous tenons le loup par les oreilles, - car il s'agit bien là d'une évasion de
la Bastille, et voici ce qu'écrit M. d'Argenson dans un rapport à M. de
Pontchartrain:
"Je continue à faire chercher le prétendu comte du Buquoy dans tous les endroits
qu'il vous a pleu de m'indiquer, mais on n'a peu en rien apprendre, et je ne
pense pas qu'il soit à Paris."
Il y a dans ce peu de lignes quelque chose de rassurant et quelque chose de
désolant pour moi. - Le comte de Buquoy ou de Bucquoy, sur lequel je n'avais que
des données vagues ou contestables, prend, grâce à cette pièce, une existence
historique certaine. Aucun tribunal n'a plus le droit de le classer parmi les
héros du roman-feuilleton.
D'un autre côté, pourquoi M. d'Argenson écrit-il: le prétendu comte de Bucquoy?
Serait-ce un faux Bucquoy, - qui se serait fait passer pour l'autre... dans un
but qu'il est bien difficile aujourd'hui d'apprécier?
Serait-ce le véritable, qui aurait caché son nom sous un pseudonyme?
Réduit à cette seule preuve, la vérité m'échappe, - et il n'y a pas un légiste
qui ne fût fondé à contester même l'existence matérielle de l'individu!
Que répondre à un substitut qui s'écrierait devant le tribunal: "Le comte de
Bucquoy est un personnage fictif, créé par la romanesque imagination de
l'auteur!..." et qui réclamerait l'application de la loi, c'est-à-dire, peut-
être un million d'amende! ce qui se multiplierait encore par la série
quotidienne de numéros saisis, si on les laissait s'accumuler?
Sans avoir droit au beau nom de savant, tout écrivain est forcé parfois
d'employer la méthode scientifique; je me mis donc à examiner curieusement
l'écriture jaunie sur papier de Hollande du rapport signé d'Argenson. A la
hauteur de cette ligne: "Je continue de faire chercher le prétendu comte...", il
y avait sur la marge ces trois mots écrits au crayon, et tracés d'une main
rapide et ferme: "L'on ne peut trop." Qu'est-ce que l'on ne peut trop? -
Chercher l'abbé de Bucquoy, sans doute...
C'était aussi mon avis.
Toutefois, pour acquérir la certitude, en matière d'écritures, il faut comparer.
Cette note se reproduisait sur une autre page à propos des lignes suivantes du
même rapport:
"Les lanternes ont été posées sous les guichets du Louvre suivant votre
intention, et je tiendrai la main à ce qu'elles soient allumées tous les soirs."
La phrase était terminée ainsi dans l'écriture du secrétaire, qui avait copié le
rapport. Une autre main moins exercée avait ajouté à ces mots: "allumées tous
les soirs", ceux-ci: "fort exactement.".
A la marge se retrouvaient ces mots de l'écriture évidemment du ministre
Pontchartrain: "L'on ne peut trop."
La même note que pour l'abbé de Bucquoy.
Cependant, il est probable que M. de Pontchartrain variait ses formules. Voici
autre chose:
"J'ai fait dire aux marchands de la foire Saint-Germain qu'ils aient à se
conformer aux ordres du roy, qui défendent de donner à manger durant les heures
qui conviennent à l'observation du jeusne, suivant les règles de l'Eglise."
Il y a seulement à la marge ce mot au crayon: "Bon."
Plus loin il est question d'un particulier, arrêté pour avoir assassiné une
religieuse d'Evreux. On a trouvé sur lui une tasse, un cachet d'argent, des
linges ensanglantés et un gand. - Il se trouve que cet homme est un abbé (encore
un abbé!); mais les charges se sont dissipées, selon M. d'Argenson, qui dit que
cet abbé est venu à Versailles pour y solliciter des affaires qui ne lui
réussissent pas, puisqu'il est toujours dans le besoin. "Aincy, ajoute-t-il, je
crois qu'on peut le regarder comme un visionnaire plus propre à renvoyer dans sa
province qu'à tolérer à Paris, où il ne peut être qu'à charge au public."
Le ministre a écrit au crayon: "Qu'il luy parle auparavant." Terribles mots, qui
ont peut-être changé la face de l'affaire du pauvre abbé.
Et si c'était l'abbé de Bucquoy lui-même! - Pas de nom; seulement un mot: Un
particulier. - Il est question plus loin de la nommée Lebeau, femme du nommé
Cardinal, connue pour une prostituée... Le sieur Pasquier s'intéresse à elle...
Au crayon, en marge: "A la maison de Force. Bon pour six mois."
Je ne sais si tout le monde prendrait le même intérêt que moi à dérouler ces
pages terribles intitulées: Pièces diverses de police. Ce petit nombre de faits
peint le point historique où se déroulera la vie de l'abbé fugitif. Et moi, qui
le connais, ce pauvre abbé, - mieux peut être que ne pourront le connaître mes
lecteurs, - j'ai frémi en tournant les pages de ces rapports impitoyables qui
avaient passé sous la main de ces deux hommes, - d'Argenson et Pontchartrain.
Il y a un endroit où le premier écrit, après quelques protestations de
dévouement:
"Je saurais même comme je dois recevoir les reproches et les réprimandes qu'il
vous plaira de me faire..."
Le ministre répond, à la troisième personne, et, cette fois, en se servant d'une
plume: "...Il ne les méritera pas quand il voudra; et je serais bien fâché de
douter de son dévouement, ne pouvant douter de sa capacité."
Il restait une pièce dans ce dossier: "Affaire Le Pileur." Tout un drame
effrayant se déroula sous mes yeux.
Ce n'est pas un roman.
Un drame domestique - Affaire Le Pileur.
L'action représente une de ces terribles scènes de famille qui se passent au
chevet des morts, - dans ce moment si bien rendu jadis sur une scène des
boulevards, - où l'héritier, quittant son masque de componction et de tristesse,
se lève fièrement et dit aux gens de la maison: "Les clefs?"
Ici nous avons deux héritiers après la mort de Binet de Villiers: son frère
Binet de Basse-Maison, légataire universel, et son beau-frère Le Pileur.
Deux procureurs, celui du défunt et celui de Le Pileur, travaillaient à
l'inventaire, assistés d'un notaire et d'un clerc. Le Pileur se plaignit de ce
qu'on n'avait pas inventorié un certain nombre de papiers que Binet de Basse-
Maison déclarait de peu d'importance. Ce dernier dit à Le Pileur qu'il ne devait
pas soulever de mauvais incidents et pouvait s'en rapporter à ce que dirait
Châtelain, son procureur.
Mais Le Pileur répondit qu'il n'avait que faire de consulter son procureur;
qu'il savait ce qui était à faire, et que s'il formait de mauvais incidents, il
était assez gros seigneur pour les soutenir.
Basse-Maison, irrité de ce discours, s'approcha de Le Pileur et lui dit, en le
prenant par les deux boutonnières du haut de son justaucorps, qu'il l'en
empêcherait bien; - Le Pileur mit l'épée à la main, Basse-Maison en fit
autant... Ils se portèrent d'abord quelques coups d'épée sans beaucoup
s'approcher. La dame Le Pileur se jeta entre son mari et son frère; les
assistants s'en mêlèrent et l'on parvint à les pousser chacun dans une chambre
différente, que l'on ferma à clef.
Un moment après l'on entendit s'ouvrir une fenêtre; c'était Le Pileur qui criait
à ses gens restés dans la cour "d'aller quérir ses deux neveux".
Les hommes de loi commençaient un procès-verbal sur le désordre survenu, quand
les deux neveux entrèrent le sabre à la main. - C'étaient deux officiers de la
maison du roi; ils repoussèrent les valets, et présentèrent la pointe aux
procureurs et au notaire, demandant où était Basse-Maison.
On refusait de leur dire, quand Le Pileur cria de sa chambre: "A moi, mes
neveux!"
Les neveux avaient déjà enfoncé la porte de la chambre de gauche, et accablaient
de coups de plat de sabre l'infortuné Binet de Basse-Maison, lequel était, selon
le rapport, "hasthmatique".
Le notaire, qui s'appelait Dionis, crut alors que la colère de Le Pileur serait
satisfaite et qu'il arrêterait ses neveux; - il ouvrit donc la porte et lui fit
ses remontrances. A peine dehors, Le Pileur s'écria: "On va voir beau jeu!" En
arrivant derrière ses neveux, qui battaient toujours Basse-Maison, il lui porta
un coup d'épée dans le ventre.
La pièce qui relate ces faits est suivie d'une autre plus détaillée, avec les
dépositions de treize témoins, - dont les plus considérables étaient les deux
procureurs et le notaire.
Il est juste de dire que ces treize témoins avaient lâché pied au moment
critique. Aussi, aucun ne rapporte qu'il soit absolument certain que Le Pileur
ait donné le coup d'épée.
Le premier procureur dit qu'il n'est sûr que d'avoir entendu de loin les coups
de plat de sabre.
Le second dépose comme son confrère.
Un laquais nommé Barry s'avance davantage: - Il a vu le meurtre de loin par une
fenêtre; mais il ne sait si c'était Le Pileur ou un habillé de gris blanc qui a
donné à Basse-Maison un coup d'épée dans le ventre. Louis Calot, autre laquais,
dépose à peu près de même.
Le dernier de ces treize braves, qui est le moins considérable, le clerc du
notaire, a veu la dame Le Pileur faire main basse sur plusieurs des papiers du
défunt. Il a ajouté qu'après la scène, Le Pileur est venu tranquillement
chercher sa femme dans la salle où elle était, et "qu'il s'en alla dans son
carrosse avec elle et les deux hommes qui avaient fait la violence".
La moralité manquerait à ce récit instructif, touchant les moeurs du temps, - si
l'on ne lisait à la fin du rapport cette conclusion remarquable: "Il y a peu
d'exemples d'une violence aussi odieuse et aussi criminelle... Cependant, comme
les héritiers des deux frères morts se trouvent aussi beaux-frères du meurtrier,
on peut craindre avec beaucoup d'apparence que cet assassinat ne demeure impuni
et ne produise d'autre effet que de rendre le sieur Le Pileur beaucoup plus
traitable sur des propositions d'accommoder qui lui seront faites de la part de
ses cohéritiers, par rapport à leurs intérêts communs."
On a dit que dans le grand siècle, le plus petit commis écrivait aussi
pompeusement que Bossuet. Il est impossible de ne pas admirer ce beau
détachement du rapport qui fait espérer que le meurtrier deviendra plus
traitable sur le règlement de ses intérêts... Quant au meurtre, à l'enlèvement
des papiers, aux coups même, distribués probablement aux hommes de loi, ils ne
peuvent être punis, parce que ni les parents ni d'autres n'en porteront plainte,
- M. le Pileur étant trop grand seigneur pour ne pas soutenir même ses mauvais
incidents...
Il n'est plus question ensuite de cette histoire, - qui m'a fait oublier un
instant le pauvre abbé; - mais, à défaut d'enjolivements romanesques, on peut du
moins découper des silhouettes historiques pour le fond du tableau. Tout déjà,
pour moi, vit et se recompose. Je vois d'Argenson dans son bureau, Pontchartrain
dans son cabinet, le Pontchartrain de Saint-Simon, qui se rendit si plaisant en
se faisant appeler de Pontchartrain, et qui, comme bien d'autres, se vengeait du
ridicule par la terreur.
Mais à quoi bon ces préparations? Me sera-t-il permis seulement de mettre en
scène les faits, à la manière de Froissard ou de Monstrelet? - On me dirait que
c'est le procédé de Walter Scott, un romancier, et je crains bien qu'il ne
faille me borner à une analyse pure et simple de l'histoire de l'abbé de
Bucquoy... quand je l'aurai trouvée.
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Gérard De Nerval (1808-1855) 2e lettre. Un paléographe.
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