PLUME DE POÉSIES
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 Gérard De Nerval (1808-1855) I0e lettre. Mon ami Sylvain.

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Inaya
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Gérard De Nerval (1808-1855) I0e lettre. Mon ami Sylvain. Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) I0e lettre. Mon ami Sylvain.   Gérard De Nerval (1808-1855) I0e lettre. Mon ami Sylvain. Icon_minitimeJeu 30 Aoû - 22:23

I0e lettre. Mon ami Sylvain. - Le château de Longueval en Soissonnais. -
Correspondance. - Post-scriptum.

Je ne voyage jamais dans ces contrées sans me faire accompagner d'un ami, que
j'appellerai, de son petit nom, Sylvain.
C'est un nom très commun dans cette province, - le féminin est le gracieux nom
de Sylvie, - illustré par un bouquet de bois de Chantilly, dans lequel allait
rêver si souvent le poète Théophile de Viau.
J'ai dit à Sylvain: - Allons-nous à Chantilly?
Il m'a répondu: - Non... tu as dit toi-même hier qu'il fallait aller à
Ermenonville pour gagner de là Soissons, visiter ensuite les ruines du château
de Longueval en Soissonnais, sur la limite de Champagne.
- Oui, répondis-je; hier soir je m'étais monté la tête à propos de cette belle
Angélique de Longueval, et je voulais voir le château d'où elle a été enlevée
par La Corbinière, - en habits d'homme, sur un cheval.
- Es-tu sûr, du moins, que ce soit là le Longueval véritable? car il y a des
Longueval et des Longueville partout... de même que des Bucquoy...
- Je n'en suis pas convaincu quant à ces derniers; mais lis seulement ce passage
du manuscrit d'Angélique:
"Le jour étant venu duquel il me devait quérir la nuit, je dis à un palefrenier
qui avait nom Breteau: Je voudrais bien que tu me prêtasses un cheval pour
envoyer à Soissons cette nuit quérir pour me faire un corps de cotte, te
promettant que le cheval sera ici avant que maman se lève..."
- Il semblerait donc prouvé, - me dit Sylvain, - que le château de Longueval
était situé aux environs de Soissons, donc ce ne serait pas le moment de revenir
vers Chantilly. Ce changement de direction a déjà risqué de te faire arrêter une
fois, - parce que des gens qui changent d'idée tout à coup paraissent toujours
des gens suspects...
Correspondance
Vous m'envoyez deux lettres concernant mes premiers articles sur l'abbé de
Bucquoy. La première, d'après une biographie abrégée, établit que Bucquoy et
Bucquoi ne représentent pas le même nom. - A quoi je répondrai que les noms
anciens n'ont pas d'orthographe. L'identité des familles ne s'établit que
d'après les armoiries, et nous avons déjà donné celle de cette famille
(l'écusson bandé de vair et de gueules de six pièces).Cela se retrouve dans
toutes les branches, soit de Picardie, soit de l'île-de-France, soit de
Champagne, d'où était l'abbé de Bucquoy. Longueval touche à la Champagne, comme
on le sait déjà. - Il est inutile de prolonger cette discussion héraldique.
Je reçois de vous une seconde lettre qui vient de Belgique:
"Lecteur sympathique de M. Gérard de Nerval et désirant lui être agréable, je
lui communique le document ci-joint, qui lui sera peut-être de quelque utilité
pour la suite de ses humoristiques pérégrinations à la recherche de l'abbé de
Bucquoy, cet insaisissable moucheron issu de l'amendement Riancey.
156. Olivier de Wree, de vermoerde oorlogh-stucken van den woonderdadighen velt-
heer Carel de Longueval, grave van Busquoy, Baron de Vaux. Brugge, 1625. - Ej.
mengheldichten: fyghes noeper; Bacchus-Cortryck. Ibid., 1625. - Ej. - Venus-Ban.
Ibid., 1625, in-I2, oblong, vél.
Livre rare et curieux. L'exemplaire est taché d'eau.
Je ne chercherai pas à traduire cet article de bibliographie flamande; -
seulement, je remarque qu'il fait partie du prospectus d'une bibliothèque qui
doit être vendue le 5 décembre et jours suivants, sous la direction de M.
Héberlé, - 5, rue des Paroissiens, à Bruxelles.
J'aime mieux attendre la vente de Techener, - qui, je l'espère, aura toujours
lieu le 20.
Les ruines. - Les promenades. - Chaalis. Ermenonville. - La tombe de Rousseau.
Dans une de mes lettres j'ai employé à faux le mot réaction en parlant d'abus de
l'autorité, qui amènent des réactions en sens contraire.
La faute paraît simple au premier abord; - mais il y a plusieurs sortes de
réactions: les unes prennent des biais, les autres sont des réactions qui
consistent à s'arrêter. J'ai voulu dire qu'un excès amenait d'autres excès.
Ainsi il est impossible de ne point blâmer les incendies, et les dévastations
privées, - rares pourtant de nos jours. Il se mêle toujours à la foule en rumeur
un élément hostile ou étranger qui conduit les choses au delà des limites que le
bon sens général aurait imposées, et qu'il finit toujours par tracer.
Je n'en veux pour preuve qu'une anecdote qui m'a été racontée par un bibliophile
fort connu, - et dont un autre bibliophile a été le héros.
Le jour de la révolution de février, on brûla quelques voitures, - dites de la
liste civile; - ce fut, certes, un grand tort, qu'on reproche durement
aujourd'hui à cette foule mélangée qui, derrière les combattants, entraînait
aussi des traîtres...
Le bibliophile dont je parle se rendit ce soir-là au Palais-National. Sa
préoccupation ne s'adressait pas aux voitures; il était inquiet d'un ouvrage en
quatre volumes in-folio intitulé: Perceforest.
C'était un de ces roumans du cycle d'Artus, - ou du cycle de Charlemagne, - où
sont contenues les épopées de nos plus anciennes guerres chevaleresques.
Il entra dans la cour du palais, se frayant un passage au milieu du tumulte. -
C'était un homme grêle, d'une figure sèche, mais ridée parfois d'un sourire
bienveillant, correctement vêtu d'un habit noir, et à qui l'on ouvrit passage
avec curiosité.
- Mes amis, dit-il, a-t-on brûlé le Perceforest?
- On ne brûle que les voitures.
- Très bien! continuez. Mais la bibliothèque?
- On n'y a pas touché... Ensuite, qu'est-ce que vous demandez?
- Je demande que l'on respecte l'édition en quatre volumes du Perceforest, - un
héros d'autrefois...; édition unique, avec deux pages transposées et une énorme
tache d'encre au troisième volume.
On lui répondit:
- Montez au premier.
Au premier, il trouva des gens qui lui dirent:
- Nous déplorons ce qui s'est fait dans le premier moment... On a, dans le
tumulte, abîmé quelques tableaux...
- Oui, je sais, un Horace Vernet, un Gudin... Tout cela n'est rien: - le
Perceforest?...
On le prit pour un fou. Il se retira et parvint à découvrir la concierge du
palais, qui s'était retirée chez elle.
- Madame, si l'on n'a pas pénétré dans la bibliothèque, assurez-vous d'une
chose: c'est de l'existence du Perceforest, - édition du seizième siècle,
reliure en parchemin, de Gaume. Le reste de la bibliothèque, ce n'est rien...
mal choisi! - des gens qui ne lisent pas! - Mais le Perceforest vaut quarante
mille francs sur les tables.
La concierge ouvrit de grands yeux.
- Moi, j'en donnerais, aujourd'hui, vingt mille... malgré la dépréciation des
fonds que doit amener nécessairement une révolution.
- Vingt mille francs!
- Je les ai chez moi. Seulement ce ne serait que pour rendre le livre à la
nation. C'est un monument.
La concierge, étonnée, éblouie, consentit avec courage à se rendre à la
bibliothèque et à y pénétrer par un petit escalier. L'enthousiasme du savant
l'avait gagnée.
Elle revint, après avoir vu le livre sur le rayon où le bibliophile savait qu'il
était placé.
- Monsieur, le livre est en place. Mais il n'y a que trois volumes... Vous vous
êtes trompé.
- Trois volumes!... Quelle perte!... Je m'en vais trouver le gouvernement
provisoire, - il y en a toujours un... Le Perceforest incomplet! Les révolutions
sont épouvantables!
Le bibliophile courut à l'Hôtel-de-Ville. - On avait autre chose à faire que de
s'occuper de bibliographie. Pourtant il parvint à prendre à part M. Arago, - qui
comprit l'importance de sa réclamation, et des ordres furent donnés
immédiatement.
Le Perceforest n'était incomplet que parce qu'on en avait prêté précédemment un
volume.
Nous sommes heureux de penser que cet ouvrage a pu rester en France.
Celui de l'Histoire de l'abbé de Bucquoy, qui doit être vendu le 20, n'aura
peut-être pas le même sort!
Et maintenant, tenez compte, je vous prie, des fautes qui peuvent être commises,
- dans une tournée rapide, souvent interrompue par la pluie ou par le
brouillard...
Je quitte Senlis à regret; - mais mon ami le veut pour me faire obéir à une
pensée que j'avais manifestée imprudemment...
Je me plaisais tant dans cette ville, où la renaissance, le moyen âge et
l'époque romaine se retrouvent çà et là, - au détour d'une rue, dans une écurie,
dans une cave. - Je vous parlais "de ces tours des Romains recouvertes de
lierre!" - L'éternelle verdure dont elles sont vêtues fait honte à la nature
inconstante de nos pays froids. - En Orient, les bois sont toujours verts; -
chaque arbre a sa saison de mue; mais cette saison varie selon la nature de
l'arbre. C'est ainsi que j'ai vu au Caire les sycomores perdre leurs feuilles en
été. En revanche, ils étaient verts au mois de janvier.
Les allées qui entourent Senlis et qui remplacent les antiques fortifications
romaines, - restaurées plus tard, par suite du long séjour des rois
carlovingiens, - n'offrent plus aux regards que des feuilles rouillées d'ormes
et de tilleuls. Cependant la vue est encore belle, aux alentours, par un beau
coucher de soleil. - Les forêts de Chantilly, de Compiègne et d'Ermenonville; -
les bois de Châalis et de Pont-Armé se dessinent avec leurs masses rougeâtres
sur le vert clair des prairies qui les séparent. Des châteaux lointains élèvent
encore leurs tours, - solidement bâties en pierres de Senlis, et qui,
généralement, ne servent plus que de pigeonniers.
Les clochers aigus, hérissés de saillies régulières, qu'on appelle dans le pays
des ossements (je ne sais pourquoi), retentissent encore de ce bruit de cloches
qui portait une douce mélancolie dans l'âme de Rousseau...
Accomplissons le pèlerinage que nous nous sommes promis de faire, non pas près
de ses cendres, qui reposent au Panthéon, - mais près de son tombeau, situé à
Ermenonville, dans l'île dite des Peupliers.
La cathédrale de Senlis; l'église Saint-Pierre, qui sert aujourd'hui de caserne
aux cuirassiers; le château de Henri IV, adossé aux vieilles fortifications de
la ville; les cloîtres byzantins de Charles le Gros et de ses successeurs, n'ont
rien qui doive nous arrêter... C'est encore le moment de parcourir les bois,
malgré la brume obstinée du matin.
Nous sommes partis de Senlis, à pied, à travers les bois, aspirant avec bonheur
la brume d'automne.
Nous avions parcouru une route qui aboutit aux bois et au château de Mont-
l'Evêque. - Des étangs brillaient çà et là à travers les feuilles rouges
relevées par la verdure sombre des pins. Sylvain me chanta ce vieil air du pays:
Courage! mon ami, courage!
Nous voici près du village!
A la première maison,
Nous nous rafraîchirons!
On buvait dans le village un petit vin qui n'était pas désagréable pour des
voyageurs. L'hôtesse nous dit, voyant nos barbes: - Vous êtes des artistes...
vous venez donc pour voir Châalis?
Châalis, - à ce nom je me ressouvins d'une époque bien éloignée... celle où l'on
me conduisait à l'abbaye, une fois par an, pour entendre la messe, et pour voir
la foire qui avait lieu près de là.
- Châalis, dis-je... Est-ce que cela existe encore?
La Chapelle en-Serval, ce 20 novembre.
De même qu'il est bon dans une symphonie même pastorale de faire revenir de
temps en temps le motif principal, gracieux, tendre ou terrible, pour enfin le
faire tonner au finale avec la tempête graduée de tous les instruments, - je
crois utile de vous parler encore de l'abbé de Bucquoy, sans m'interrompre dans
la course que je fais en ce moment vers le château de ses pères, avec cette
intention de mise en scène exacte et descriptive sans laquelle ses aventures
n'auraient qu'un faible intérêt.
Le finale se recule encore, et vous allez voir que c'est encore malgré moi...
Et, d'abord, réparons une injustice à l'égard de ce bon M. Ravenel de la
Bibliothèque nationale, qui, loin de s'occuper légèrement de la recherche du
livre, a remué tous les fonds des huit cent mille volumes que nous y possédons.
Je l'ai appris depuis; mais, ne pouvant trouver la chose absente, il m'a donné
officieusement avis de la vente de Techener, ce qui est le procédé d'un
véritable savant.
Sachant bien que toute vente de grande bibliothèque se continue pendant
plusieurs jours, j'avais demandé avis du jour désigné pour la vente du livre,
voulant, si c'était justement le 20, me trouver à la vacation du soir.
Mais ce ne sera que le 30!
Le livre est bien classé sous la rubrique: Histoire et sous le n° 3584.
Evénement des plus rares, etc., l'intitulé que vous savez.
La note suivante y est annexée.
"Rare. - Tel est le titre de ce livre bizarre, en tête duquel se trouve une
gravure représentant l'Enfer des vivants, ou la Bastille. Le reste du volume est
composé des choses les plus singulières.
Catalogue de la bibliothèque de M. M..., etc."
Je puis encore vous donner un avant-goût de l'intérêt de cette histoire, dont
quelques personnes semblaient douter, en reproduisant des notes que j'ai prises
dans la Biographie Michaud.
Après la biographie de Charles Bonaventure, comte de Bucquoy, généralissime et
membre de l'ordre de la Toison-d'Or, célèbre par ses guerres en France, en
Bohême et en Hongrie, et dont le petit-fils, Charles, fut créé prince de
l'Empire, - on trouve l'article sur l'abbé de Bucquoy, - indiqué comme étant de
la même famille que le précédent. Sa vie politique commença par cinq années de
services militaires. Echappé comme par miracle à un grand danger, il fit voeu de
quitter le monde et se retira à la Trappe. L'abbé de Rancé, sur lequel
Chateaubriand a écrit son dernier livre, le renvoya comme peu croyant. Il reprit
son habit galonné, qu'il troqua bientôt contre les haillons d'un mendiant.
A l'exemple des fakirs et des derviches, il parcourait le monde, pensant donner
des exemples d'humilité et d'austérité. Il se faisait appeler le Mort, et tint
même à Rouen, sous ce nom, une école gratuite.
Je m'arrête de peur de déflorer le sujet. Je ne veux que faire remarquer encore,
pour prouver que cette histoire a du sérieux, qu'il proposa plus tard aux états
unis de Hollande, en guerre avec Louis XIV, "un projet pour faire de la France
une république, et y détruire, disait-il, le pouvoir arbitraire". Il mourut à
Hanovre, à quatre-vingt-dix ans, laissant son mobilier et ses livres à l'Eglise
catholique, dont il n'était jamais sorti. - Quant à ses seize années de voyages
dans l'Inde, je n'ai encore là-dessus de données que par le livre en hollandais
de la Bibliothèque nationale.
Nous sommes allés à Châalis pour voir en détail le domaine, avant qu'il soit
restauré. Il y a d'abord une vaste enceinte entourée d'ormes; puis, on voit à
gauche un bâtiment dans le style du seizième siècle, restauré sans doute plus
tard selon l'architecture lourde du petit château de Chantilly.
Quand on a vu les offices et les cuisines, l'escalier suspendu du temps de Henri
IV vous conduit aux vastes appartements des premières galeries, - grands
appartements donnant sur les bois. Quelques peintures enchâssées, le grand Condé
à cheval et des vues de la forêt, voilà tout ce que j'ai remarqué. Dans une
salle basse, on voit un portrait d'Henri IV à trente-cinq ans.
C'est l'époque de Gabrielle, - et probablement ce château a été témoin de leurs
amours. - Ce prince qui, au fond, m'est peu sympathique, demeura longtemps à
Senlis, surtout dans la première époque du siège, et l'on y voit, au dessus de
la porte de la mairie et des trois mots: Liberté, égalité, fraternité, son
portrait en bronze avec une devise gravée, dans laquelle il est dit que son
premier bonheur fut à Senlis, - en 1590. - Ce n'est pourtant pas là que Voltaire
a placé la scène principale, imitée de l'Arioste, de ses amours avec Gabrielle
d'Estrées.
Ne trouvez vous pas étrange, que les d'Estrées se trouvent être encore des
parents de abbé de Bucquoy? C'est cependant ce que révèle encore la généalogie
dé sa famille... Je n'invente rien.
C'était le fils du garde qui nous faisait voir le château, - abandonné depuis
longtemps. - C'est un homme qui, sans être lettré, comprend le respect que l'on
doit aux antiquités. Il nous fit voir dans une des salles un moine qu'il avait
découvert dans les ruines. A voir ce squelette couché dans une auge de pierre,
j'imaginai que ce n'était pas un moine, mais un guerrier celte ou franc couché
selon l'usage, - avec le visage tourné vers l'Orient, dans cette localité, où
les noms d'Erman ou d'Armen sont communs dans le voisinage, sans parler même
d'Ermenonville, située près de là, - et que l'on appelle dans le pays Arme-
Nonville ou Nonval, qui est le terme ancien.
Le pâté des ruines principales forme les restes de l'ancienne abbaye, bâtie
probablement vers l'époque de Charles VII, dans le style du gothique fleuri, sur
des voûtes carlovingiennes aux piliers lourds, qui recouvrent les tombeaux. Le
cloître n'a laissé qu'une longue galerie d'ogives qui relie l'abbaye à un
premier monument, où l'on distingue encore des colonnes byzantines taillées à
l'époque de Charles le Gros, et engagées dans de lourdes murailles du seizième
siècle.
- On veut, nous dit le fils du garde, abattre le mur du cloître pour que, du
château, l'on puisse avoir une vue sur les étangs. C'est un conseil qui a été
donné à Madame.
- Il faut conseiller, dis-je, à votre dame de faire ouvrir seulement les arcs
des ogives qu'on a remplis de maçonnerie, et alors la galerie se découpera sur
les étangs, ce qui sera beaucoup plus gracieux.
Il a promis de s'en souvenir.
La suite des ruines amenait encore une tour et une chapelle. Nous montâmes à la
tour. De là l'on distinguait toute la vallée, coupée d'étangs et de rivières,
avec les longs espaces dénudés qu'on appelle le Désert d'Ermenonville, et qui
n'offrent que des grès de teinte grise, entremêlés de pins maigres et de
bruyères.
Des carrières rougeâtres se dessinaient encore çà et là à travers les bois
effeuillés, et ravivaient la teinte verdâtre des plaines et des forêts, - où les
bouleaux blancs, les troncs tapissés de lierre et les dernières feuilles
d'automne se détachaient encore sur les masses rougeâtres des bois encadrés des
teintes bleues de l'horizon.
Nous redescendîmes pour voir la chapelle; c'est une merveille d'architecture.
L'élancement des piliers et des nervures, l'ornement sobre et fin des détails,
révélaient l'époque intermédiaire entre le gothique fleuri et la Renaissance.
Mais, une fois entrés, nous admirâmes les peintures, qui m'ont semblé être de
cette dernière époque.
- Vous allez voir des saintes un peu décolletées, nous dit le fils du garde. En
effet, on distinguait une sorte de Gloire peinte en fresque du côté de la porte,
parfaitement conservée, malgré ses couleurs pâlies, sauf la partie inférieure
couverte de peintures à la détrempe, mais qu'il ne sera pas difficile de
restaurer.
Les bons moines de Châalis auraient voulu supprimer quelques nudités trop
voyantes du style Médicis. - En effet, tous ces anges et toutes ces saintes
faisaient l'effet d'amours et de nymphes aux gorges et aux cuisses nues.
L'abside de la chapelle offre dans les intervalles de ses nervures d'autres
figures mieux conservées encore et du style allégorique usité postérieurement à
Louis XII. - En nous retournant pour sortir, nous remarquâmes au-dessus de la
porte des armoiries qui devaient indiquer l'époque des dernières ornementations.
Il nous fut difficile de distinguer les détails de l'écusson écartelé, qui avait
été repeint postérieurement en bleu et en blanc. Au I et au 4, c'étaient d'abord
des oiseaux que le fils du garde appelait des cygnes, - disposés par 2 et I;
mais ce n'étaient pas des cygnes.
Sont-ce des aigles déployées, des merlettes ou des alérions ou des ailettes
attachées à des foudres?
Au 2 et au 3, ce sont des fers de lance, ou des fleurs de lis, ce qui est la
même chose. Un chapeau de cardinal recouvrait l'écusson et laissait tomber des
deux côtés ses résilles triangulaires ornées de glands; mais n'en pouvant
compter les rangées, parce que la pierre était fruste, nous ignorions si ce
n'était pas un chapeau d'abbé.
Je n'ai pas de livres ici. Mais il me semble que ce sont là les armes de
Lorraine, écartelées de celles de France. Seraient-ce les armes du cardinal de
Lorraine, qui fut proclamé roi dans ce pays, sous le nom de Charles X, ou celles
de l'autre cardinal qui aussi était soutenu par la Ligue?... Je m'y perds,
n'étant encore, je le reconnais, qu'un bien faible historien.
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