La fille des bois
Et son coeur fut pris par un guerrier blanc!
Quand la bise mord le bouleau tremblant,
Quand la forêt mue,
La fille des bois, dans les grands sentiers
Toute seule va, de longs jours entiers,
Par son rêve émue.
Ce fut dans la plaine au ciel attiédi,
Quand la flambe d'or descend du midi,
Que lui vint ce rêve.
Près de son ruisseau le guerrier passa,
Et de loin son oeil longtemps caressa
Ses pas sur la grève.
Que lui donna-t-elle au guerrier vaillant?
Les bois pleins de bruits, le flot babillant,
Pourraient nous le dire.
Mais le doux secret lui sera gardé,
Car les bois au flot ont recommandé
De ne pas médire.
Des bruissements d'aile et de chansons
Se sont envolés, rieurs, des buissons
Dont l'âme voltige,
Et comme le daim, las de l'abreuvoir,
Le guerrier s'en fut, sans souci d'avoir
Coupé cette tige.
Les mois et les ans ont passé depuis,
Et la fleur des bois qui n'a plus d'appuis,
Dont l'avenir sombre,
Sourit aux oiseaux dans l'attente encor
De la vision qui manque au décor
De sa forêt sombre.
Dans les matins blonds, dans les soirs tombés,
Dans le vent qui fait les joncs recourbés
Et l'arbre farouche,
On la voit pensive au bord des chemins,
Et le lendemain sur les lendemains
Lentement se couche.
De décembre morne à juin triomphant,
Quand la sève monte ou l'écorce fend
Au souffle du pôle,
Elle dit sa peine aux grands horizons
Et marche, oubliant bouvreuils ou bisons,
Son arc sur l'épaule.
Et pourtant plus d'un chasseur donnerait
Ses plus belles peaux d'élan sans regret,
Pour un baiser d'elle,
Mais la fière enfant, toute à son passé,
Au vieux souvenir jamais effacé
Veut rester fidèle.
Car son coeur fut pris par un guerrier blanc.
Quand la bise mord le bouleau tremblant,
Quand la forêt mue,
La fille des bois, dans les grands sentiers
Toute seule va, de longs jours entiers,
Par son rêve émue.