PLUME DE POÉSIES
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 Robert Desnos. (1900-1945) III. Tout Ce Qu’On Voit Est D’Or.

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Robert Desnos. (1900-1945) III. Tout Ce Qu’On Voit Est D’Or. Empty
MessageSujet: Robert Desnos. (1900-1945) III. Tout Ce Qu’On Voit Est D’Or.   Robert Desnos. (1900-1945) III. Tout Ce Qu’On Voit Est D’Or. Icon_minitimeDim 28 Oct - 21:15

III. Tout Ce Qu’On Voit Est D’Or.

Corsaire Sanglot revêt son costume bien connu des rues bruyantes et des
trottoirs de bitume. La vie peut continuer s’il lui plaît dans Paris et dans le
monde, une voix caressante lui a indiqué son chemin. Celui-ci le conduit aux
Tuileries où il rencontre Louise Lame. Il est de ces coïncidences qui, sans
émouvoir les paysages, ont cependant plus d’importance que les digues et les
phares, que la paix des frontières et le calme de la nature dans les solitudes
désertiques à l’heure où passent les explorateurs. Il importe peu de savoir
quels furent les préambules de la conversation du héros avec l’héroïne. Il leur
fallait des fauves en amour, de taille a résister à leurs crocs et à leurs
griffes. Les gardiens des Tuileries virent ce couple extraordinaire parler avec
animation puis s’éloigner par la rue du Mont-Thabor. Une chambre d’hôtel leur
donna asile. C’était le lieu poétique où le pot à eau prend l’importance d’un
récif au bord d’une côte échevelée, où l’ampoule électrique est plus sinistre
que trois sapins au milieu de champs vert émeraude un dimanche après-midi, où la
glace mobilise des personnages menaçants et autonomes. Mobiliers des chambres
d’hôtel méconnus par les copistes surannés, mobiliers évoquateurs de crime! Jack
l’éventreur avait en présence de celui-ci exécuté l’un de ces magnifiques
forfaits grâce auxquels l’amour rappelle de temps à autre aux humains qu’il
n’est pas du domaine de la plaisanterie. Mobilier magnifique. Le pot à eau
blanc, la cuvette et la table de toilette se souvenaient en silence du liquide
rouge qui les avaient rendus respectables. Des journalistes avaient publié la
photographie de ces accessoires modestes promus au rôle de paysages dont je
parlais tout à l’heure. Il leur avait fallu figurer à la Cour d’assises parmi
les pièces à conviction. Singulier tribunal! Jack l’éventreur n’avait jamais pu
être atteint et le box des accusés était vide. Les juges avaient été nommés
parmi les plus vieux aveugles de Paris. La tribune des journalistes regorgeait
de monde. Et le public au fond, maintenu par une haie de gardes municipaux,
était un ramassis de bourgeois pansus. Sur tous ces gens silencieux planait un
vol de mouches bourdonnantes. Le procès dura huit jours et huit nuits et, à
l’issue, quand un verdict de miracle eut été prononcé contre l’assassin inconnu,
le pot à eau, la cuvette et la table de toilette avec le petit plat à savon où
subsistait encore une savonnette rose regagnèrent la chambre marquée par le
passage d’un être surnaturel.

Louise Lame et Corsaire Sanglot considérèrent avec respect, eux qui n’avaient
que peu de choses à respecter en raison de leur valeur morale, ces reliefs d’une
aventure qui aurait pu être la leur. Puis, après une lutte de regards, ils se
déshabillèrent. Quand ils furent nus, Corsaire Sanglot s’allongea en travers sur
le lit, de façon que ses pieds touchassent encore le sol, et Louise Lame
s’agenouilla devant lui.

Baiser magistral des bouches ennemies. La reproduction est le propre de
l’espèce, mais l’amour est le propre de l’individu. Je vous salue bien bas
baisers de la chair. Moi aussi j’ai plongé ma tête dans les ténèbres des
cuisses. Louise Lame étreignait étroitement son bel amant. Son oeil guettait sur
le visage l’effet de la conjonction de sa langue avec la chair. C’est là un rite
mystérieux, le plus beau peut-être. Quand la respiration de Corsaire Sanglot se
fit haletante, Louise Lame devint plus resplendissante que le mâle.

Le regard de celui-ci errait dans la pièce. Il s’arrêta enfin sur un éphéméride.
Celui-ci avait été oublié par un comptable narquois partagé entre le désir
d’oublier et celui de mesurer le temps machinalement et sans penser à la
stupidité que sous-entend une pareille prétention.

D’ailleurs, le Corsaire Sanglot connaissait bien la date où était arrêté ce
calendrier. Tous les ans il était amené à lire le même fait divers vieux d’un
demi-siècle et cependant évocateur de la même fièvre C’était même le seul jour
où il ait jamais lu la feuille de papier mince et tous les ans, fatalement, il
était amené a le faire.

Et la pensée de Corsaire Sanglot suivait une piste au coeur d’une forêt vierge.

Il arriva dans une ville de chercheurs d’or. Dans un bal dansait une Espagnole
vêtue de façon excitante. Il la suivit dans une chambre soupentée où l’écho des
querelles et de l’orchestre arrivait assourdi. Il la déshabilla lui-même,
mettant à détacher chaque vêtement une lenteur sage et fertile en émotion. Le
lit fut alors le lieu d’un combat sauvage, il la mordit, elle se débattit, cria
et l’amant de la danseuse, un redoutable sang-mêlé, heurta à la porte.

Ce fut alors un siège sans merci. Des balles de revolver trouèrent les cloisons
de chêne, étoilèrent les glaces où l’étain feuillolait en silence depuis de
longues années à refléter des amours fatales. Séduite par son courage,
l’Espagnole fusillait par la fenêtre une foule de cavaliers patibulaires et de
policiers improvisés. Ils s’évadèrent enfin par les toits. Des cris de colère
emplissaient la ville, on liait en hâte les lassos mais, parvenus au Patio
central, les poursuivants constatèrent l’absence de deux juments jumelles,
noires et si rapides que les rattraper était impossible. Laissant à leur destin
les fugitifs, les hommes se répandirent dans les cabarets.

Hors de danger, à plusieurs milles de la ville, Corsaire Sanglot et l’Espagnole
s’arrêtèrent. Leur amour n’existait plus qu’en rêve. Ils s’éloignèrent dans des
directions opposées. Forêts traversées à coups de couteau, étendues de lianes et
de grands arbres, prairies, steppes neigeuses, lutte contre des Indiens,
traîneaux volés, daims abattus, vous n’avez pas vu passer l’invisible corsaire.
Dans la rue de Rivoli, il avisa une maison en flammes. Des casques de pompiers
mûrissaient aux balcons et aux fenêtres. Corsaire Sanglot s’engouffra dans le
corridor et l’escalier crépitant. Au troisième étage une femme s’apprêtait à
mourir. L’enlacer et paraître à la fenêtre fut un éclair. Ils se précipitèrent
dans le vide où une couverture les reçut tandis que, blessé au passage par une
corniche, Corsaire Sanglot s’évanouissait. Le lendemain matin, le soleil
rayonnait sur l’hôpital où il reposait dans un lit. La femme sauvée lui faisait
boire de la citronnade. Il éprouva une satisfaction sensuelle à sa présence près
de lui, à sentir sur sa chair le passage de ses mains, jusqu’à ce que la porte
du pensionnat anglais se fût ouverte. C’était l’heure du lever, trente petites
filles et dix autres un peu plus âgées se hâtaient. L’éponge du tub ruisselait
sur leurs épaules saines et leur peau délicate. Il s’attarda à contempler leurs
fesses presque garçonnières. Leur sexe était encore trop imberbe mais leurs
seins étaient de charmantes merveilles non déformées encore par...

--Dis-moi que tu m’aimes! râla Louise Lame éperdue.

--Saloperie, râle le héros. Je t’aime, ah! ah! vieille ordure, loufoque, sacré
nom de plusieurs cochonneries.

Puis se relevant :

--Quel poème peut t’émouvoir davantage?

Anéantie, Louise Lame passa du rêve au rêve. Elle se refusa longuement à
l’étreinte osseuse de son compagnon. Mais leur rencontre était phénoménale. La
rancune montait en leur âme. Ah! ce n’était pas l’amour, seule raison valable
d’un esclavage passager, mais l’aventure avec tous ses obstacles de chair et
l’odieuse hostilité de la matière.

Amour magnifique, pourquoi faut-il que mon langage, à t’évoquer, devienne
emphatique. Corsaire Sanglot l’avait prise par la taille et jetée sur le lit. Il
la frappait. La croupe sonore avait été cinglée par le plat de la main et les
muscles seraient bleus le lendemain. Il l’étranglait presque. Les cuisses
étaient brutalement écartées.

Ce n’était pas vrai.

Corsaire Sanglot devant la glace remettait en ordre sa toilette. L’eau
sympathique ruisselait sur son torse et la savonnette rose était le centre de la
pièce. Louise Lame éduquée par les cartes postales en couleur y voyait l’image
de son sexe martyrisé par l’indifférence. La mousse, le masque et les mains
furent des mains de fantômes. Enfin l’aventurier fut prêt à partir. Louise se
plaça devant la porte.

--Non, tu ne partiras pas, non tu ne partiras pas.

Il l’écarta de la main et tandis qu’elle s’écroulait sanglotante et décoiffée,
le pas décrut dans l’escalier, comme une gamme à rebours sur le piano d’une
débutante : une petite fille à cheveux nattés, aux doigts rouges encore des
coups de règle de la maîtresse.

Dans le couloir, ce fut le piétinement du garçon d’hôtel relevant pour les
cirer, paire par paire, les chaussures à talons Louis XV. Quel Père Noël attendu
depuis des siècles déposera l’amour dans ces chaussures, objet d’un rite
journalier et nocturne de la part de leur propriétaire, en dépit de la
désillusion du réveil? Quel sinistre démon se borne à les rendre plus brillantes
qu’un miroir à dessein de refléter, transformées en négresses, les stationnantes
et sensibles femmes à passion. Qu’elles remettent leurs pieds blancs dans ces
fins brodequins à torture morale! Leur chemin sera toujours parsemé des tessons
de bouteille à philtre du rêve interrompu, des cailloux pointus de l’ennui.
Pieds blancs marchant dans des directions différentes, les engelures du doute
vous meurtriront en dépit des prophéties onéreuses de la cartomancienne du
faubourg. Il faut aller d’abord à Nazareth avant de célébrer par une coutume
curieuse l’anniversaire d’une naissance divine. Mais l’étoile?

L’étoile c’est peut-être bien ce savon rose que Corsaire Sanglot tient dans sa
main mousseuse. Elle le guide mieux que la baguette du sourcier, la piste du
trappeur et les écriteaux Michelin. Les humbles et magnifiques créatures de la
poésie moderne se mettent en marche à travers les rues.

Et ce sont des groupes de trois ripolineurs portant au dieu futur des radiateurs
rouges, ou, du haut du ciel, répandant sur le monde entier la blancheur d une
aube artificielle; et ce sont de longues théories de garçons de café, les uns
rouges, les autres blancs, placés sous l’invocation de l’archange saint Raphaël,
accomplissant le miracle de l’équilibre pour verser à une heure indéterminée le
cordial qui vivifiera le nouveau rédempteur.

Du haut des immeubles, Bébé Cadum les regarde passer. La nuit de son incarnation
approche où, ruisselant de neige et de lumière, il signifiera a ses premiers
fidèles que le temps est venu de saluer le tranquille prodige des lavandières
qui bleuissent l’eau des rivières et celui d’un dieu visible sous les espèces de
la mousse de savon, modelant le corps d’une femme admirable, debout dans sa
baignoire, et reine et déesse des glaciers de la passion rayonnant d’un soleil
torride, mille fois réfléchi, et propices à la mort par insolation. Ah! si je
meurs, moi, nouveau Baptiste, qu’on me fasse un linceul de mousse savonneuse
évocatrice de l’amour et par la consistance et par l’odeur.

Corsaire Sanglot, son guide dans la main, suivit des convois funèbres qu’il
abandonna à point nommé pour emprunter d’autres voies. Calmes rues déserta
plantées de réverbères, boulevards chargés de viaducs du métro, vous le vîtes
passer aussi, lui, le premier mage.

C’est dans l’île des Cygnes, sous le pont de Passy, que le Bébé Cadum attendait
ses visiteurs. Ils se conduisirent en parfaites gens du monde et la tour Eiffel
présida au conciliabule. L’eau coulait.

Les poissons sortirent de la rivière, eux, voués depuis des temps et des
tempêtes au culte des choses divines et à la symbolique céleste. Pour les mêmes
raisons, les palmiers du Jardin d’Acclimatation désertèrent les allées
parcourues par l’éléphant pacifique du sommeil enfantin. Il en fut de même pour
ceux qui, emprisonnés dans des pots de terre, illustrent le salon des vieilles
demoiselles et le péristyle des tripots. Les malheureuses filles entendirent le
long craquement des poteries désertées et le rampement des racines sur le
parquet ciré, des cercleux regagnant lentement a l’aube leur maison après une
nuit de baccarat où les chiffres s’étaient succédé dans le bagne traditionnel,
oublièrent leur gain ou leur perte et les suivirent. Eux aussi furent parmi les
premiers fidèles. Sur ces fronts douloureux, sur ces yeux brûlés par la fièvre,
sur ces oreilles tintant encore du dernier banco, sur ces cerveaux hantés par
l’absolu, par l’improbable et les nombres fatidiques, il étendit sa suzeraineté.
L’air était plein du bruit des fenêtres qu’on ferme et dont les espagnolettes
pleurent. Bébé Cadum naquit sans le secours de ses parents, spontanément.

À l’horizon, un géant brumeux s’étirait et bâillait. Bibendum Michelin
s’apprêtait à une lutte terrible et dont l’auteur de ces lignes sera
l’historien.

À l’age de vingt et un ans, Bébé Cadum fut de taille à lutter avec Bibendum.
Cela commença un matin de juin. Un agent de police qui se promenait bêtement
avenue des Champs-Elysées entendit tout à coup de grandes clameurs dans le ciel.
Celui-ci s’obscurcit et, avec tonnerre, éclairs et vent, une pluie savonneuse
s’abattit sur la ville. En un instant le paysage fut féerique. Les toits
recouverts d’une mousse légère que le vent enlevait par flocons s’irisèrent aux
rayons du soleil reparu. Une multitude d’arcs-en-ciel rugirent, légers, pâles et
semblables à l’auréole des jeunes poitrinaires, au temps qu’elles faisaient
partie de l’accessoire poétique. Les passants marchaient dans une neige odorante
qui montait jusqu’à leurs genoux. Certains entamèrent des combats de bulles de
savon que le vent emportait avec un grand nombre de fenêtres reflétées sur les
parois translucides.

Puis une folie charmante s’installa dans la ville. Les habitants se dévêtirent
et coururent a travers les rues en se roulant sur le tapis savonneux. La Seine
charriait des nappes grumeleuses qui s’arrêtaient aux piles des ponts et se
dissolvaient en firmaments.

Les conditions de la vie furent changées quant aux relations matérielles, mais
l’amour fut toujours de même le privilège de peu de gens, disposés à courir
toutes les aventures et à risquer le peu de vie consentie aux mortels dans
l’espoir de rencontrer enfin l’adversaire avec lequel on marche côte a côte,
toujours sur la défensive et pourtant à l’abandon.

Cependant, la lutte entre Bibendum et Bébé Cadum ne fut pas le seul épisode de
la bataille où l’archange moderne perdit sa mousse comme des plumes.

Bibendum rentrant en son repaire où il se proposait de rédiger la fameuse
proclamation connue depuis sous le nom de Pater du faux messieCite error :
Invalid tag; refs with no name must have content1, s’enduisit, malgré ses
précautions, de mousse de savon. Arrivé, il dicta immédiatement le Pater et,
ressortant, glissa sur le macadam, tomba et mourut en donnant naissance à une
armée de pneus. Ceux-ci devaient continuer la lutte.

La rencontre eut lieu dans une plaine désertique. Bébé Cadum ne vit pas venir
l’effarante troupe des pneus qui, rebondissant ou se déformant, roulaient,
rapides, sur les routes à l’effroi des vélocipédistes et des chauffeurs
d’automobiles qui, muets de stupéfaction, se demandaient quel nouveau miracle
douait ces cercles élastiques d’une agilité autonome.

La rencontre eut lieu dans une plaine désertique au déclin commençant du soleil
de cinq heures du soir. Bébé Cadum rieur se détachait sur le ciel bleu ardent et
sur le sol rougeâtre. Les pneus s’enroulèrent autour de lui comme un reptile et
l’immobilisèrent. Prisonnier, Bébé Cadum n’abandonna pas son sourire et se
laissa, malgré sa force, jeter dans un cachot. Bébé Cadum, ou plutôt le Cristi,
puisqu’il faut, à notre époque, l’appeler par son nom, avait trente- trois ans.
La barbe eût donne à son visage un aspect sinistre sans le sourire enfantin que
dessinaient ses lèvres. Mais pas d’histoires anciennes :
LE GOLGOTHA

Sur le fond vert olive du ciel, la croix se détache, au haut de la colline.
Pleurez, les vierges et les apôtres dans la grande plaine animée par le tournoi
des moulins à vent, par la course des autos rouges et blanches sur les routes
gris d’argent, par la musique des manèges de chevaux de bois, par les
détonations sèches des tirs forains, par le roulement métallique des loteries.
L’oscillation à peine perceptible des mâts de cocagne imprime une vibration
grisante au paysage où le pylône blanc du toboggan et l’apparition mathématique
du steam-swing figurent irrésistiblement l’idée du temps qui passe comme un
navire de guerre majestueux et lent sur une mer bleu foncé ridée de rares crêtes
blanches et de sillages filigranes, sous un ciel bleu clair, avec, pour fond,
une plage encombrée de femmes magnifiques, en toilettes claires, de marins muets
qui agitent les bras, d’aventuriers en pantalon blanc hantés par l’idée du
prochain paquebot qui les emportera vers les casinos d’Amérique du Sud et des
amours plus fatales, tandis que, à peu de distance du bord, trois admirables
nageuses en maillot rouge se livrent sans contrainte au caprice des vagues
douées et sont pour le jeune poète accroupi sur un rocher le point de départ
d’un drame aventureux où la tempête et les passions humaines concourent à le
heurter à de magiques amoureuses.

Voici, dans une clairière du bois, qu’on passe en revue une compagnie de
sapeurs-pompiers. Voici dans le ciel un avion : il s’en va au Maroc ou en
Russie; très loin, a l’horizon, décelé par la fumée blanche et par le bruit
étrangement proche des roues sur les rails et les essieux, voici un train qui
rapidement se dirige vers quelque port. Dans le jardinet qui entoure sa maison,
un méditatif jardinier arrose des fleurs. De la fenêtre d’une école s’échappent
des voix d’enfants : Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés. À la
fenêtre d’une maison claque un rideau derrière lequel deux amoureux s’enlacent
sur un lit banal avec des bras de noyés. Deux hommes se sont assis dans l’herbe
et boivent au goulot de la bouteille un vin rouge et généreux. Trois boeufs dans
un pré. Le coq de l’église. Un avion. Des coquelicots.

Le Cristi est enfin digne de son nom, il est crucifié sur une croix en coeur de
chêne décorée de drapeaux tricolores comme une estrade de 14 juillet. Au pied
une dizaine de musiciens, sur des instruments de cuivre, jouent des airs
rondouillards. Des couples dansent.

Sur deux petites croix décorées, elles aussi, de drapeaux, les larrons
agonisent.

Le curé sort de l’église et rentre au presbytère. L’infâme.

Le soir tombe.

Le ciel s’ouvre violemment sur la lumière des affiches lumineuses.

Le Cristi agonise en mesure, suivant la cadence de l’orchestre.

Les drapeaux de la croix flottent joyeusement.

Les réverbères s’allument.
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Robert Desnos. (1900-1945) III. Tout Ce Qu’On Voit Est D’Or.
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