PLUME DE POÉSIES
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 Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE

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James
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MessageSujet: Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE   Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND  LE NAVIRE Icon_minitimeSam 10 Nov - 7:51

CHANT SECOND
LE NAVIRE

O terre de Cécrops! terre où règnent un souffle divin et
des génies amis des hommes!
(Les Martyrs, CHATEAUBRIAND).

Au coeur privé d'amour, c'est bien peu que la gloire.
Si de quelque bonheur rayonne la victoire,
Soit pour les grands guerriers, soit à ceux dont la voix
Éclaire les mortels ou leur dicte des lois,
N'est-ce point qu'en secret, chaque pas de leur vie
Retentit dans une âme invisible et ravie
Comme au sein d'un écho qui des sons éclatants
S'empare en sa retraite et les redit longtemps?
Ainsi des chevaliers la race simple et brave
Au servage d'amour rangeait sa gloire esclave;
Ainsi de la beauté les secrètes faveurs
Élevèrent aux Cieux les poètes rêveurs;
Ainsi souvent, dit-on, le bonheur d'un empire
Aux peuples, par les rois, descendit d'un sourire.

Il s'est trouvé parfois, comme pour faire voir
Que du bonheur en nous est encor le pouvoir,
Deux âmes, s'élevant sur les plaines du monde,
Toujours l'une pour l'autre existence féconde,
Puissantes à sentir avec un feu pareil,
Double et brûlant rayon né d'un même soleil,
Vivant comme un seul être, intime et pur mélange,
Semblables dans leur vol aux deux ailes d'un ange,
Ou telles que des nuits les jumeaux radieux
D'un fraternel éclat illuminent les cieux.
Si l'homme a séparé leur ardeur mutuelle,
C'est alors que l'on voit et rapide et fidèle
Chacune, de la foule écartant l'épaisseur,
Traverser l'Univers et voler à sa soeur.

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MessageSujet: Re: Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE   Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND  LE NAVIRE Icon_minitimeSam 10 Nov - 7:51

Belle Scio, la nuit cache ta blanche ville,
De tout corsaire Grec mystérieux asile;
Mais il faut se hâter, de peur que le matin
Ne montre tes apprêts au Musulman lointain.
Tandis qu'au saint discours de leur vieux Patriarche,
Comme Israël jadis à l'approche de l'Arche,
Ainsi qu'un homme seul ce peuple se levait,
Solitaire au rivage un des Grecs se trouvait,
Triste, et cherchant au loin sur cette mer connue,
Si d'Athène à ces bords quelque voile est venue
Parmi tous ces vaisseaux qui d'un furtif abord
Du flot bleu de la rade avaient touché le bord.
Chaque nef y trouvait ses compagnes fidèles :
C'est ainsi qu'en hiver, les noires hirondelles
Au bord d'un lac choisi par le léger conseil,
Prêtes à s'élancer pour suivre leur soleil,
Et saluant de loin la rive hospitalière,
Préparent à grands cris leur aile aventurière.
Mais rien ne paraît plus, que la lune qui dort
Sur des flots mélangés et de saphir et d'or :
Il n'y voit s'élever que les montagnes sombres,
Les colonnes de marbre et les lointaines ombres
Des îles du couchant, dont l'aspect sérieux
S'oppose au doux sourire et des eaux et des cieux.
« O faites-moi mourir ou donnez-moi des ailes!
« Criait-il, aux dangers nous serons infidèles;
« Le sang versé peut-être accuse ce retard.
« L'ancre de nos vaisseaux se lèvera trop tard. »
Ainsi disait sa voix; mais une voix sacrée
Ajoutait dans son coeur : « Attends, vierge adorée,
« Héléna, mon espoir, avant que le soleil
« Des portiques d'Athène ait doré le réveil,
« Avant qu'au Minaret, des profanes prières,
« L'Iman ait par trois fois annoncé les dernières,
« Ma main qui sur ta main ressaisira ses droits
« Sur le seuil de ta porte aura planté la Croix.
« Suspends de tes beaux yeux les larmes répandues
« Et tes dévotes nuits à prier assidues :
« C'est à moi de veiller sur tes jours précieux,
« De conquérir ta main et la faveur des Cieux.
« Bientôt lorsque la paix couronnant notre épée
« Rajeunira les champs de la Grèce usurpée,
« Quand nos bras affranchis sauront tous appuyer
« La sainteté des moeurs et l'honneur du foyer,
« Alors on nous verra tous deux, ma fiancée.
« Traverser lentement une foule empressée,
« Devant nous les danseurs et le flambeau sacré;
« Puis du voile de feu son front sera paré,
« Et les Grecs s'écrieront : « Voyez, c'est la plus belle,
« C'est la belle Héléna qui, pieuse et fidèle,
« Pour sa patrie et Dieu, sacrifiant son coeur,
« Devait périr, ou vivre avec Mora vainqueur!
« Et le voici : c'est lui dont la main vengeresse
« Brisa le premier noeud des chaînes de la Grèce,
« Et pliant sous sa loi les corsaires domptés,
« Apprit à leurs vaisseaux des flots inusités. »
Ainsi loin de la foule émue et turbulente,
Auprès de cette mer à la vague indolente,
Rêvait le jeune Grec, et son front incliné
De cheveux blonds flottans pâlissait couronné.
Tel, loin des pins noircis qu'ébranle un sombre orage,
Sur une onde voisine où tremble son image,
Un saule retiré courbant ses longs rameaux,
Pleure et du fleuve ami trouble les belles eaux.

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MessageSujet: Re: Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE   Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND  LE NAVIRE Icon_minitimeSam 10 Nov - 7:51

Mais le cri du départ succède à la prière;
D'innombrables flambeaux que voile la poussière,
Retournent aux vaisseaux; il y marche à grands pas;
Changeant sa rêverie en l'espoir des combats,
Tandis que l'ancre lourde en criant se retire,
Sur le pont balancé du plus léger navire,
Il s'élance joyeux comme le cerf des bois,
Qui de sa blanche biche entend bramer la voix,
Et prompt au cri plaintif de sa timide amante
Saute d'un large bond la cascade écumante.
La voile est déployée à recevoir le vent,
Et les regards d'adieu vers le mont s'élevant,
Ont vu près d'un feu blanc dont l'île se décore,
Le vieux moine, et sa Croix qui les bénit encore.

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MessageSujet: Re: Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE   Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND  LE NAVIRE Icon_minitimeSam 10 Nov - 7:51

On partait, on voguait, lorsqu'un timide esquif,
Comme aux bras de sa mère accourt l'enfant craintif,
Au milieu de la flotte en silence se glisse.
- « Êtes-vous Grecs? Venez, que l'Ottoman périsse! »
- « On se bat dans Athène. Une femme est ici
« Qui vous demande asile, et pleure. La voici. »
On voit deux matelots puis une jeune fille;
Ils montent sur le bord, une lumière y brille,
Un cri part : « Héléna! » Mais les yeux d'un amant
Pouvaient seuls le savoir; pâle d'étonnement
Lui-même a reculé, croyant voir lui sourire
Le fantôme égaré d'une jeune martyre.
Il semblait que la mort eût déjà disposé
De ce teint de seize ans par des pleurs arrosé;
Sa bouche était bleuâtre, entr'ouverte et tremblante;
Son sein, sous une robe en désordre et sanglante,
Se gonflait de soupirs et battait agité
Comme un flot blanc des mers par le vent tourmenté.
Un voile déchiré tombant des tresses blondes
Qu'entraînait à ses pieds l'humide poids des ondes,
Ne savait pas cacher dans ses mobiles plis
Le sang qui rougissait ses épaules de lis.
Serrant un crucifix dans ses mains réunies,
Comme un dernier trésor pour les vierges bannies,
Sur ses traits n'était pas la crainte ou l'amitié;
Elle n'implorait point une indigne pitié,
Mais, fière, elle semblait chercher dans sa pensée
Ce qui vengerait mieux une femme offensée,
Et demander au Dieu d'amour et de douleur
Des forces pour lutter contre elle et le malheur.
Le jeune Grec disait : « Parlez, ma bien-aimée,
« Votre voix à ma voix est-elle inanimée?
« Vous repoussez ce bras, ce coeur où pour toujours
« Se doivent confier et s'appuyer vos jours?
« Vous le voulez? eh bien! je le veux, que ma bouche
« S'éloigne de vos mains, et jamais ne les touche;
« Non, ne m'approchez pas, s'il le faut; mais du moins,
« Héléna, parlez-moi, nous sommes sans témoins;
« Voyez, tous les soldats ont connu ma pensée,
« Ils n'ont fait que vous voir, la poupe est délaissée.
« Ce voyage et la nuit auront un même cours,
« Usons d'un temps sacré propice à nos discours,
« C'est le dernier peut-être. O! dites, mon amie?
« Pourquoi pas dans Athène à cette heure endormie?
« Et pourquoi dans ces lieux? et comment? et pourquoi
« Ce désordre et vos yeux qui s'éloignent de moi? »

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MessageSujet: Re: Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE   Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND  LE NAVIRE Icon_minitimeSam 10 Nov - 7:51

Ainsi disait Mora; mais la jeune exilée
A des propos d'amour n'était point rappelée;
Même de chaque mot semblait naître un chagrin;
Car, appuyant alors sa tête dans sa main,
Elle pleura long-temps. On l'entendait dans l'ombre
Comme on entend, le soir, dans le fond d'un bois sombre
Murmurer une source en un lit inconnu.
Cherchant quelque discours de son coeur bien venu,
Son ami, qui croyait dissiper sa tristesse,
Regarda vers la mer, et parla de la Grèce,
Lorsque tombe la feuille et s'abrège le jour,
Et qu'un jeune homme éteint se meurt, et meurt d'amour,
Il ne goûte plus rien des choses de la terre :
Son oeil découragé, que la faiblesse altère,
Se tourne lentement vers le Ciel déjà gris,
Et sur la feuille jaune et les gazons flétris;
Il rit d'un rire amer au deuil de la nature,
Et sous chaque arbrisseau place sa sépulture;
Sa mère alors toujours sur le lit douloureux
Courbée, et s'efforçant à des regards heureux,
Lui dit sa santé belle, et vante l'espérance
Qui n'est pas dans son coeur, lui dit les jeux d'enfance,
Et la gloire, et l'étude, et les fleurs du beau temps,
Et ce soleil ami qui revient au printemps.

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MessageSujet: Re: Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE   Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND  LE NAVIRE Icon_minitimeSam 10 Nov - 7:51

Les navires penchés volaient sur l'eau dorée
Comme de cygnes blancs une troupe égarée
Qui cherche l'air natal et le lac paternel.
Le spectacle des mers est grand et solennel;
Ce mobile désert, bruyant et monotone,
Attriste la pensée encor plus qu'il n'étonne;
Et l'homme, entre le Ciel et les ondes jeté,
Se plaint d'être si peu devant l'immensité.
Ce fut surtout alors que cette mer antique
Aux Grecs silencieux apparut magnifique.
La nuit, cachant les bords, ne montrait à leurs yeux
Que les tombeaux épars et les temples des dieux,
Qui brillant tour à tour au sein des îles sombres,
Escortaient les vaisseaux, comme de blanches ombres,
En leur parlant toujours et de la liberté,
Et d'amour et de gloire, et d'immortalité.
Alors Mora, semblable aux antiques Rapsodes
Qui chantaient sur les flots d'harmonieuses odes,
Enflamma ses discours de ce feu précieux
Que conservent aux Grecs l'amour et leurs beaux cieux
« O regarde, Héléna! que ta tête affligée
« Se soulève un moment pour voir la mer Égée;
« O respirons cet air! c'est l'air de nos aïeux,
« L'air de la liberté qui fait les demi-dieux;
« La rose et le laurier qui l'embaument sans cesse,
« De victoire et de paix lui portent la promesse,
« Et ces beaux champs captifs qui nous sont destinés
« Ont encor dans leur sein des germes fortunés;
« Le soleil affranchi va tous les faire éclore.
« Vois ces îles : c'étaient les corbeilles de Flore;
« Rien n'y fut sérieux, pas même les malheurs;
« Les villes de ces bords avaient des noms de fleurs;
« Et, comme le parfum qui survit à la rose,
« Autour des murs tombés leur souvenir repose.
« Là, sous ces oliviers au feuillage tremblant,
« Un autel de Vénus lavait son marbre blanc;
« Vois cet astre si pur dont la nuit se décore
« Dans ce ciel amoureux, c'est Cythérée encore;
« Par nos riants aïeux ce ciel est enchanté,
« Son plus beau feu reçut le nom de la beauté,
« La beauté leur déesse. Ame de la nature,
« Disaient-ils, l'univers roule dans sa ceinture;
« Elle vient, le vent tombe et la terre fleurit
« La mer sous ses pieds blancs s'apaise et lui sourit.
« Mensonges gracieux, religion charmante
« Que rêve encor l'amant auprès de son amante! »

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MessageSujet: Re: Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE   Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND  LE NAVIRE Icon_minitimeSam 10 Nov - 7:52

Quand un lis parfumé qu'arrose l'Ilissus
De son beau vêtement courbe les blancs tissus,
Sous l'injure des vents et de la lourde pluie,
S'il advient qu'un rayon pour un moment l'essuie.
Son front alors s'élève, et, fier dans son réveil,
Entr'ouvre un sein humide et cherche son soleil;
Mais l'eau qui l'a flétri, prolongeant son supplice,
Tombe encor lentement des bords de son calice.
Héléna releva son front et ses beaux yeux,
Les égara long-temps sur la mer et les cieux;
Ses pleurs avaient cessé, mais non pas sa tristesse.
D'un rire dédaigneux : « C'est donc une autre Grèce,
« Dit-elle, où vous voyez des temples et des fleurs?
« Moi, je vois des tombeaux brisés par des malheurs.
« - Eh quoi! derrière nous, vois-tu pas, mon amie,
« Telle qu'une Sirène en ses flots endormie,
« Lesbos au blanc rivage, où l'on dit qu'autrefois
« Les premiers chants humains mesurèrent les voix?
« Une vague y jeta comme un divin trophée
« La tête harmonieuse et la lyre d'Orphée;
« Avec le même flot, la Mélodie alors
« Aborda : tous les sons connurent les accords;
« Philomèle en ces lieux gémissait plus savante.
« Fière de ses enfants, cette île encor se vante
« Des pleurs mélodieux et des tristes concerts
« Qu'à leur mort soupiraient les Muses dans les airs. »
Mais Héléna disait, en secouant sa tête
Et ses cheveux flottants : « Votre bouche s'arrête;
« Vous craignez ma tristesse et ne me dites pas
« Sapho, son abandon, sa lyre et son trépas.
« Elle était comme moi, jeune, faible, amoureuse;
« Je vais mourir aussi, mais bien plus malheureuse!
- « Tu ne peux pas mourir, puisque je combattrai.
- « Oui, vous serez vainqueur, et pourtant je mourrai!
« Que les vents sont tardifs! Quel est donc ce rivage?
- « Héléna, détournons un lugubre présage.
« Bientôt nous abordons : ne vois-tu pas déjà
« La flottante Délos, qu'Apollon protégea?
« Paros au marbre pur, sous le ciseau docile?
« Scyros ou bel enfant se travestit Achille?
« Vers le nord c'est Zéa qui s'élève à nos yeux,
« Vois l'Attique : à présent reconnais-tu tes cieux? »

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MessageSujet: Re: Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE   Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND  LE NAVIRE Icon_minitimeSam 10 Nov - 7:52

Héléna se leva : « Lune mélancolique,
« Dit-elle, ô montre-moi les rives de l'Attique!
« Que tes chastes rayons dorant ses bois anciens,
« L'éclairent à mes yeux sans m'éclairer aux siens!
« O Grèce, je t'aimais comme on aime sa mère!
« Que ce vent conducteur qui rase l'onde amère,
« Emporte mon adieu que tu n'entendras pas,
« Jusqu'aux lauriers amis de mes plus jeunes pas,
« De mes pas curieux. Lorsque seule, égarée,
« Sous un pudique voile, aux rives du Pirée
« J'allais, de Thémistocle invoquant le tombeau,
« Rêver un jeune époux, fidèle, illustre et beau,
« Couple fier et joyeux, de nos temples antiques
« Nous aurions d'un pas libre admiré les portiques;
« Mes destins bienheureux ne seraient plus rêvés,
« Et sur les murs deux noms auraient été gravés;
« Mon sein aurait connu les douceurs maternelles,
« Et, comme sur l'oiseau sa mère étend ses ailes,
« J'eusse élevé les jours d'un jeune Athénien,
« Libre dès le berceau, dès le berceau chrétien.
« Mais d'où me vient encor ce regret de la vie?
« Ma part dans ces trésors m'est à jamais ravie :
« Comment autour de moi se viennent-ils offrir?
« Devrait-elle y penser, celle qui va mourir?
« Hélas! je suis semblable à la jeune novice
« Qui change en voile noir et les fleurs, son délice,
« Et les bijoux du monde, et, prête à les quitter,
« Les touche et les admire avant de les jeter.
« Des maux non mérités je me suis étonnée,
« Et je n'ai pas compris d'abord ma destinée :
« Car j'ai des ennemis, je demande le sang,
«Je pleure, et cependant mon coeur est innocent,
« Mon coeur est innocent, et je suis criminelle. »
Et puis sa voix s'éteint, et sa lèvre décèle
Ce murmure sans bruit par le vent emporté;
« Et j'unis l'infamie avec la pureté! »

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D'abord le jeune Grec, d'une oreille ravie
Écoutait ces accens de bonheur et de vie.
A genoux devant elle, il admirait ses yeux,
Humides, languissans et tournés vers les Cieux;
Immobile, attentif, il laissait fuir à peine
De sa bouche entr'ouverte une brûlante haleine;
Il la voyait renaître : oubliant de souffrir,
Dans son heureuse extase il eût voulu mourir.
Mais lorsqu'il entendit sa mobile pensée
Redescendre à se plaindre, il la dit insensée :
Prenant ses blanches mains qu'il arrosait de pleurs,
Habile à détourner le cours de ses douleurs,
Il dit : « Hélas! ton âme est comme la colombe
« Qui monte vers le Ciel, puis gémit et retombe.
« Que n'as-tu poursuivi tes discours gracieux?
« Je voyais l'avenir passer devant mes yeux.
« Chasse le repentir, l'inquiétude amère,
« L'époux fait pardonner d'avoir quitté la mère,
« Qu'as-tu fais, dis-le-moi, de la noble fierté
« Qui soulevait ton coeur au nom de liberté?
« Tu t'endors aux chagrins de quelque vain scrupule,
« Quand mon vaisseau t'emporte à la terre d'Hercule! »

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MessageSujet: Re: Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND LE NAVIRE   Alfred de Vigny (1797-1863) CHANT SECOND  LE NAVIRE Icon_minitimeSam 10 Nov - 7:52

Des longs pleurs d'Héléna par torrents échappés,
Il sentit ses cheveux longtemps encor trempés;
Mais honteuse, bientôt elle éleva la tête,
Et l'on revit briller sur sa bouche muette,
Au travers de ses pleurs, un sourire vermeil,
Comme à travers la pluie un rayon de soleil.
Son regard s'allumait comme une double étoile :
Sa main rapide enlève et jette aux flots son voile;
Elle tremble et rougit : va-t-elle raconter
Les secrets de son coeur qu'elle ne peut dompter?
« J'avais baissé les yeux en implorant le glaive;
« J'ai trouvé le vengeur, ma tête se relève,
« Dit-elle : ô donnez-moi ce luth ionien,
« Nul amour pour les chants ne fut égal au mien.
« Se mesurant en choeur, que vos voix cadencées
« Suivent le mouvement des poupes balancées.
« O jeunes Grecs! chantons; que la nuit et ces bords
« Retentissent émus de nos derniers accords :
« Les accords précédaient les combats de nos pères;
« Et nous, n'avons-nous pas nos trois Muses sévères,
« La Douleur et la Mort toujours devant nos yeux,
« Et la Vengeance aussi, la volupté des Dieux? »

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