PARTIE I LETTRE IV
du chevalier, à Madame De Senanges.
eh bien, madame, je vais donc me faire une
étude de dissiper au moins vos préventions ;
et quand votre défiance aura disparu, vous
conviendrez qu' elle n' étoit pas l' ennemi le plus
cruel que j' eusse à combattre.
Quoi qu' il en soit, je ne puis me repentir.
L' aveu qui m' est échappé est une jouissance pour
mon coeur ; il me donne au moins des droits à
votre amitié, et tout sentiment qui part de votre
ame ne peut être indifférent à la mienne. J' ai
connu quelques femmes : presque toutes aimoient
mieux inspirer des desirs que de l' amour.
Vous seule avez rempli l' idée que je me suis faite
de l' être avec qui je voudrois passer ma vie :
vous seule avez tout ; et il semble que, dans
vous, les graces aient pris plaisir à parer la
vertu. Combien je veux vous aimer ! Combien,
hélas ! Je voudrois vous plaire ! Je veux, au
moins, que vous disiez un jour : pourquoi n' ai-je
pu m' attacher à lui ? Peut-être il eût fait mon
bonheur, et j' étois sûre de faire le sien.