PARTIE I LETTRE VI
de Madame De Senanges, au chevalier.
du château de .
Je mene ici une vie bien sage. Je me couche
de bonne heure ; je joue peu ; je m' enferme
pour lire : nous avons beaucoup de monde ;
nous avons, hélas ! Un certain monsieur, dont
je vous ai parlé. Il est plus métaphysique que
jamais ; il disserte à tort et à travers, tant que
la journée dure. Je l' écoute quand je peux : je
le comprends rarement. Je ne le contrarie point,
sa poitrine est plus forte que la mienne ; il
prend ma foiblesse pour de la docilité, il est assez
content de moi. La position du lieu que j' habite
est fort agréable, sur-tout celle d' un pavillon
délicieux, que la riviere borde, et où nous
allons prendre l' air, comme s' il ne faisoit pas
froid. Malgré tout cela, je reviendrai à Paris
avec plaisir. Les printems ne sont plus que des
hivers prolongés. Mille graces des trois lettres
que vous m' avez écrites.
à propos, la Duchesse De , dont le château
est voisin de la maison où je suis, est venue
nous voir hier : elle nous a amené les personnes
qui étoient chez elle. La Marquise D' Ercy, avec
qui, dit-on, vous êtes extrêmement bien, en
étoit. L' entretien est tombé sur vous ; vous
devez être content, monsieur, très-content de
l' intérêt avec lequel elle en a parlé. J' ai cru vous
plaire, en ne vous le laissant pas ignorer. Il y a
toute apparence que vous obtiendrez la place
qu' elle sollicite pour vous à la cour. Je vous en
fais mes complimens, ainsi que de votre constance :
elle augmente la bonne opinion que j' avois
de cette dame, et l' estime que j' ai pour
vous.