PARTIE II LETTRE XV
du chevalier, à Madame De Senanges.
ô ciel ! Ajoute aux facultés de mon ame,
fournis-moi des expressions dignes de mes transports,
et sois toi-même, en m' inspirant, l' organe
de ma reconnoissance ! Dans cet instant,
le plus beau de ma vie, vous me pardonnerez,
madame, d' oublier vos ordres, de n' obéir qu' à
mon coeur... je ne me connois plus, je mouille
de larmes le papier que j' écris en tremblant.
Image de la divinité, vous qui n' opposez à l' offense
que des bienfaits, il est impossible que
vous rejetiez mon hommage. Quoi, du fond
de votre solitude vous songiez à m' être utile !
J' occupois votre souvenir ! Et je voulois refuser
une place que j' obtiens par vous ! Et je n' ai pas
deviné la main d' où partoit un tel service ! Je ne
me le pardonnerai jamais. Si mon coeur étoit
aussi grand, aussi sublime que le vôtre, je ne
m' y serois pas trompé. Combien vous l' emportez
sur moi ! Vous m' accablez par des vertus ; je
vous défie d' être plus vengée : vengée ! Dieu !
Seroit-ce là votre projet ! J' en frémis ! Tout
pénétré que je suis de vos dons, si le coeur n' y avoit
point de part, ils me seroient affreux : je les
accepterois par obéissance ; mais j' irois mourir à
vos pieds, décoré du titre que je tiendrois de
votre générosité, et non d' un autre sentiment.
Rassurez-moi ; permettez-moi d' aller tomber à
vos genoux ; que je lise dans vos regards, ou
mon pardon, ou mon arrêt. Souvenez-vous des
momens où vous juriez de m' aimer toujours ;
une faute que l' amour fait commettre, ne doit
être punie que par l' amour. Daignez seulement
me recevoir ; votre premier regard vous convaincra
mieux que tous mes discours, de la vérité
de mon repentir : voyez-moi, c' est tout ce
que je veux.