LETTRE XIX.
du comte De Mirbelle, au chevalier De Gérac.
j'étois hier chez moi, mon cher chevalier,
quand vous y êtes venu. J'ai craint de vous
voir, je vous ai fui... ah, mon coeur est donc
coupable! Je me suis dit, au sujet de Sidley,
mille fois plus que vous ne m'en dites, et mon
désespoir est de tenir encore à elle, quoique je
sois entraîné vers une autre. Mon goût pour
Madame De Syrcé passera sans doute; mais, faut-il
vous l'avouer! Il me tyrannise: le sommeil
ne me sauve point des impressions qu'elle me
cause; mes songes sont brûlans de son idée.
Sidley fait couler mes larmes; la marquise allume
mes desirs. Malheureux de trahir l'une,
je me verrois avec transport dans les bras de
l'autre. Même en allant chez ladi, c'est Syrcé
que je cherche; et cette fantaisie est d'autant
plus impérieuse, qu'elle est combattue et gênée
par un autre sentiment.
Que voulez-vous? Sidley est bien tendre;
mais sa rivale... je ne trouve point d'expressions
pour la peindre... d'ailleurs, on la dit
inconstante, et, le croiriez-vous? Cette accusation
me décide. La marquise, en comblant mes
voeux, n'exigeroit point de sacrifice; elle-même
hélas! Sauroit me rendre à mes premiers
liens... c'en est fait, elle seule peut me sauver
d'elle. Il faudroit me plaindre, si elle étoit
susceptible d'un véritable attachement: mais,
avec les traits de l'amour, elle en a la légéreté;
cette réflexion me tranquillise; et si je change
un moment, c'est dans le dessein d'être constant
pour toujours. Mon ami, il n'est plus
tems de me vaincre... j'ai eu l'imprudence
de lui écrire hier ce que je n'avois plus la force
de lui cacher; je n'en ai reçu aucune réponse;
je meurs d'inquiétude... n'importe: plus
elle me traite mal, plus elle augmente l'obstination
de ma poursuite; l'amour-propre va
quelquefois aussi loin que l'amour... je ne
sais ce que je veux; mais je sais que mon
agitation est affreuse; je suis tourmenté par
deux sentimens, j'ignore lequel domine...
ne pouvoit-elle pas me répondre un mot, un
seul mot? Sa réponse m'auroit peut-être désolé...
son silence me tue.
Adieu, chevalier! Nous sommes tous deux
dans l'âge des passions... ménagez la mienne,
que dis-je! Je n'ai de véritable attachement
que pour Sidley. Quel charme a donc la marquise
pour m'en distraire? Je ne m'explique
rien; je suis mécontent de tout... je suis
bien malheureux. ô Sidley!... que vous
avez une dangereuse rivale!