LETTRE XXXIV.
de la marquise, à son amie.
voila huit jours que ne l'ai vu, je suis d'un
abattement, d'une tristesse inexprimable; tout
m'importune et m'afflige, je sors pour le chercher,
je reste pour l'attendre; je lui écris à chaque
instant, je brûle aussi-tôt ce que je viens d'écrire.
Quelle amertume il répand sur ma vie!
Il me fait sentir tous les degrés de la douleur.
Loin de me trouver heureuse de n'avoir plus à
le combattre, son abandon me tue. Je le redoutois...
il me fuit, et je n'en suis que
plus foible! Ah, mon amie, s'il m'avoit trompée!
S'il aimoit Madame De Thémines!... je ne
puis soutenir cette idée; plus ma jalousie est secrete,
plus elle est déchirante elle se tourne
toute entiere contre moi. ô ciel! Il est donc
vrai, mon sort est décidé! Eh, comment pourrois-je
en douter! Depuis ces huit jours éternels que j'ai
passés sans le voir, j'ai été dans
vingt maisons où je ne les ai rencontrés ni l'un
ni l'autre: ils s'aiment, ils se suffisent, et se
dérobent à la foule pour aimer mieux. Le comte
a cru sans doute qu'il pouvoit se livrer à une
fantaisie pour moi; et voyant que j'attachois à
son perfide aveu plus d'importance qu'il n'en
mettoit lui-même, il aura repris ses premieres
chaînes; je suis peut-être l'objet de son dédain...
le cruel! Que lui ai-je fait, qu'opposer
toujours à son ardeur les scrupules vrais
d'un coeur honnête, et jamais le manege de la
coquetterie? Il ne sait pas combien il va me
rendre malheureuse. Mon coeur se ferme à tout,
excepté à son image; mes plus beaux jours
s'évanouiront dans les langueurs d'une passion qui
concentre mes idées, absorbe mes voeux, et réchauffera
mon dernier soupir. C'est ainsi que
j'aime, c'est ainsi qu'il faut aimer. Ah! Si l'excès
nous excuse, je n'ai point à rougir. Je renonce
à l'univers, l'amitié seule me reste, je
me jette dans son sein, j'y dépose mes larmes,
mes foiblesses, tous les secrets d'un coeur...
qu'on ne connoît pas.
Adieu; écrivez moi, vos lettres sont tendres,
elles me consolent; me guériront-elles? Ah!
Jamais... je ne les aimerois pas tant, si elles
pouvoient m'arracher... hélas! à mon malheur.