LETTRE XV.
de Ladi Sidley, au comte.
une lettre anonyme!... ô ciel! Qu'ai-je
lu! Vous me trahissez, vous!... une autre
femme vous enleve à moi! Et je trouve des
forces pour écrire!... non, c'est un piege
qu'on tend à mon amour, un outrage qu'on
fait au vôtre. Mon coeur n'est point convaincu,
le mensonge est avéré. Ces menées obscures
sont d'un lâche, quel qu'il soit: celle-ci me
rappelle les avis mystérieux que depuis quelques
jours on donne à mes gens, afin sans
doute qu'ils me parviennent. Je serois injuste
d'y croire, et foible de m'en affliger; je ne veux
croire que vous.
Cependant depuis quelques mois je vous
trouve triste et contraint avec moi; vos lettres
n'ont plus cette simplicité touchante, la marque
d'un coeur pénétré; vos absences se renouvellent
plus vîte, et durent plus long-tems.
Fuyez, soupçons honteux, je vous abjure à
jamais. Si le ciel, ce ciel impitoyable qui a
poursuivi ma jeunesse; si le ciel lui-même
vouloit que tu fusses ingrat un jour, je le défie
de te rendre vil. Tu m'apprendrois mon malheur;
tu serois inhumain plutôt que d'être
perfide, et je t'en remercierois. J'aime mieux
périr d'un coup de foudre, que d'un poison
lent. Une fois blessée, je veux qu'on arrache
ma blessure. éclairée par toi-même, il me resteroit
au moins une consolation: je ne pourrois
te haïr; et victime de la sincérité qui est
une vertu, je trouverois encore quelque chose
à louer dans mon amant. être abandonnée de
ce qu'on aime est un supplice affreux; mais il
en est un plus horrible, celui de le mépriser.
Combien le trépas lui est préférable! Est-ce un
malheur si grand d'être anéantie quand on n'est
plus aimée? écoute: si je ne suis plus tout
pour toi; si je n'ai plus à ton réveil ta premiere
pensée; quand tu ouvres les yeux, quand
tu vois la lumiere du jour, si tu ne te dis pas:
que me seroit-il sans elle? Si tes songes ne te
retracent plus mon image; si tu es absent de ta
maîtresse sans inquiétude et sans chagrin:
ouvre-moi ton coeur, que j'y lise mon arrêt, la
mort et la vérité. Oui, la mort, ou ta froideur,
plutôt qu'une caresse involontaire, plutôt que
l'expression parjure de ce que ton ame ne sent
pas. Ne crains point de ma part les mollesses
d'une ame commune, ces soupçons importuns,
ces vains reproches dont la foiblesse accable
l'ingratitude. Je suis née dans l'infortune; j'y
ai traîné mon enfance; j'y suis exercée; et sentant
avec énergie le charme d'être aimée, je supporterai
avec courage l'horreur de ne plus
l'être: de ne plus l'être! Ah, dieu!... tu vois
mon trouble: eh bien, un soupir, un mot, un
regard de toi vont me rendre le calme profond
où me laissoit l'amour. Tranquillise mon coeur;
sois tout entier à l'objet qui t'adore; songe
qu'un doute me déchire, qu'une certitude me
tueroit; songe à ma conduite depuis que je
t'aime, à mes chagrins, à mon courage. On
est l'amant de beaucoup de femmes; on n'est le
dieu que d'une seule, sois le mien... que dis-je!
N'obéis qu'à l'attrait, ne te commande rien.
S'il t'en coûte pour m'être fidele, n'écoute
point l'amante qui t'invite à l'être. Malheur à
celle qui demande d'être aimée, qui implore
un sentiment qu'on lui refuse, et devient lâchement
suppliante dans le moment de l'orgueil et
du silence! Je veux que tout vienne de vous:
c'est, parce que l'amour est libre, qu'il est le
plus flatteur des sentimens; il seroit le plus vil
de tous, s'il n'avoit que la froideur du bienfait.