LETTRE XLVII.
du comte De Mirbelle, à Madame De Syrcé.
votre arrêt est prononcé! Qu'ai-je lu!
Qui vous l'a dit? Gardez-vous de le croire. Non,
il ne l'est pas; n'écoutez point des barbares qui
vous trompent; n'ajoutez foi qu'à l'amant qui
vous rassure. Vous, me quitter! Vous! Je ne reçois
point votre adieu, votre adieu cruel... au
nom de mon amour, de l'amour le plus tendre,
le plus malheureux, le plus désespéré, reprenez
votre courage. S'il est un être juste, il veille sur
vos jours, il vous protege, il vous aime; mes
pleurs l'attendriront; et s'il déchiroit nos noeuds,
son bonheur, quel qu'il soit, seroit troublé par
l'excès de mon infortune. Ne craignez rien, il
me semble que, tant que je respire, le ciel même
n'a point de pouvoir sur vos jours; cette illusion
suspend mes terreurs. Quoi, c'est vous,
c'est bien vous qui m'avez écrit? Je la mets sur
mon coeur cette lettre, cette précieuse lettre,
cher monument d'une sensibilité dont il n'y eut
jamais d'exemple. Votre ame y est toute entiere,
cette ame à la fois douce, courageuse et profonde,
et qui est vraiment un rayon de la divinité.
Quoi, cette ame de feu s'éteindroit! Elle
ne sentiroit plus l'amour! La tombe dévoreroit...
mes yeux se couvrent de larmes. Qui,
moi! Moi, malheureux, je vous aurois connue,
pour être votre bourreau! Sous la riante image
du bonheur, le sort implacable nous auroit
caché un avenir aussi funebre! J'aurois porté la
mort dans votre sein, le gage de notre union
s'y anéantiroit, et je perdrois à la fois deux
êtres sacrés pour mon coeur! Je ne puis envisager
cet abyme. ô toi, sans qui je ne saurois
vivre un seul instant, que tes craintes s'évanouissent;
ne partage que mon espoir. Il sera
rempli, si Madame De Sancerre n'a point une ame
cruelle. Je lui ai écrit; j'implore de sa bonté la
grace de te voir, de te parler; sans doute elle me
l'accordera. Sophie te remettra ma lettre; les
caracteres en sont presqu'effacés par mes pleurs;
mais si tes yeux peuvent s'ouvrir, ils m'y
reconnoîtront encore. Je lui ai bien recommandé de
choisir un moment où tu serois moins foible,
pour te la laisser lire; tu y verras l'amour que tu
inspires, les craintes qui m'accablent, les
espérances qui me consolent. Ma chere maîtresse,
que Madame De Sancerre tarde à me répondre!
Va, je souffre tous les maux ensemble. Te savoir
mourante, et vivre loin de toi, vivre dans des
transes éternelles; pleurer le jour, pleurer la
nuit, rejeter toute consolation, relire sans cesse
tes lettres, couvrir ton portrait de baisers et de
larmes, lui parler comme s'il pouvoit m'entendre
et me répondre, imprimer ma bouche et
mon ame sur les moindres gages de ta tendresse,
voilà l'emploi de tous mes instans, mes occupations
douloureuses et cheres; voilà ce que je
fais sans cesse, et je n'y suis arraché que par un
abattement qui ressembleroit à la mort, s'il n'étoit
encore plus horrible qu'elle. Je ne puis finir
ma lettre. En ce moment ou je m'entretiens avec
toi... les sanglots m'oppressent...
adieu, mon amie, ma maîtresse! Adieu, toi,
l'épouse de mon coeur!... on ne m'apporte
point de réponse. Je frémis, je tremble...
quel état!... je me meurs! Je t'adore!...
tu vivras; oui, tu vivras... et ton amant,
ton amant fidele!... je te quitte malgré moi...
adieu... il faut que je te voie; il le faut!...
les barbares! Ils ne me priveront pas plus long-tems
de ta présence.
Billet.
du comte, à Sophie.
ô ma Sophie, je me trouverai à l'heure indiquée
à la porte de l'hôtel; je serai déguisé,
les gens ne pourront me reconnoître. Ma Sophie!...
tous les coeurs sont féroces. Madame De Sancerre...
ah, dieu!... ma Sophie, je
te dois tout; tu as remis ma lettre. Ta maîtresse
en a lu quelques lignes!... son front étoit
serein, mais une foiblesse l'a empêchée de poursuivre.
Une foiblesse!... elle est plus mal, et
c'est à moi qu'il faut le reprocher! Le ciel m'a
donc fait naître pour son tourment. Elle expire,
et je hâte peut-être... moi! Qu'ai-je dit! C'en
est trop, je succombe; si mes cris alloient être
entendus! Je sors de chez mon pere, je vais
errer jusqu'à l'heure du fatal rendez-vous. Quel
jour, quel jour funebre! S'il m'enleve ce que
j'aime, puisse-t-il être le dernier pour toute la
nature!
Adieu; je te remercie, et dans ces instans où
mon ame n'est ouverte qu'à la douleur, j'ai
encore la force de sentir ton bienfait.