XXXVII. Métamorphose d'une rose
Comme sur l'arbre sec la veuvfe tourterelle
Regrette ses amours d'une triste querelle,
Ainsi de mon mary le trespas gemissant,
En pleurs je consumois mon aage languissant:
Quand pour chasser de moy ceste tristesse enclose,
Mon destin consentit que je devinsse Rose,
Qui d'un poignant hallier se herisse à l'entour,
Pour faire resistance aux assaults de l'Amour.
Je suis, comme j'estois, d'odeur naïve et franche,
Mes bras sont transformez en épineuse branche,
Mes piedz en tige verd, et tout le demeurant
De mon corps est changé en Rosier bien fleurant.
Les plis de mon habit sont écailleuses poinctes,
Qui en rondeur égalle autour de moy sont joinctes:
Et ce qui entr'ouvert monstre un peu de rougeur,
Imite de mon ris la première doulceur.
Mes cheveulx sont changez en fueilles qui verdoyent,
Et ces petis rayons, qui vivement flamboyent
Au centre de ma rose, imitent de mes yeux,
Les feuz jadis égaulx à deux flammes des cieulx.
La beauté de mon teinct à l'Aurore pareille
N'a du sang de Vénus pris sa couleur vermeille,
Mais de cestre rougeur que la pudicité
Imprime sur le front de la virginité.
Les graces, dont le ciel m'avoit favorisée,
Or que Rose je suis, me servent de rosée:
Et l'honneur qui en moy a fleury si long temps,
S'y garde encor entier d'un éternel primtemps.
La plus longue frescheur des roses est bornee
Par le cours naturel d'une seule journee:
Mais ceste gayeté qu'on voit en moy fleurir,
Par l'injure du temps ne pourra dépérir.
A nul je ne défends ny l'odeur, ny la veuë,
Mais si quelque indiscret vouloit à l'impourveuë
S'en approcher trop près, il ne s'en iroit point
Sans esprouver comment ma chaste rigueur poingt.
Que nul n'espère donc de ravir ceste Rose,
Puis qu'au jardin d'honneur elle est si bien enclose:
Où plus soingneusement elle est gardee encor
Que du Dragon veillant n'estoient les pommes d'or.
Celuy qui la vertu a choisy pour sa guide,
Ce sera celuy seul qui en sera l'Alcide:
A luy seul j'ouvriray la porte du verger,
Où heureux il pourra me cueillir sans danger.
Qu'autrement on n'espère en mon cueur faire brèche:
Car je ne crains Amour, ny son arc, ny sa flèche:
J'esteins, comme il me plaist, son brandon furieux,
Les aeles je luy couppe, et débende les yeux.