Le soir sur le lac
Voici le soir, chère âme, qui demande pâture à tout ce qui
peut créer en toi le frisson ou l'extase.
Voici le soir.
Le lac presque immobile, avec sa ceinture de maisons
silencieuses, absorbe les nuances de l'heure.
Tous les nuages maintenant se sont plongés et évanouis
dans son sein: précaires et somptueux, ils s'y sont abîmés
sans plaintes, satisfaits, semble-t-il, de connaître un destin
rapide, royal, fait de poésie dans son recommencement
vespéral.
Ils dorment là, de cette mort où se résout toute chose
créée, attendant, dans leur tombe liquide, à peine
frissonnante, que d'autres nuages refassent cette dissolution.
Un homme, assis dans un bac, pareil à une statue mariée à
ce décor, décèle la force jeune de ses bras nus.
Tout à l'heure, en s'enfuyant, une nymphe, sur la rive, a
laissé tomber son écharpe. Le vent, qui la gonfle maintenant,
donne à ce vêtement les formes de la naïade.
Et des regards se fixent, rêvent de cette étoffe où reparaît
dans l'espace, par la vertu du désir, une poitrine offerte au
baiser et au rire.
Grâce à l'ombre, créatrice de mirages, la nymphe s'est
glissée sous ce voile et ce voile s'anime, semble s'adapter à
un corps.
Et des regards s'attachent, enveloppent cette belle
illusion.
Endormie, lascive, ramassant tous ses cris et ses chants, la
ville se prépare au sommeil.
En déesse que divinisent les lueurs et les murmures, elle
semble s'endormir sur un tombeau criblé d'étoiles.
Dans le lac, des astres conjugués se joignent, cependant
que, là-haut dans leur demeure d'éternité, la promenade des
étoiles se continue sur la mort des êtres et des choses.
*******