PLUME DE POÉSIES
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 François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 17

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MessageSujet: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 17   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 17 Icon_minitimeDim 27 Jan - 1:25

DIALOGUE 17

Socrate et Alcibiade.
Le bon gouvernement est celui où les citoyens sont
élevés dans le respect des lois, et dans l' amour
de la patrie, et du genre humain, qui est la
grande patrie.

Socrate.
Vous voilà devenu bien sage à vos dépens, et aux
dépens de tous ceux que vous avez trompés. Vous
pourriez être le digne héros d' une seconde
odyssée ; car vous avez vu les moeurs d' un plus
grand nombre de peuples dans vos voyages,
qu' Ulysse n' en vit dans les siens.

Alcibiade.
Ce n' est pas l' expérience qui me manque, mais
la sagesse : mais, quoique vous vous moquiez de
moi, vous ne sauriez nier qu' un homme n' apprenne
bien des choses quand il voyage et qu' il étudie
sérieusement les moeurs de tant de peuples.

Socrate.
Il est vrai que cette étude, si elle étoit bien
faite, pourroit beaucoup agrandir l' esprit :
mais il faudroit un vrai philosophe, un
homme tranquille et appliqué, qui ne fût
point dominé comme vous par l' ambition et
par le plaisir, un homme sans passion et sans
préjugé, qui chercheroit tout ce qu' il y auroit
de bon en chaque peuple, et qui découvriroit
ce que les lois de chaque pays lui ont apporté
de bien et de mal. Au retour de ce voyage,
un philosophe seroit un excellent législateur.
Mais vous n' avez jamais été l' homme qu' il falloit
pour donner des lois ; votre talent étoit
tout pour les violer. à peine étiez-vous hors
de l' enfance, que vous conseillâtes à votre
oncle Périclès d' engager la guerre pour éviter
de rendre compte des deniers publics. Je crois
même qu' après votre mort vous seriez un dangereux
garde des lois.

Alcibiade.
Laissez-moi là, je vous prie ; le fleuve
d' oubli doit effacer toutes mes fautes : parlons des
moeurs des peuples. Je n' ai trouvé par-tout
que des coutumes, et fort peu de lois. Tous
les barbares n' ont d' autre règle que l' habitude
et l' exemple de leurs pères. Les perses mêmes,
dont on a tant vanté les moeurs du temps de
Cyrus, n' ont aucune trace de cette vertu. Leur
valeur et leur magnificence montrent un assez
beau naturel : mais il est corrompu par la
mollesse et par le faste le plus grossier. Leurs
rois, encensés comme des idoles, ne sauroient
être honnêtes gens, ni connoître la vérité :
l' humanité ne peut soutenir avec modération
une puissance aussi désordonnée que la leur ;
ils s' imaginent que tout est fait pour eux ; ils
se jouent du bien, de l' honneur et de la vie
de tous les autres hommes. Rien ne marque
tant de barbarie que cette forme de gouvernement ;
car il n' y a plus de lois, et la volonté
d' un seul homme dont on flatte toutes les
passions est sa loi unique.

Socrate.
Ce pays-là ne convenoit guère à un génie
aussi libre et aussi hardi que le vôtre : mais
ne trouvez-vous pas que la liberté d' Athènes
est dans une autre extrémité ?

Alcibiade.
Sparte est ce que j' ai vu de meilleur.

Socrate.
La servitude des ilotes ne vous paroît-elle
pas contraire à l' humanité ? Remontez hardiment
aux vrais principes ; défaites-vous de
tous les préjugés : avouez qu' en cela les grecs
sont eux-mêmes un peu barbares. Est-il permis
à une partie des hommes de traiter l' autre
comme des bêtes de charge ?

Alcibiade.
Pourquoi non, si c' est un peuple subjugué ?

Socrate.
Le peuple subjugué est toujours peuple ; le
droit de conquête est un droit moins fort que
celui de l' humanité. Ce qu' on appelle conquête
devient le comble de la tyrannie et l' exécration
du genre humain, à moins que le conquérant n' ait
fait sa conquête par une guerre juste, et n' ait
rendu heureux le peuple conquis en lui donnant
de bonnes lois. Il n' est donc pas permis aux
lacédémoniens de traiter si inhumainement les
ilotes, qui sont hommes comme eux. Quelle horrible
barbarie, que de voir un peuple qui se joue de la
vie d' un autre, et qui compte pour rien sa vie et
son repos ! De même qu' un chef de famille ne doit
jamais s' entêter de la grandeur de sa maison
jusqu' à vouloir troubler la paix et la
tranquillité publique de tout le peuple, dont lui
et sa famille ne sont qu' un membre ; de même
c' est une conduite insensée, brutale et
pernicieuse, que le chef d' une nation mette sa
gloire à augmenter la puissance de son peuple en
troublant le repos et la liberté des peuples
voisins. Un peuple n' est pas moins un membre
du genre humain, qui est la société générale,
qu' une famille est un membre d' une nation
particulière. Chacun doit incomparablement
plus au genre humain, qui est la grande patrie,
qu' à la patrie particulière dont il est né : il
est donc infiniment plus pernicieux de blesser
la justice de peuple à peuple, que de la blesser
de famille à famille contre sa république.
Renoncer au sentiment d' humanité, non seulement
c' est manquer de politesse et tomber dans la
barbarie, mais c' est l' aveuglement le plus
dénaturé des brigands et des sauvages ; c' est
n' être plus homme, et être anthropophage.

Alcibiade.
Vous vous fâchez ! Il me semble que vous
étiez de meilleure humeur dans le monde ;
vos ironies piquantes avoient quelque chose
de plus enjoué.

Socrate.
Je ne saurois être enjoué sur des choses
aussi sérieuses. Les lacédémoniens ont
abandonné tous les arts pacifiques pour ne se
réserver que celui de la guerre ; et comme la
guerre est le plus grand des maux, ils ne
savent que faire du mal ; ils s' en piquent ; ils
dédaignent tout ce qui n' est pas la destruction
du genre humain, et tout ce qui ne peut servir
à la gloire brutale d' une poignée d' hommes
qu' on appelle les spartiates. Il faut que
d' autres hommes cultivent la terre pour les
nourrir, pendant qu' ils se réservent pour ravager
les terres voisines. Ils ne sont pas sobres,
austères contre eux-mêmes, pour être justes et
modérés à l' égard d' autrui : au contraire, ils
sont durs et farouches contre tout ce qui n' est
point la patrie, comme si la nature humaine
n' étoit pas plus leur patrie que Sparte. La
guerre est un mal qui déshonore le genre
humain : si l' on pouvoit ensevelir toutes les
histoires dans un éternel oubli, il faudroit cacher
à la postérité que des hommes ont été capables
de tuer d' autres hommes. Toutes les guerres
sont civiles ; car c' est toujours l' homme
qui répand son propre sang, qui déchire ses
propres entrailles. Plus la guerre est étendue,
plus elle est funeste : donc celle des peuples
qui composent le genre humain est encore
pire que celle des familles qui troublent une
nation. Il n' est donc permis de faire la guerre
que malgré soi, à la dernière extrémité, pour
repousser la violence de l' ennemi. Comment
est-ce que Lycurgue n' a point eu d' horreur
de former un peuple oisif et imbécile pour
toutes les occupations douces et innocentes de
la paix, et de ne lui avoir donné d' autre
exercice d' esprit que celui de nuire par la guerre
à l' humanité ?

Alcibiade.
Votre bile s' échauffe avec raison : mais
aimeriez-vous mieux un peuple comme celui
d' Athènes, qui raffine jusqu' au dernier excès
sur les arts destinés à la volupté ? Il vaut
encore mieux souffrir des naturels farouches
comme ceux de Lacédémone.

Socrate.
Vous voilà bien changé ! Vous n' êtes plus cet
homme si décrié : les bords du Styx font de
beaux changements ! Mais peut-être que vous
parlez ainsi par complaisance ; car vous avez
toute votre vie été un protée sur les moeurs.
Quoi qu' il en soit, j' avoue qu' un peuple qui
par la contagion de ses moeurs porte le faste,
la mollesse, l' injustice et la fraude chez les
autres peuples, fait encore pis que celui qui
n' a d' autre occupation, d' autre mérite que
celui de répandre du sang ; car la vertu est
plus précieuse aux hommes que la vie. Lycurgue
est donc louable d' avoir banni de sa république
tous les arts qui ne servent qu' au faste et à la
volupté : mais il est inexcusable d' en avoir
ôté l' agriculture, et les autres arts nécessaires
pour une vie simple et frugale. N' est-il
pas honteux qu' un peuple ne se suffise pas
à lui-même, et qu' il lui faille un autre peuple
appliqué à l' agriculture pour le nourrir ?

Alcibiade.
Hé bien ! Je passe condamnation sur ce
chapitre : mais n' aimez-vous pas mieux la sévère
discipline de Sparte, et l' inviolable
subordination qui y soumet la jeunesse aux
vieillards, que la science effrénée d' Athènes ?

Socrate.
Un peuple gâté par une liberté excessive est
le plus insupportable de tous les tyrans ; ainsi
la populace soulevée contre les lois est le
plus insolent de tous les maîtres. Mais il faut
un milieu. Ce milieu est qu' un peuple ait des
lois écrites, toujours constantes, et consacrées
par toute la nation ; qu' elles soient au-dessus
de tout ; que ceux qui gouvernent n' aient
d' autorité que par elles ; qu' ils puissent tout
pour le bien, et suivant les lois ; qu' ils ne
puissent rien contre ces lois pour autoriser le
mal. Voilà ce que les hommes, s' ils n' étoient pas
aveugles et ennemis d' eux-mêmes, établiroient
unanimement pour leur félicité : mais les uns,
comme les athéniens, renversent les lois, de
peur de donner trop d' autorité aux magistrats,
par qui les lois devroient régner ; et les
autres, comme les perses, par un respect
superstitieux
des lois, se mettent dans un tel esclavage sous
ceux qui devroient faire les lois, que ceux-ci
règnent eux-mêmes, et qu' il n' y a plus d' autre loi
réelle que leur volonté absolue. Ainsi les uns et
les autres s' éloignent du but, qui est une liberté
modérée par la seule autorité des lois, dont ceux
qui gouvernent ne devroient être que les simples
défenseurs. Celui qui gouverne doit être le plus
obéissant à la loi. Sa personne détachée de la loi
n' est rien, et elle n' est consacrée qu' autant qu' il
est lui-même, sans intérêt et sans passion, la loi
vivante donnée pour le bien des hommes. Jugez
par là combien les grecs, qui méprisent tant les
barbares, sont encore dans la barbarie. La guerre
du Péloponnèse, où la jalousie ambitieuse des
deux républiques a mis tout en feu pendant
vingt-huit ans, en est une funeste preuve.
Vous-même qui parlez ici, n' avez-vous pas flatté
tantôt l' ambition triste et implacable des
lacédémoniens, tantôt l' ambition des athéniens
plus vaine et plus enjouée ? Athènes avec moins
de puissance a fait de plus grands efforts, et a
triomphé long-temps de toute la Grèce : mais
enfin elle a succombé tout-à-coup, parceque le
despotisme du peuple est une puissance folle et
aveugle, qui se forcène contre elle-même, et
qui n' est
absolue et au-dessus des lois que pour achever
de se détruire.

Alcibiade.
Je vois bien qu' Avitus n' a pas eu tort de
vous faire boire un peu de ciguë, et qu' on
devoit encore plus craindre votre politique que
votre nouvelle religion.
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