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 François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 35

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MessageSujet: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 35   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 35 Icon_minitimeMar 29 Jan - 9:51

DIALOGUE 35

Fabius MaXImus Et Annibal.
Un général d' armée doit sacrifier sa réputation au
salut public.
Annibal.
Je vous ai fait passer de mauvais jours et de
mauvaises nuits : avouez-le de bonne foi.
Fabius.
Il est vrai ; mais j' en ai eu ma revanche.
Annibal.
Pas trop : vous ne faisiez que reculer devant
moi, que chercher des campements inaccessibles
sur des montagnes ; vous étiez toujours
dans les nues. C' étoit mal relever la
réputation des romains que de montrer tant
d' épouvante.
Fabius.
Il faut aller au plus pressé. Après tant de
batailles perdues, j' eusse achevé la ruine de
la république en hasardant de nouveaux
combats. Il falloit relever le courage de nos
troupes, les accoutumer à vos armes, à vos
éléphants, à vos ruses, à votre ordre de bataille,
vous
laisser amollir dans les plaisirs de Capoue, et
attendre que vous usassiez peu-à-peu vos
forces.
Annibal.
Mais cependant vous vous déshonoriez par
votre timidité. Belle ressource pour la patrie
après tant de malheurs, qu' un capitaine qui
n' ose rien tenter, qui a peur de son ombre
comme un lièvre, qui ne trouve point de
rochers assez escarpés pour y faire grimper ses
troupes toujours tremblantes ! C' étoit
entretenir la lâcheté dans votre camp, et augmenter
l' audace dans le mien.
Fabius.
Il valoit mieux se déshonorer par cette lâcheté
que de faire massacrer toute la fleur des
romains, comme Terentius Varro le fit à
Cannes. Ce qui aboutit à sauver la patrie, et à
rendre les victoires des ennemis inutiles, ne
peut déshonorer un capitaine. On voit qu' il a
préféré le salut public à sa propre réputation,
qui lui est plus chère que sa vie ; et ce sacrifice
de sa réputation doit lui en attirer une grande :
encore même n' est-il pas question de sa
réputation ; il ne s' agit que de discours téméraires
de certains critiques qui n' ont pas des vues
assez étendues pour prévoir de loin combien
cette manière lente de faire la guerre sera enfin
avantageuse. Il faut laisser parler les gens
qui ne regardent que ce qui est présent et que
ce qui brille. Quand vous aurez obtenu par
votre patience un bon succès, les gens même
qui vous ont le plus condamné seront les plus
empressés à vous applaudir. Ils ne jugent que
par le succès ; ne songez qu' à réussir : si vous
y parvenez, ils vous accableront de louanges.
Annibal.
Mais que vouliez-vous que pensassent vos
alliés ?
Fabius.
Je les laissois penser tout ce qu' il leur plaisoit,
pourvu que je sauvasse Rome, comptant
bien que je serois justifié sur toutes leurs
critiques après que j' aurois prévalu sur vous.
Annibal.
Sur moi ! Vous n' avez jamais eu cette gloire
une seule fois. J' ai montré que je me savois
jouer de toute votre science dans l' art militaire ;
car, avec des feux attachés aux cornes
d' un grand nombre de boeufs, je vous donnai
le change, et je décampai la nuit pendant que
vous vous imaginiez que j' étois auprès de votre
camp.
Fabius.
Ces ruses-là peuvent surprendre tout le
monde, mais elles n' ont rien décidé entre
nous. Enfin vous ne pouvez désavouer que je
vous ai affoibli, que j' ai repris des places, que
j' ai relevé de leurs chutes les troupes romaines :
et si le plus jeune Scipion ne m' en eût
dérobé la gloire, je vous aurois chassé de
l' Italie. Si Scipion en est venu à bout, c' est
qu' il y avoit encore une Rome sauvée par la sagesse
de Fabius. Cessez donc de vous moquer d' un
homme qui, en reculant un peu devant vous,
est cause que vous avez abandonné toute
l' Italie et fait périr Carthage. Il n' est pas
question d' éblouir par des commencements
avantageux : l' essentiel est de bien finir.

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