PLUME DE POÉSIES
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 François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 50

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François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 50 Empty
MessageSujet: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 50   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 50 Icon_minitimeMar 29 Jan 2013 - 9:58

DIALOGUE 50

Parrhasius Et Poussin.
Parrhasius.
Il y a déja assez long-temps qu' on nous
faisoit attendre votre venue : il faut que vous
soyez mort assez vieux.
Poussin.
Oui, et j' ai travaillé jusque dans une
vieillesse fort avancée.
Parrhasius.
On vous a marqué ici une place assez honorable
à la tête des peintres françois : si vous
aviez été mis parmi les italiens, vous seriez
en meilleure compagnie. Mais ces peintres,
que Vasari nous vante tous les jours, vous
auroient fait bien des querelles. Il y a ces deux
écoles lombarde et florentine, sans parler de
celle qui se forma encore à Rome : tous ces
gens-là nous rompent sans cesse la tête par
leurs jalousies. Ils avoient pris pour juges de
leurs différents Apelles, ZeuXIs, et moi : mais
nous aurions plus d' affaires que Minos, éaque
et Rhadamanthe, si nous les voulions accorder.
Ils sont même jaloux des anciens, et osent
se comparer à nous. Leur vanité est insupportable.
Poussin.
Il ne faut point faire de comparaison, car
vos ouvrages ne restent point pour en juger :
et je crois que vous n' en faites plus sur le bord
du Styx ; il y fait un peu trop obscur pour y
exceller dans le coloris, dans la perspective,
et dans la dégradation de lumière. Un tableau
fait ici-bas ne pourroit être qu' une nuit, tout
y seroit ombre. Pour revenir à vous autres
anciens, je conviens que le préjugé général est
en votre faveur. Il y a sujet de croire que votre
art, qui est du même goût que la sculpture,
avoit été poussé jusqu' à la même perfection,
et que vos tableaux égaloient les statues de
PraXItèle, de Scopas et de Phidias : mais enfin
il ne nous reste rien de vous, et la comparaison
n' est plus possible ; par là vous êtes hors de
toute atteinte, et vous nous tenez en respect.
Ce qui est vrai, c' est que, nous autres peintres
modernes, nous devons nos meilleurs ouvrages
aux modèles antiques que nous avons étudiés
dans les bas-reliefs. Ces bas-reliefs,
quoiqu' ils appartiennent à la sculpture, font
assez entendre avec quel goût on devoit peindre
dans ce temps-là. C' est une demi-peinture.
Parrhasius.
Je suis ravi de trouver un peintre moderne
si équitable et si modeste. Vous comprenez
bien que, quand ZeuXIs fit des raisins qui
trompoient les petits oiseaux, il falloit que la
nature fût bien imitée pour tromper la nature
même. Quand je fis ensuite un rideau qui
trompa les yeux si habiles du grand ZeuXIs, il
se confessa vaincu. Voyez jusqu' où nous avions
poussé cette belle erreur. Non, non, ce n' est
pas pour rien que tous les siècles nous ont
vantés. Mais dites-moi quelque chose de vos
ouvrages. On a rapporté ici à Phocion que
vous aviez fait de beaux tableaux où il est
représenté. Cette nouvelle l' a réjoui. Est-elle
véritable ?
Poussin.
Sans doute, j' ai représenté son corps que
deux esclaves emportent hors de la ville
d' Athènes. Ils paroissent tous deux affligés, et ces
deux douleurs ne se ressemblent en rien. Le
premier de ces esclaves est vieux, il est
enveloppé dans une draperie négligée : le nu des
bras et des jambes montre un homme fort et
nerveux ; c' est une carnation qui marque un
corps durci au travail. L' autre est jeune,
couvert d' une tunique qui fait des plis assez
gracieux. Les deux attitudes sont différentes dans
la même action ; et les deux airs des têtes sont
fort variés, quoiqu' ils soient tous deux
serviles.
Parrhasius.
Bon ! L' art n' imite bien la nature qu' autant
qu' il attrape cette variété infinie dans ses
ouvrages. Mais le mort...
Poussin.
Le mort est caché sous une draperie confuse
qui l' enveloppe. Cette draperie est négligée et
pauvre. Dans ce convoi tout est capable
d' exciter la pitié et la douleur.
Parrhasius.
On ne voit donc point le mort ?
Poussin.
On ne laisse pas de remarquer sous cette
draperie confuse la forme de la tête et de tout
le corps. Pour les jambes, elles sont découvertes :
on y peut remarquer, non seulement la couleur
flétrie de la chair morte, mais encore la roideur
et la pesanteur des membres affaissés. Ces
deux esclaves qui emportent ce corps le long
d' un grand chemin trouvent à côté du
chemin de grandes pierres taillées en
carré, dont quelques unes sont élevées en
ordre au-dessus des autres ; en sorte qu' on croit
voir les ruines de quelque majestueux édifice.
Le chemin paroît sablonneux et battu.
Parrhasius.
Qu' avez-vous mis aux deux côtés de ce tableau
pour accompagner vos figures principales ?
Poussin.
Au côté droit sont deux ou trois arbres dont
le tronc est d' une écorce âpre et noueuse. Ils
ont peu de branches, dont le vert, qui est un
peu foible, se perd insensiblement dans le
sombre azur du ciel. Derrière ces longues tiges
d' arbres, on voit la ville d' Athènes.
Parrhasius.
Il faut un contraste bien marqué dans le
côté gauche.
Poussin.
Le voici. C' est un terrain raboteux : on y
voit des creux qui sont dans une ombre très
forte, et des pointes de rochers fort éclairées.
Là se présentent aussi quelques buissons
sauvages. Il y a un peu au-dessus un chemin qui
mène à un bocage sombre et épais : un ciel
extrêmement clair donne encore plus de force
à cette verdure sombre.
Parrhasius.
Bon ; voilà qui est bien. Je vois que vous
savez le grand art des couleurs, qui est de
fortifier l' une par son opposition avec l' autre.
Poussin.
Au-delà de ce terrain rude se présente un
gazon frais et tendre. On y voit un berger
appuyé sur sa houlette et occupé à regarder
ses moutons blancs comme la neige, qui errent
en paissant dans une prairie. Le chien du
berger est couché et dort derrière lui. Dans
cette campagne, on voit un autre chemin où
passe un chariot traîné par des boeufs. Vous
remarquez d' abord la force et la pesanteur de
ces animaux, dont le cou est penché vers la
terre, et qui marchent à pas lents. Un homme
d' un air rustique est devant le chariot : une
femme marche derrière, et elle paroît la fidèle
compagne de ce simple villageois. Deux autres
femmes voilées sont sur le chariot.
Parrhasius.
Rien ne fait un plus sensible plaisir que ces
peintures champêtres. Nous les devons aux
poëtes. Ils ont commencé à chanter dans leurs
vers les graces naïves de la nature simple et
sans art : nous les avons suivis. Les ornements
d' une campagne où la nature est belle font
une image plus riante que toutes les magnificences
que l' art a pu inventer.
Poussin.
On voit, au côté droit, dans ce chemin,
un cheval alezan, un cavalier enveloppé dans
un manteau rouge. Le cavalier et le cheval
sont penchés en avant : ils semblent s' élancer
pour courir avec plus de vitesse. Les crins du
cheval, les cheveux de l' homme, son manteau,
tout est flottant et repoussé par le vent en
arrière.
Parrhasius.
Ceux qui ne savent que représenter des figures
gracieuses n' ont atteint que le genre
médiocre. Il faut peindre l' action et le
mouvement, animer les figures, et exprimer les
passions de l' ame. Je vois que vous êtes bien
entré dans le goût de l' antique.
Poussin.
Plus avant on trouve un gazon sous lequel
paroît un terrain de sable. Trois figures
humaines sont sur cette herbe : il y en a une
debout, couverte d' une robe blanche à grands
plis flottants ; les deux autres sont assises
auprès d' elle sur le bord de l' eau, et il y en a
une qui joue de la lyre. Au bout de ce terrain
couvert de gazon, on voit un bâtiment carré,
orné de bas-reliefs et de festons, d' un bon goût
d' architecture simple et noble. C' est sans doute
un tombeau de quelque citoyen qui étoit mort
peut-être avec moins de vertu, mais plus de
fortune que Phocion.
Parrhasius.
Je n' oublie pas que vous m' avez parlé du
bord de l' eau. Est-ce la rivière d' Athènes
nommée Ilissus ?
Poussin.
Oui, elle paroît en deux endroits aux côtés
de ce tombeau. Cette eau est pure et claire :
le ciel serein qui est peint dans cette eau sert
à la rendre encore plus belle. Elle est bordée
de saules naissants et d' autres arbrisseaux
tendres dont la fraîcheur réjouit la vue.
Parrhasius.
Jusque-là il ne me reste rien à souhaiter.
Mais vous avez encore un grand et difficile
objet à me représenter : c' est là que je vous
attends.
Poussin.
Quoi ?
Parrhasius.
C' est la ville. C' est là qu' il faut montrer que
vous savez l' histoire, le costume, l' architecture.
Poussin.
J' ai peint cette grande ville d' Athènes sur
la pente d' un coteau, pour la mieux faire voir.
Les bâtiments y sont par degrés dans un
amphithéâtre naturel. Cette ville ne paroît point
grande du premier coup d' oeil : on n' en voit
près de soi qu' un morceau assez médiocre ;
mais le derrière qui s' enfuit découvre une
grande étendue d' édifices.
Parrhasius.
Y avez-vous évité la confusion ?
Poussin.
J' ai évité la confusion et la symétrie. J' ai
fait beaucoup de bâtiments irréguliers ; mais
ils ne laissent pas de faire un assemblage
gracieux, où chaque chose a sa place la plus
naturelle. Tout se démêle et se distingue sans
peine, tout s' unit et fait corps : ainsi il y a une
confusion apparente, et un ordre véritable
quand on l' observe de près.
Parrhasius.
N' avez-vous pas mis sur le devant quelque
principal édifice ?
Poussin.
J' y ai mis deux temples. Chacun a une
grande enceinte comme il la doit avoir, où
l' on distingue le corps du temple, des autres
bâtiments qui l' accompagnent. Le temple qui
est à la droite a un portail orné de quatre
grandes colonnes de l' ordre corinthien, avec
un fronton et des statues. Autour de ce temple
on voit des festons pendants : c' est une fête
que j' ai voulu représenter suivant la vérité de
l' histoire. Pendant qu' on emporte Phocion
hors de la ville vers le bûcher, tout le peuple
en joie et en pompe fait une grande solennité
autour du temple dont je vous parle. Quoique
ce peuple paroisse assez loin, on ne laisse pas
de remarquer sans peine une action de joie
pour honorer les dieux. Derrière ce temple
paroît une grosse tour très haute, au sommet
de laquelle est une statue de quelque divinité.
Cette tour est comme une grosse colonne.
Parrhasius.
Où est-ce que vous en avez pris l' idée ?
Poussin.
Je ne m' en souviens plus : mais elle est
sûrement prise dans l' antique ; car jamais je n' ai
pris la liberté de rien donner à l' antiquité qui
ne fût tiré de ses monuments. On voit aussi
auprès de cette tour un obélisque.
Parrhasius.
Et l' autre temple, n' en direz-vous rien ?
Poussin.
Cet autre temple est un édifice rond,
soutenu de colonnes ; l' architecture en paroît
majestueuse et singulière. Dans l' enceinte on
remarque divers grands bâtiments avec des
frontons. Quelques arbres en dérobent une
partie à la vue. J' ai voulu marquer un bois
sacré.
Parrhasius.
Mais venons au corps de la ville.
Poussin.
J' ai cru y devoir marquer les divers temps
de la république d' Athènes, sa première
simplicité, à remonter jusque vers les temps
héroïques, et sa magnificence dans les siècles
suivants où les arts y ont fleuri. Ainsi j' ai
fait beaucoup d' édifices ou ronds ou carrés,
avec une architecture régulière, et beaucoup
d' autres qui sentent cette antiquité rustique
et guerrière. Tout y est d' une figure bizarre :
on ne voit que tours, que créneaux, que hautes
murailles, que petits bâtiments inégaux et
simples. Une chose rend cette ville agréable,
c' est que tout y est mêlé de grands édifices et
de bocages. J' ai cru qu' il falloit mettre de la
verdure par-tout, pour représenter les bois
sacrés des temples, et les arbres qui étoient soit
dans les gymnases ou dans les autres édifices
publics. Par-tout j' ai tâché d' éviter de faire
des bâtiments qui eussent rapport à ceux de
mon temps et de mon pays, pour donner à
l' antiquité un caractère facile à reconnoître.
Parrhasius.
Tout cela est observé judicieusement. Mais
je ne vois point l' Acropolis. L' avez-vous oublié ?
Ce seroit dommage.
Poussin.
Je n' avois garde. Il est derrière toute la ville
sur le sommet de la montagne, laquelle domine
tout le coteau en pente. On voit à ses
pieds de grands bâtiments fortifiés par des
tours. La montagne est couverte d' une agréable
verdure. Pour la citadelle, il paroît une
assez grande enceinte avec une vieille tour qui
s' élève jusque dans la nue. Vous remarquerez
que la ville, qui va toujours en baissant vers
le côté gauche, s' éloigne insensiblement et se
perd entre un bocage fort sombre dont je vous
ai parlé, et un petit bouquet d' autres arbres
d' un vert brun et foncé, qui est sur le bord
de l' eau.
Parrhasius.
Je ne suis pas encore content. Qu' avez-vous
mis derrière toute cette ville ?
Poussin.
C' est un lointain où l' on voit des montagnes
escarpées et assez sauvages. Il y en a une
derrière ces beaux temples et cette pompe si
riante dont je vous ai parlé, qui est un roc
tout nu et affreux. Il m' a paru que je devois
faire le tour de la ville cultivé et gracieux
comme celui des grandes villes l' est toujours :
mais j' ai donné une certaine beauté sauvage
au lointain, pour me conformer à l' histoire,
qui parle de l' Attique comme d' un pays rude
et stérile.
Parrhasius.
J' avoue que ma curiosité est bien satisfaite,
et je serois jaloux pour la gloire de l' antiquité,
si on pouvoit l' être d' un homme qui l' a imitée
si modestement.
Poussin.
Souvenez-vous au moins que si je vous ai
long-temps entretenu de mon ouvrage, je l' ai
fait pour ne vous rien refuser et pour me
soumettre à votre jugement.
Parrhasius.
Après tant de siècles vous avez fait plus
d' honneur à Phocion, que sa patrie n' auroit
pu lui en faire le jour de sa mort par de
somptueuses funérailles. Mais allons dans ce bocage
ici près, où il est avec Timoléon et Aristide,
pour lui apprendre de si agréables nouvelles.



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