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 François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 60

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MessageSujet: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 60   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 60 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:04

DIALOGUE 60
Le Connétable De Bourbon Et Bayard.
Il n' est jamais permis de prendre les armes contre sa
patrie.

le Connétable.
N' est-ce point le pauvre Bayard que je vois,
au pied de cet arbre, étendu sur l' herbe, et
percé d' un grand coup ? Oui, c' est lui-même.
Hélas ! Je le plains. En voilà deux qui périssent
aujourd' hui par nos armes, Vandenesse et lui.
Ces deux françois étoient deux ornements de
leur nation par leur courage. Je sens que mon
coeur est encore touché pour sa patrie. Mais
avançons pour lui parler. Ah ! Mon pauvre
Bayard, c' est avec douleur que je te vois en cet
état.

Bayard.
C' est avec douleur que je vous vois aussi.

le Connétable.
Je comprends bien que tu es fâché de te
voir dans mes mains par le sort de la guerre.
Mais je ne veux point te traiter en prisonnier ;
je te veux garder comme un bon ami, et prendre
soin de ta guérison comme si tu étois mon
propre frère : ainsi tu ne dois point être fâché
de me voir.

Bayard.
Hé ! Croyez-vous que je ne sois point fâché
d' avoir obligation au plus grand ennemi de
la France ? Ce n' est point de ma captivité ni
de ma blessure que je suis en peine. Je meurs
dans un moment ; la mort va me délivrer de
vos mains.

le Connétable.
Non, mon cher Bayard, j' espère que nos
soins réussiront à te guérir.

Bayard.
Ce n' est point là ce que je cherche, et je
suis content de mourir.

le Connétable.
Qu' as-tu donc ? Est-ce que tu ne saurois te
consoler d' avoir été vaincu et fait prisonnier
dans la retraite de Bonnivet ? Ce n' est pas ta
faute ; c' est la sienne : les armes sont journalières.
Ta gloire est assez bien établie par tant
de belles actions. Les impériaux ne pourront
jamais oublier cette vigoureuse défense de
Mézières contre eux.

Bayard.
Pour moi, je ne puis jamais oublier que vous
êtes ce grand connétable, ce prince du plus
noble sang qu' il y ait dans le monde, et qui
travaille à déchirer de ses propres mains sa
patrie et le royaume de ses ancêtres.

le Connétable.
Quoi ! Bayard, je te loue, et tu me condamnes ! Je
te plains, et tu m' insultes !

Bayard.
Si vous me plaignez, je vous plains aussi ; et
je vous trouve bien plus à plaindre que moi :
je sors de la vie sans tache. J' ai sacrifié la
mienne à mon devoir ; je meurs pour mon
pays, pour mon roi, estimé des ennemis de
la France, et regretté de tous les bons françois.
Mon état est digne d' envie.

le Connétable.
Et moi, je suis victorieux d' un ennemi qui
m' a outragé ; je me venge de lui ; je le chasse
du Milanois ; je fais sentir à toute la France
combien elle est malheureuse de m' avoir perdu
en me poussant à bout : appelles-tu cela
être à plaindre ?

Bayard.
Oui, on est toujours à plaindre quand on
agit contre son devoir ; il vaut mieux périr en
combattant pour la patrie, que de la vaincre
et de triompher d' elle. Ah ! Quelle horrible
gloire que celle de détruire son propre pays !

le Connétable.
Mais ma patrie a été ingrate après tant de
services que je lui avois rendus. Madame m' a
fait traiter indignement, par un dépit d' amour.
Le roi, par foiblesse pour elle, m' a fait
une injustice énorme. En me dépouillant de
mon bien, on a détaché de moi jusqu' à mes
domestiques, Matignon et D' Argouges. J' ai été
contraint, pour sauver ma vie, de m' enfuir
presque seul : que voulois-tu que je fisse ?

Bayard.
Que vous souffrissiez toutes sortes de maux,
plutôt que de manquer à la France et à la
grandeur de votre maison. Si la persécution
étoit trop violente, vous pouviez vous retirer ;
mais il valoit mieux être pauvre, obscur,
inutile à tout, que de prendre les armes contre
nous. Votre gloire eût été au comble dans la
pauvreté et dans le plus misérable eXIl.

le Connétable.
Mais ne vois-tu pas que la vengeance s' est
jointe à l' ambition pour me jeter dans cette
extrémité ? J' ai voulu que le roi se repentît de
m' avoir traité si mal.

Bayard.
Il falloit l' en faire repentir par une patience
à toute épreuve, qui n' est pas moins la vertu
d' un héros que le courage.

le Connétable.
Mais le roi, étant si injuste et si aveuglé par
sa mère, méritoit-il que j' eusse de si grands
égards pour lui ?

Bayard.
Si le roi ne le méritoit pas, la France entière
le méritoit. La dignité même de la couronne,
dont vous êtes un des héritiers, le méritoit.
Vous vous deviez à vous-même d' épargner la
France, dont vous pouvez être un jour roi.

le Connétable.
Hé bien ! J' ai tort, je l' avoue ; mais ne
sais-tu pas combien les meilleurs coeurs ont de
peine à résister à leur ressentiment ?

Bayard.
Je le sais bien : mais le vrai courage consiste
à résister. Si vous connoissez votre faute,
hâtez-vous de la réparer. Pour moi, je meurs ; et
je vous trouve plus à plaindre dans vos
prospérités, que moi dans mes souffrances. Quand
l' empereur ne vous tromperoit pas, quand
même il vous donneroit sa soeur en mariage,
et qu' il partageroit la France avec vous, il
n' effaceroit point la tache qui déshonore votre
vie. Le connétable De Bourbon rebelle ! Ah !
Quelle honte ! écoutez Bayard mourant
comme il a vécu, et ne cessant de dire la vérité.
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