PLUME DE POÉSIES
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 François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1

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MessageSujet: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:37

Rappel du premier message :

DIALOGUE 1
A. Hé bien ! Monsieur, vous venez donc d' entendre le
sermon où vous vouliez me mener tantôt ? Pour moi, je
me suis contenté du prédicateur de notre paroisse.
B. Je suis charmé du mien ; vous avez bien perdu,
monsieur, de n' y être pas. J' ai arrêté une place pour
ne manquer aucun sermon du carême. C' est un homme
admirable : si vous l' aviez une fois entendu, il vous
dégoûteroit de tous les autres.
A. Je me garderai donc bien de l' aller entendre, car
je ne veux point qu' un prédicateur me dégoûte des
autres ; au contraire, je cherche un homme qui me
donne un tel goût et une telle estime pour la parole
de Dieu, que j' en sois plus disposé à l' écouter partout
ailleurs. Mais puisque j' ai tant perdu, et que vous
êtes plein de ce beau sermon,vous pouvez, monsieur, me dédommager:
de grâce,dites-nous quelque chose de ce que vous avez retenu.
B. Je défigurerois ce sermon par mon récit : ce sont
cent beautés qui échappent ; il faudroit être le
prédicateur même pour vous dire...
A. Mais encore ? Son dessein, ses preuves, sa morale,
les principales vérités qui ont fait le corps de son
discours ? Ne vous reste-t-il rien dans l' esprit ?
Est-ce que vous n' étiez pas attentif ?
B. Pardonnez-moi, jamais je ne l' ai été davantage.
C. Quoi donc ! Vous voulez vous faire prier ?
B. Non ; mais c' est que ce sont des pensées si
délicates, et qui dépendent tellement du tour et de la
finesse de l' expression, qu' après avoir charmé dans le
moment elles ne se retrouvent pas aisément dans la
suite. Quand même vous les retrouveriez, dites-les
dans d' autres termes, ce n' est plus la même chose,
elles perdent leur grâce et leur force.
A. Ce sont donc, monsieur, des beautés bien fragiles ;
en les voulant toucher on les fait disparoître.
J' aimerois bien mieux un discours qui eût plus de corps
et moins d' esprit ; il feroit une forte impression,
on retiendroit mieux les choses. Pourquoi parle-t-on,
sinon pour persuader,pour instruire et pour faire en sorte
que l' auditeur retienne ?
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:40

B. Vous me faites souvenir que j' ai lu cette dernière
règle dans l' art poétique de M Boileau.
A. Vous avez raison : c' est un homme qui connoît
bien, non-seulement le fond de la poésie, mais encore
le but solide auquel la philosophie, supérieure à
tous les arts, doit conduire le poëte.
B. Mais enfin, où me menez-vous donc ?
A. Je ne vous mène plus ; vous allez tout seul :
vous voilà arrivé heureusement au terme. Ne
m' avez-vous pas dit que vous ne souffrez point dans
votre république des gens oisifs qui amusent les
autres, et qui n' ont point d' autre métier que celui de
parler ? N' est-ce pas sur ce principe que vous
chassez tous ceux qui représentent des tragédies, si
l' instruction n' est mêlée au plaisir ? Sera-t-il
permis de faire en prose ce qui ne le sera pas en
vers ? Après cette sévérité, comment pourriez-vous
faire grâce aux déclamateurs qui ne parlent que pour
montrer leur bel esprit ?
B. Mais les déclamateurs dont nous parlons ont deux
desseins qui sont louables.
A. Expliquez-les.
B. Le premier est de travailler pour eux-mêmes : par
là ils se procurent des établissements honnêtes.
L' éloquence produit la réputation, et la réputation
attire la fortune dont ils ont besoin.
A. Vous avez déjà répondu vous-même à votre
objection. Ne disiez-vous pas qu' il faut, non-seulement
gagner sa vie, mais la gagner par des occupations
utiles au public ? Celui qui représenteroit des
tragédies sans y mêler l' instruction gagneroit sa
vie ; cette raison ne vous empêcheroit pourtant pas
de le chasser de votre république. Prenez, lui
diriez-vous, un métier solide et réglé ; n' amusez pas
les citoyens. Si vous voulez tirer d' eux un profit
légitime, travaillez à quelque bien effectif, ou à les
rendre vertueux. Pourquoi ne direz-vous pas la même
chose de l' orateur ?
B. Nous voilà d' accord : la seconde raison que je
voulois vous dire explique tout cela.A. Comment?
Dites-nous-la donc, s' il vous plaît.
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:41

B. C' est que l' orateur travaille même pour le public.
A. En quoi ?
B. Il polit les esprits ; il leur enseigne l' éloquence.
A. Attendez : si j' inventois un art chimérique, ou une
langue imaginaire, dont on ne pût tirer aucun
avantage, servirois-je le public en lui enseignant cet
art ou cette langue ?
B. Non, parce qu' on ne sert les autres qu' autant qu' on
leur enseigne quelque chose d' utile.
A. Vous ne sauriez donc prouver solidement qu' un
orateur sert le public en lui enseignant l' éloquence,
si vous n' aviez déjà prouvé que l' éloquence sert
elle-même à quelque chose. à quoi servent les beaux
discours d' un homme, si ces discours, tout beaux qu' ils
sont, ne font aucun bien au public ? Les paroles, comme
dit saint Augustin, sont faites pour les hommes, et
non pas les hommes pour les paroles. Les discours
servent, je le sais bien, à celui qui les fait ; car
ils éblouissent les auditeurs, ils font beaucoup parler
de celui qui les a faits, et on est d' assez mauvais
goût pour le récompenser de ses paroles inutiles. Mais
cette éloquence mercenaire et infructueuse au public
doit-elle être soufferte dans l' état que vous
policez ? Un cordonnier au moins fait des souliers,
et ne nourrit sa famille que d' un argent gagné en
servant le public pour de véritables besoins. Ainsi,
vous le voyez, les plus vils métiers ont une fin
solide : et il n' y aura que l' art des orateurs qui
n' aura pour but que d' amuser les hommes par des
paroles ! Tout aboutira donc, d' un côté, à satisfaire
la curiosité et à entretenir l' oisiveté de l' auditeur ;
de l' autre, à contenter la vanité et l' ambition de
celui qui parle ! Pour l' honneur de votre république,
monsieur, ne souffrez jamais cet abus.B. Eh bien !
Je reconnois que l' orateur doit avoir
pour but d' instruire, et de rendre les hommes meilleurs.
A. Souvenez-vous bien de ce que vous m' accordez là ;
vous en verrez les conséquences.
B. Mais cela n' empêche pas qu' un homme s' appliquant
à instruire les autres ne puisse être bien aise en
même temps d' acquérir de la réputation et du bien.
A. Nous ne parlons point encore ici comme chrétiens ;
je n' ai besoin que de la philosophie seule contre vous.
Les orateurs, je le répète, sont donc, selon vous, des
gens qui doivent instruire les autres hommes et les
rendre meilleurs qu' ils ne sont : voilà donc d' abord
les déclamateurs chassés. Il ne faudra même souffrir
les panégyristes qu' autant qu' ils proposeront des
modèles dignes d' être imités, et qu' ils rendront la
vertu aimable par leurs louanges.
B. Quoi ! Un panégyrique ne vaudra donc rien, s' il
n' est plein de morale ?
A. Ne l' avez vous pas conclu vous-même ? Il ne faut
parler que pour instruire ; il ne faut louer un héros
que pour apprendre ses vertus au peuple, que pour
l' exciter à les imiter, que pour montrer que la gloire
et la vertu sont inséparables : ainsi, il faut
retrancher d' un panégyrique toutes les louanges
vagues, excessives, flatteuses ; il n' y faut laisser
aucune de ces pensées stériles qui ne concluent rien
pour l' instruction de l' auditeur ; il faut que tout
tende à lui faire aimer la vertu. Au contraire, la
plupart des panégyristes semblent ne louer les vertus
que pour louer les hommes qui les ont pratiquées, et
dont ils ont entrepris l' éloge. Faut-il louer un
homme ? Ils élèvent les vertus qu' il a pratiquées
au-dessus de toutes les autres. Mais chaque chose a
son tour : dans une autre occasion, ils déprimeront
les vertus qu' ils ont élevées, en faveur de quelque
autre sujet qu' ils voudront flatter. C' est par ce
principe que je blâmerai Pline. S' il avoit loué
Trajan pour former d' autres héros semblables à
celui-là, ce seroit une vue digne d' un orateur. Trajan,
tout grand qu' il est, ne devroit pas être la fin de
son discours ; Trajan ne devroit être qu' un exemple
proposé aux hommes pour les inviterà être vertueux.
Quand un panégyriste n' a que cette vue basse de louer
un seul homme, ce n' est plus que la flatterie qui
parle à la vanité.
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:41

B. Mais que répondrez-vous sur les poëmes qui sont
faits pour louer des héros ? Homère a son Achille,
Virgile, son énée. Voulez-vous condamner ces deux
poëtes ?
A. Non, monsieur : mais vous n' avez qu' à examiner
les desseins de leurs poëmes. Dans l' Iliade, Achille
est, à la vérité, le premier héros ; mais sa louange
n' est pas la fin principale du poëme. Il est représenté
naturellement avec tous ses défauts ; ces défauts
mêmes sont un des sujets sur lesquels le poëte a voulu
instruire la postérité. Il s' agit dans cet ouvrage
d' inspirer aux grecs l' amour de la gloire que l' on
acquiert dans les combats, et la crainte de la
désunion comme de l' obstacle à tous les grands
succès. Ce dessein de morale est marqué visiblement
dans tout ce poëme. Il est vrai que l' Odyssée
représente dans Ulysse un héros plus régulier et
plus accompli ; mais c' est par hasard ; c' est qu' en
effet un homme dont le caractère est la sagesse, tel
qu' Ulysse, a une conduite plus exacte et plus
uniforme qu' un jeune homme tel qu' Achille, d' un
naturel bouillant et impétueux : ainsi Homère n' a
songé, dans l' un et dans l' autre, qu' à peindre
fidèlement la nature. Au reste, l' Odyssée renferme
de tous côtés mille instructions morales pour tout le
détail de la vie ; et il ne faut que lire, pour voir
que le peintre n' a peint un homme sage, qui vient à
bout de tout par sa sagesse, que pour apprendre à la
postérité les fruits que l' on doit attendre de la
piété, de la prudence et des bonnes moeurs. Virgile,
dans l' énéide, a imité l' Odyssée pour le caractère
de son héros : il l' a fait modéré, pieux, et par
conséquent égal à lui-même. Il est aisé de voir
qu' énée n' est pas son principal but ; il a regardé
en ce héros le peuple romain, qui devoit en descendre.
Il a voulu montrer à ce peuple que son origine étoit
divine, que les dieux lui avoient préparé de loin
l' empire du monde ; et par là il a voulu exciter ce
peuple à soutenir, par ses vertus, la gloire de sa
destinée. Il ne pouvoit jamais y avoir chez les païens
une morale plus importante que celle-là. L' unique
chose sur laquelle on peut soupçonner Virgile, est
d' avoir un peu trop songé à sa fortune dans ses vers,
et d' avoir fait aboutir son poëme à la louange,
peut-être un peu flatteuse, d' Auguste et de sa
famille. Mais je ne voudrois pas pousser la critique si
loin.
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:41

B. Quoi ! Vous ne voulez pas qu' un poëte ni un
orateur cherche honnêtement sa fortune.
A. Après notre digression sur les panégyriques, qui
ne sera pas inutile, nous voilà revenus à notre
difficulté. Il s' agit de savoir si les orateurs
doivent être désintéressés.
B. Je ne saurois le croire : vous renversez toutes les
maximes communes.
A. Ne voulez-vous pas que dans votre république il
soit défendu aux orateurs de dire autre chose que la
vérité ? Ne prétendez-vous pas qu' ils parleront
toujours pour instruire, pour corriger les hommes, et
pour affermir les lois ?
B. Oui, sans doute.
A. Il faut donc que les orateurs ne craignent et
n' espèrentrien de leurs auditeurs pour leur propre intérêt. Si
vous admettez des orateurs ambitieux et mercenaires,
s' opposeront-ils à toutes les passions des hommes ?
S' ils sont malades de l' avarice, de l' ambition, de la
mollesse, en pourront-ils guérir les autres ? S' ils
cherchent les richesses, seront-ils propres à en
détacher autrui ? Je sais qu' on ne doit pas laisser
un orateur vertueux et désintéressé manquer des
choses nécessaires : aussi cela n' arrivera-t-il jamais,
s' il est vrai philosophe, c' est-à-dire tel qu' il doit
être pour redresser les moeurs des hommes. Il mènera
une vie simple, modeste, frugale, laborieuse ; il lui
faudra peu : ce peu ne lui manquera point, dût-il de
ses propres mains le gagner, le surplus ne doit pas
être sa récompense, et n' est pas digne de l' être. Le
public lui pourra rendre des honneurs et lui donner de
l' autorité ; mais s' il est dégagé des passions et
désintéressé, il n' usera de cette autorité que pour le
bien public, prêt à la perdre toutes les fois qu' il
ne pourra la conserver qu' en dissimulant, et en flattant
les hommes. Ainsi l' orateur, pour être digne de
persuader les peuples, doit être un homme
incorruptible ; sans cela, son talent et son art se
tourneroient en poison mortel contre la république
même : de là vient que, selon Cicéron, la première
et la plus essentielle des qualités d' un orateur est la
vertu. Il faut une probité qui soit à l' épreuve de
tout et qui puisse servir de modèle à tous les
citoyens ; sans cela on ne peut paroître persuadé, ni
par conséquent persuader les autres.
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:41

B. Je conçois bien l' importance de ce que vous me
dites : mais, après tout, un homme ne pourra-t-il pas
employer son talent pour s' élever aux honneurs ?A.
Remontez toujours aux principes. Nous sommes
convenus que l' éloquence et la profession de l' orateur
sont consacrées à l' instruction et à la réformation des
moeurs du peuple. Pour le faire avec liberté et avec
fruit, il faut qu' un homme soit désintéressé ; il faut
qu' il apprenne aux autres le mépris de la mort, des
richesses, des délices ; il faut qu' il inspire la
modestie, la frugalité, le désintéressement, le zèle
du bien public, l' attachement inviolable aux lois ;
il faut que tout cela paroisse autant dans ses moeurs,
que dans ses discours. Un homme qui songe à plaire pour
sa fortune, et qui par conséquent a besoin de ménager
tout le monde, peut-il prendre cette autorité sur les
esprits ? Quand même il diroit tout ce qu' il faut dire,
croiroit-on ce que diroit un homme qui ne paroîtroit
pas le croire lui-même ?
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:41


B. Mais il ne fait pas de mal en cherchant une fortune
dont je suppose qu' il a besoin.
A. N' importe : qu' il cherche par d' autres voies le
bien dont il a besoin pour vivre ; il y a d' autres
professions qui peuvent le tirer de la pauvreté : s' il a
besoin de quelque chose, et qu' il soit réduit à
l' attendre du public, il n' est pas encore propre à
être orateur. Dans votre république, choisiriez-vous
pour juges des hommes pauvres, affamés ? Ne
craindriez-vous pas que le besoin ne les réduiroit à
quelque lâche complaisance ? Ne prendriez-vous pas
plutôt des personnes considérables, et que la
nécessité ne sauroit tenter ?
B. Je l' avoue.
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:41

A. Par la même raison, ne choisiriez-vous pas pour
orateurs, c' est-à-dire pour maîtres, qui doivent
instruire, corriger et former les peuples, des gens
qui n' eussent besoin de rien, et qui fussent
désintéressés ? Et s' il y en avoit d' autres qui eussent
du talent pour ces sortes d' emplois, mais qui eussent
encore des intérêts à ménager, n' attendriez-vous pas à
employer leur éloquence, jusqu' à ce qu' ils auroient
leur nécessaire, et qu' ils ne fussent plus suspects
d' aucun intérêt en parlant aux hommes ?
B. Mais il me semble que l' expérience de notre siècle
montre assez qu' un orateur peut parler fortement de
morale,sans renoncer à sa fortune. Peut-on voir des peintures
morales plus sévères que celles qui sont en vogue ?
On ne s' en fâche point, on y prend plaisir ; et celui
qui les fait ne laisse pas de s' élever dans le monde
par ce chemin.
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:42

A. Les peintures morales n' ont point d' autorité pour
convertir, quand elles ne sont soutenues ni de
principes ni de bons exemples. Qui voyez-vous convertir
par là ? On s' accoutume à entendre cette
description ; ce n' est qu' une belle image qui passe
devant les yeux ; on écoute ces discours comme on
liroit une satire ; on regarde celui qui parle comme
un homme qui joue bien une espèce de comédie ; on
croit bien plus ce qu' il fait que ce qu' il dit. Il
est intéressé, ambitieux, vain, attaché à une vie
molle ; il ne quitte aucune des choses qu' il dit qu' il
faut quitter : on le laisse dire pour la cérémonie ;
mais on croit, on fait comme lui. Ce qu' il y a de
pis est qu' on s' accoutume par là à croire que cette
sorte de gens ne parle pas de bonne foi : cela décrie
leur ministère ; et quand d' autres parlent après eux
avec un zèle sincère, on ne peut se persuader que cela
soit vrai.
B. J' avoue que vos principes se suivent, et qu' ils
persuadent, quand on les examine attentivement : mais
n' est-ce point par pur zèle de piété chrétienne, que
vous dites toutes ces choses ?
A. Il n' est pas nécessaire d' être chrétien pour penser
tout cela : il faut être chrétien pour le bien
pratiquer, car la grâce seule peut réprimer
l' amour-propre ; mais il nefaut être que raisonnable pour
reconnoître ces vérités-là. Tantôt je vous citois Socrate et Platon,
nous n' avez pas voulu déférer à leur autorité ;
maintenant que la raison commence à vous persuader, et
que vous n' avez plus besoin d' autorités, que
direz-vous, si je vous montre que ce raisonnement est
le leur ?
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:42

B. Le leur ? Est-il possible ? J' en serai fort aise.
A. Platon fait parler Socrate avec un orateur,
nommé Gorgias, et avec un disciple de Gorgias,
nommé Calliclès. Ce Gorgias étoit un homme
très-célèbre ; Isocrate, dont nous avons tant parlé,
fut son disciple. Ce Gorgias fut le premier, dit
Cicéron, qui se vanta de parler éloquemment de
tout ; dans la suite, les rhéteurs grecs imitoient cette
vanité. Revenons au dialogue de Gorgias et de
Calliclès. Ces deux hommes discouroient élégamment
sur toutes choses, selon la méthode du premier ;
c' étoient de ces beaux esprits qui brillent dans les
conversations, et qui n' ont d' autre emploi que celui
de bien parler : mais il paroît qu' ils manquoient de
ce que Socrate cherchoit dans les hommes,
c' est-à-dire des vrais principes de la morale et
des règles d' un raisonnement exact et sérieux. Après
que l' auteur a bien fait sentir le ridicule de leur
caractère d' esprit, il vous dépeint Socrate, qui,
semblant se jouer, réduit plaisamment les deux
orateurs à ne pouvoir dire ce que c' est que
l' éloquence. Ensuite Socrate montre que la rhétorique,
c' est-à-dire l' art de ces orateurs-là, n' est pas
un art véritable : il appelle l' art une discipline
réglée qui apprend aux hommes à faire quelque chose
qui soit utile à les rendre meilleurs qu' ils ne
sont . Par là il montre qu' il n' appelle arts que
les arts libéraux, et que ces arts dégénèrent toutes
les fois qu' on les rapporte à une autre fin qu' à
former les hommes à la vertu. Il prouve que les
rhéteurs n' ont point ce but-là ; il fait voir même
que Thémistocle et Périclès ne l' ont point eu, et
par conséquent n' ont point été de vrais orateurs. Il
dit que ces hommes célèbres n' ont songé qu' à
persuader aux athéniens de faire des ports, des
murailles, et de remporter des victoires. Ils n' ont,
dit-il, rendu leurs citoyens que riches, puissants,
belliqueux, et ils en ont été ensuite maltraités : en
cela ils n' ont eu que ce qu' ils méritoient. S' ils les
avoient rendus bons par leur éloquence, leur
récompense eût été certaine. Qui fait les hommes bons
et vertueux est sûr, après son travail, de ne trouver
point des ingrats, puisque la vertu et l' ingratitude
sont incompatibles. Il ne faut point vous rapporter
tout ce qu' il dit sur l' inutilité de cette rhétorique,
parce que tout ce que je vous en ai dit comme de
moi-même est tiré de lui ; il vaut mieux vous
raconter ce qu' il dit sur les maux que ces vains
rhéteurs causent dans une république.
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MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:42

B. Je comprends bien que ces rhéteurs étoient à
craindre dans les républiques de la Grèce, où ils
pouvoient séduire le peuple et s' emparer de la
tyrannie.
A. En effet, c' est principalement de cet inconvénient
que parle Socrate ; mais les principes qu' il donne
en cette occasion s' étendent plus loin. Au reste,
quand nous parlons ici, vous et moi, d' une république
à policer, il s' agit, non-seulement des états où le
peuple gouverne, mais encore de tout état, soit
populaire, soit gouverné par plusieurs chefs, soit
monarchique ; ainsi je ne touche pas à la forme du
gouvernement : en tous pays les règles de Socrate
sont d' usage.
B. Expliquez-les donc, s' il vous plaît.A. Il dit que,
l' homme étant composé de corps et d' esprit,
il faut cultiver l' un et l' autre. Il y a
deux arts pour l' esprit, et deux arts pour le corps.
Les deux de l' esprit sont la science des lois et de la
jurisprudence. Par la science des lois, il comprend
tous les principes de philosophie pour régler les
sentiments et les moeurs des particuliers et de toute
la république. La jurisprudence est le remède dont on
se doit servir pour réprimer la mauvaise foi et
l' injustice des citoyens ; c' est par elle qu' on juge
les procès et qu' on punit les crimes. Ainsi, la
science des lois doit servir à prévenir le mal, et la
jurisprudence à le corriger. Il y a deux arts
semblables pour les corps : la gymnastique, qui les
exerce, qui les rend sains, proportionnés, agiles,
vigoureux, pleins de force et de bonne grâce ; vous
savez, monsieur, que les anciens se servaient
merveilleusement de cet art que nous avons perdu :
puis la médecine, qui guérit les corps lorsqu' ils ont
perdu la santé. La gymnastique est pour les corps ce
que la science des lois est pour l' âme ; elle forme,
elle perfectionne. La médecine est aussi pour le
corps ce que la jurisprudence est pour l' âme ; elle
corrige, elle guérit. Mais cette institution si pure
s' est altérée, dit Socrate. à la place de la science
des lois, on a mis la vaine subtilité des sophistes,
faux philosophes qui abusent du raisonnement, et qui,
manquant des vrais principes pour le bien public,
tendent à leurs fins particulières. à la jurisprudence,
dit-il encore, a succédé le faste des rhéteurs, gens
qui ont voulu plaire et éblouir : au lieu de la
jurisprudence, qui devoit être la médecine de l' âme,
et dont il ne falloit se servir que pour guérir les
passions des hommes, on voit de faux orateurs qui
n' ont songé qu' à leur réputation. à la gymnastique,
ajoute encore Socrate, on a fait succéder l' art
de farder les corps, et de leur donner une fausse et
trompeuse beauté : au lieu qu' on ne devoit chercher
qu' une beauté simple et naturelle, qui vient de la
santé et de laproportion de tous les membres ; ce qui ne
s' acquiert et ne s' entretient que par le régime et
l' exercice. à la médecine on a fait aussi succéder
l' invention des mets délicieux et de tous les ragoûts
qui excitent l' appétit des hommes ; et au lieu de
purger l' homme plein d' humeurs pour lui rendre
la santé, et par la santé l' appétit, on force la
nature, on lui fait un appétit artificiel par toutes
les choses contraires à la tempérance. C' est ainsi que
Socrate remarquoit le désordre des moeurs de son
temps ; et il conclut en disant que les orateurs, qui,
dans la vue de guérir les hommes, devoient leur dire,
même avec autorité, des vérités désagréables, et leur
donner ainsi des médecines amères, ont au contraire
fait pour l' âme comme les cuisiniers pour le corps.
Leur rhétorique n' a été qu' un art de faire des ragoûts
pour flatter les hommes malades : on ne s' est mis en
peine que de plaire, que d' exciter la curiosité et
l' admiration ; les orateurs n' ont parlé que pour eux.
Il finit en demandant où sont les citoyens que ces
rhéteurs ont guéris de leurs mauvaises habitudes, où
sont les gens qu' ils ont rendus tempérants et
vertueux. Ne croyez-vous pas entendre un homme de notre
siècle qui voit ce qui s' y passe, et qui parle des
abus présents ? Après avoir entendu ce païen, que
direz-vous de cette éloquence qui ne va qu' à plaire
et qu' à faire de belles peintures, lorsqu' il faudroit,
comme il dit lui-même, brûler, couper jusqu' au vif,
et chercher sérieusement la guérison par l' amertume
des remèdes et par la sévérité du régime ? Mais jugez
de ces choses par vous-même : trouveriez-vous bon
qu' un médecin qui vous traiteroit s' amusât, dans
l' extrémité de votre maladie, à débiter des phrases
élégantes et des pensées subtiles ? Que penseriez-vous
d' un avocat qui, plaidant une cause où il s' agiroit
de tout le bien de votre famille, ou de votre propre
vie, feroit le bel esprit et rempliroit son plaidoyer
de fleurs et d' ornements, au lieu de raisonner avec
force et d' exciter la compassion des juges ? L' amour
du bien et de la vie fait assez sentir ce
ridicule-là ; mais l' indifférence où l' on vit pour les
bonnes moeurs et pour la religion fait qu' on ne le
remarque point dans les orateurs, qui devroient être
les censeurs et les médecins du peuple. Ce que vous
avez vu qu' en pensoit Socrate doit nous faire honte.
B. Je vois bien maintenant, selon vos principes, que
les orateurs devroient être les défenseurs des lois, et
les maîtresdes peuples pour leur enseigner la vertu ; mais
l' éloquence du barreau chez les romains n' alloit pas
jusque là.
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François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 - Page 3 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:42

A. C' étoit sans doute son but, monsieur : les
orateurs devoient protéger l' innocence et les droits
des particuliers, lorsqu' ils n' avoient point
d' occasion de représenter dans leurs discours les
besoins généraux x
al 1
besoins généraux de la république ; de là vient que
cette profession fut si honorée, et que Cicéron nous
donne une si haute idée du véritable orateur.
B. Mais voyons donc de quelle manière ces orateurs
doivent parler ; je vous supplie de m' expliquer vos
vues là-dessus.
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