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| François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 | |
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Auteur | Message |
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| Sujet: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:37 | |
| Rappel du premier message :
DIALOGUE 1 A. Hé bien ! Monsieur, vous venez donc d' entendre le sermon où vous vouliez me mener tantôt ? Pour moi, je me suis contenté du prédicateur de notre paroisse. B. Je suis charmé du mien ; vous avez bien perdu, monsieur, de n' y être pas. J' ai arrêté une place pour ne manquer aucun sermon du carême. C' est un homme admirable : si vous l' aviez une fois entendu, il vous dégoûteroit de tous les autres. A. Je me garderai donc bien de l' aller entendre, car je ne veux point qu' un prédicateur me dégoûte des autres ; au contraire, je cherche un homme qui me donne un tel goût et une telle estime pour la parole de Dieu, que j' en sois plus disposé à l' écouter partout ailleurs. Mais puisque j' ai tant perdu, et que vous êtes plein de ce beau sermon,vous pouvez, monsieur, me dédommager: de grâce,dites-nous quelque chose de ce que vous avez retenu. B. Je défigurerois ce sermon par mon récit : ce sont cent beautés qui échappent ; il faudroit être le prédicateur même pour vous dire... A. Mais encore ? Son dessein, ses preuves, sa morale, les principales vérités qui ont fait le corps de son discours ? Ne vous reste-t-il rien dans l' esprit ? Est-ce que vous n' étiez pas attentif ? B. Pardonnez-moi, jamais je ne l' ai été davantage. C. Quoi donc ! Vous voulez vous faire prier ? B. Non ; mais c' est que ce sont des pensées si délicates, et qui dépendent tellement du tour et de la finesse de l' expression, qu' après avoir charmé dans le moment elles ne se retrouvent pas aisément dans la suite. Quand même vous les retrouveriez, dites-les dans d' autres termes, ce n' est plus la même chose, elles perdent leur grâce et leur force. A. Ce sont donc, monsieur, des beautés bien fragiles ; en les voulant toucher on les fait disparoître. J' aimerois bien mieux un discours qui eût plus de corps et moins d' esprit ; il feroit une forte impression, on retiendroit mieux les choses. Pourquoi parle-t-on, sinon pour persuader,pour instruire et pour faire en sorte que l' auditeur retienne ? |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:40 | |
| B. Vous me faites souvenir que j' ai lu cette dernière règle dans l' art poétique de M Boileau. A. Vous avez raison : c' est un homme qui connoît bien, non-seulement le fond de la poésie, mais encore le but solide auquel la philosophie, supérieure à tous les arts, doit conduire le poëte. B. Mais enfin, où me menez-vous donc ? A. Je ne vous mène plus ; vous allez tout seul : vous voilà arrivé heureusement au terme. Ne m' avez-vous pas dit que vous ne souffrez point dans votre république des gens oisifs qui amusent les autres, et qui n' ont point d' autre métier que celui de parler ? N' est-ce pas sur ce principe que vous chassez tous ceux qui représentent des tragédies, si l' instruction n' est mêlée au plaisir ? Sera-t-il permis de faire en prose ce qui ne le sera pas en vers ? Après cette sévérité, comment pourriez-vous faire grâce aux déclamateurs qui ne parlent que pour montrer leur bel esprit ? B. Mais les déclamateurs dont nous parlons ont deux desseins qui sont louables. A. Expliquez-les. B. Le premier est de travailler pour eux-mêmes : par là ils se procurent des établissements honnêtes. L' éloquence produit la réputation, et la réputation attire la fortune dont ils ont besoin. A. Vous avez déjà répondu vous-même à votre objection. Ne disiez-vous pas qu' il faut, non-seulement gagner sa vie, mais la gagner par des occupations utiles au public ? Celui qui représenteroit des tragédies sans y mêler l' instruction gagneroit sa vie ; cette raison ne vous empêcheroit pourtant pas de le chasser de votre république. Prenez, lui diriez-vous, un métier solide et réglé ; n' amusez pas les citoyens. Si vous voulez tirer d' eux un profit légitime, travaillez à quelque bien effectif, ou à les rendre vertueux. Pourquoi ne direz-vous pas la même chose de l' orateur ? B. Nous voilà d' accord : la seconde raison que je voulois vous dire explique tout cela.A. Comment? Dites-nous-la donc, s' il vous plaît. |
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| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:41 | |
| B. C' est que l' orateur travaille même pour le public. A. En quoi ? B. Il polit les esprits ; il leur enseigne l' éloquence. A. Attendez : si j' inventois un art chimérique, ou une langue imaginaire, dont on ne pût tirer aucun avantage, servirois-je le public en lui enseignant cet art ou cette langue ? B. Non, parce qu' on ne sert les autres qu' autant qu' on leur enseigne quelque chose d' utile. A. Vous ne sauriez donc prouver solidement qu' un orateur sert le public en lui enseignant l' éloquence, si vous n' aviez déjà prouvé que l' éloquence sert elle-même à quelque chose. à quoi servent les beaux discours d' un homme, si ces discours, tout beaux qu' ils sont, ne font aucun bien au public ? Les paroles, comme dit saint Augustin, sont faites pour les hommes, et non pas les hommes pour les paroles. Les discours servent, je le sais bien, à celui qui les fait ; car ils éblouissent les auditeurs, ils font beaucoup parler de celui qui les a faits, et on est d' assez mauvais goût pour le récompenser de ses paroles inutiles. Mais cette éloquence mercenaire et infructueuse au public doit-elle être soufferte dans l' état que vous policez ? Un cordonnier au moins fait des souliers, et ne nourrit sa famille que d' un argent gagné en servant le public pour de véritables besoins. Ainsi, vous le voyez, les plus vils métiers ont une fin solide : et il n' y aura que l' art des orateurs qui n' aura pour but que d' amuser les hommes par des paroles ! Tout aboutira donc, d' un côté, à satisfaire la curiosité et à entretenir l' oisiveté de l' auditeur ; de l' autre, à contenter la vanité et l' ambition de celui qui parle ! Pour l' honneur de votre république, monsieur, ne souffrez jamais cet abus.B. Eh bien ! Je reconnois que l' orateur doit avoir pour but d' instruire, et de rendre les hommes meilleurs. A. Souvenez-vous bien de ce que vous m' accordez là ; vous en verrez les conséquences. B. Mais cela n' empêche pas qu' un homme s' appliquant à instruire les autres ne puisse être bien aise en même temps d' acquérir de la réputation et du bien. A. Nous ne parlons point encore ici comme chrétiens ; je n' ai besoin que de la philosophie seule contre vous. Les orateurs, je le répète, sont donc, selon vous, des gens qui doivent instruire les autres hommes et les rendre meilleurs qu' ils ne sont : voilà donc d' abord les déclamateurs chassés. Il ne faudra même souffrir les panégyristes qu' autant qu' ils proposeront des modèles dignes d' être imités, et qu' ils rendront la vertu aimable par leurs louanges. B. Quoi ! Un panégyrique ne vaudra donc rien, s' il n' est plein de morale ? A. Ne l' avez vous pas conclu vous-même ? Il ne faut parler que pour instruire ; il ne faut louer un héros que pour apprendre ses vertus au peuple, que pour l' exciter à les imiter, que pour montrer que la gloire et la vertu sont inséparables : ainsi, il faut retrancher d' un panégyrique toutes les louanges vagues, excessives, flatteuses ; il n' y faut laisser aucune de ces pensées stériles qui ne concluent rien pour l' instruction de l' auditeur ; il faut que tout tende à lui faire aimer la vertu. Au contraire, la plupart des panégyristes semblent ne louer les vertus que pour louer les hommes qui les ont pratiquées, et dont ils ont entrepris l' éloge. Faut-il louer un homme ? Ils élèvent les vertus qu' il a pratiquées au-dessus de toutes les autres. Mais chaque chose a son tour : dans une autre occasion, ils déprimeront les vertus qu' ils ont élevées, en faveur de quelque autre sujet qu' ils voudront flatter. C' est par ce principe que je blâmerai Pline. S' il avoit loué Trajan pour former d' autres héros semblables à celui-là, ce seroit une vue digne d' un orateur. Trajan, tout grand qu' il est, ne devroit pas être la fin de son discours ; Trajan ne devroit être qu' un exemple proposé aux hommes pour les inviterà être vertueux. Quand un panégyriste n' a que cette vue basse de louer un seul homme, ce n' est plus que la flatterie qui parle à la vanité. |
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| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:41 | |
| B. Mais que répondrez-vous sur les poëmes qui sont faits pour louer des héros ? Homère a son Achille, Virgile, son énée. Voulez-vous condamner ces deux poëtes ? A. Non, monsieur : mais vous n' avez qu' à examiner les desseins de leurs poëmes. Dans l' Iliade, Achille est, à la vérité, le premier héros ; mais sa louange n' est pas la fin principale du poëme. Il est représenté naturellement avec tous ses défauts ; ces défauts mêmes sont un des sujets sur lesquels le poëte a voulu instruire la postérité. Il s' agit dans cet ouvrage d' inspirer aux grecs l' amour de la gloire que l' on acquiert dans les combats, et la crainte de la désunion comme de l' obstacle à tous les grands succès. Ce dessein de morale est marqué visiblement dans tout ce poëme. Il est vrai que l' Odyssée représente dans Ulysse un héros plus régulier et plus accompli ; mais c' est par hasard ; c' est qu' en effet un homme dont le caractère est la sagesse, tel qu' Ulysse, a une conduite plus exacte et plus uniforme qu' un jeune homme tel qu' Achille, d' un naturel bouillant et impétueux : ainsi Homère n' a songé, dans l' un et dans l' autre, qu' à peindre fidèlement la nature. Au reste, l' Odyssée renferme de tous côtés mille instructions morales pour tout le détail de la vie ; et il ne faut que lire, pour voir que le peintre n' a peint un homme sage, qui vient à bout de tout par sa sagesse, que pour apprendre à la postérité les fruits que l' on doit attendre de la piété, de la prudence et des bonnes moeurs. Virgile, dans l' énéide, a imité l' Odyssée pour le caractère de son héros : il l' a fait modéré, pieux, et par conséquent égal à lui-même. Il est aisé de voir qu' énée n' est pas son principal but ; il a regardé en ce héros le peuple romain, qui devoit en descendre. Il a voulu montrer à ce peuple que son origine étoit divine, que les dieux lui avoient préparé de loin l' empire du monde ; et par là il a voulu exciter ce peuple à soutenir, par ses vertus, la gloire de sa destinée. Il ne pouvoit jamais y avoir chez les païens une morale plus importante que celle-là. L' unique chose sur laquelle on peut soupçonner Virgile, est d' avoir un peu trop songé à sa fortune dans ses vers, et d' avoir fait aboutir son poëme à la louange, peut-être un peu flatteuse, d' Auguste et de sa famille. Mais je ne voudrois pas pousser la critique si loin. |
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| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:41 | |
| B. Quoi ! Vous ne voulez pas qu' un poëte ni un orateur cherche honnêtement sa fortune. A. Après notre digression sur les panégyriques, qui ne sera pas inutile, nous voilà revenus à notre difficulté. Il s' agit de savoir si les orateurs doivent être désintéressés. B. Je ne saurois le croire : vous renversez toutes les maximes communes. A. Ne voulez-vous pas que dans votre république il soit défendu aux orateurs de dire autre chose que la vérité ? Ne prétendez-vous pas qu' ils parleront toujours pour instruire, pour corriger les hommes, et pour affermir les lois ? B. Oui, sans doute. A. Il faut donc que les orateurs ne craignent et n' espèrentrien de leurs auditeurs pour leur propre intérêt. Si vous admettez des orateurs ambitieux et mercenaires, s' opposeront-ils à toutes les passions des hommes ? S' ils sont malades de l' avarice, de l' ambition, de la mollesse, en pourront-ils guérir les autres ? S' ils cherchent les richesses, seront-ils propres à en détacher autrui ? Je sais qu' on ne doit pas laisser un orateur vertueux et désintéressé manquer des choses nécessaires : aussi cela n' arrivera-t-il jamais, s' il est vrai philosophe, c' est-à-dire tel qu' il doit être pour redresser les moeurs des hommes. Il mènera une vie simple, modeste, frugale, laborieuse ; il lui faudra peu : ce peu ne lui manquera point, dût-il de ses propres mains le gagner, le surplus ne doit pas être sa récompense, et n' est pas digne de l' être. Le public lui pourra rendre des honneurs et lui donner de l' autorité ; mais s' il est dégagé des passions et désintéressé, il n' usera de cette autorité que pour le bien public, prêt à la perdre toutes les fois qu' il ne pourra la conserver qu' en dissimulant, et en flattant les hommes. Ainsi l' orateur, pour être digne de persuader les peuples, doit être un homme incorruptible ; sans cela, son talent et son art se tourneroient en poison mortel contre la république même : de là vient que, selon Cicéron, la première et la plus essentielle des qualités d' un orateur est la vertu. Il faut une probité qui soit à l' épreuve de tout et qui puisse servir de modèle à tous les citoyens ; sans cela on ne peut paroître persuadé, ni par conséquent persuader les autres. |
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| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:41 | |
| B. Je conçois bien l' importance de ce que vous me dites : mais, après tout, un homme ne pourra-t-il pas employer son talent pour s' élever aux honneurs ?A. Remontez toujours aux principes. Nous sommes convenus que l' éloquence et la profession de l' orateur sont consacrées à l' instruction et à la réformation des moeurs du peuple. Pour le faire avec liberté et avec fruit, il faut qu' un homme soit désintéressé ; il faut qu' il apprenne aux autres le mépris de la mort, des richesses, des délices ; il faut qu' il inspire la modestie, la frugalité, le désintéressement, le zèle du bien public, l' attachement inviolable aux lois ; il faut que tout cela paroisse autant dans ses moeurs, que dans ses discours. Un homme qui songe à plaire pour sa fortune, et qui par conséquent a besoin de ménager tout le monde, peut-il prendre cette autorité sur les esprits ? Quand même il diroit tout ce qu' il faut dire, croiroit-on ce que diroit un homme qui ne paroîtroit pas le croire lui-même ? |
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| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:41 | |
| B. Mais il ne fait pas de mal en cherchant une fortune dont je suppose qu' il a besoin. A. N' importe : qu' il cherche par d' autres voies le bien dont il a besoin pour vivre ; il y a d' autres professions qui peuvent le tirer de la pauvreté : s' il a besoin de quelque chose, et qu' il soit réduit à l' attendre du public, il n' est pas encore propre à être orateur. Dans votre république, choisiriez-vous pour juges des hommes pauvres, affamés ? Ne craindriez-vous pas que le besoin ne les réduiroit à quelque lâche complaisance ? Ne prendriez-vous pas plutôt des personnes considérables, et que la nécessité ne sauroit tenter ? B. Je l' avoue.
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| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:41 | |
| A. Par la même raison, ne choisiriez-vous pas pour orateurs, c' est-à-dire pour maîtres, qui doivent instruire, corriger et former les peuples, des gens qui n' eussent besoin de rien, et qui fussent désintéressés ? Et s' il y en avoit d' autres qui eussent du talent pour ces sortes d' emplois, mais qui eussent encore des intérêts à ménager, n' attendriez-vous pas à employer leur éloquence, jusqu' à ce qu' ils auroient leur nécessaire, et qu' ils ne fussent plus suspects d' aucun intérêt en parlant aux hommes ? B. Mais il me semble que l' expérience de notre siècle montre assez qu' un orateur peut parler fortement de morale,sans renoncer à sa fortune. Peut-on voir des peintures morales plus sévères que celles qui sont en vogue ? On ne s' en fâche point, on y prend plaisir ; et celui qui les fait ne laisse pas de s' élever dans le monde par ce chemin. |
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| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:42 | |
| A. Les peintures morales n' ont point d' autorité pour convertir, quand elles ne sont soutenues ni de principes ni de bons exemples. Qui voyez-vous convertir par là ? On s' accoutume à entendre cette description ; ce n' est qu' une belle image qui passe devant les yeux ; on écoute ces discours comme on liroit une satire ; on regarde celui qui parle comme un homme qui joue bien une espèce de comédie ; on croit bien plus ce qu' il fait que ce qu' il dit. Il est intéressé, ambitieux, vain, attaché à une vie molle ; il ne quitte aucune des choses qu' il dit qu' il faut quitter : on le laisse dire pour la cérémonie ; mais on croit, on fait comme lui. Ce qu' il y a de pis est qu' on s' accoutume par là à croire que cette sorte de gens ne parle pas de bonne foi : cela décrie leur ministère ; et quand d' autres parlent après eux avec un zèle sincère, on ne peut se persuader que cela soit vrai. B. J' avoue que vos principes se suivent, et qu' ils persuadent, quand on les examine attentivement : mais n' est-ce point par pur zèle de piété chrétienne, que vous dites toutes ces choses ? A. Il n' est pas nécessaire d' être chrétien pour penser tout cela : il faut être chrétien pour le bien pratiquer, car la grâce seule peut réprimer l' amour-propre ; mais il nefaut être que raisonnable pour reconnoître ces vérités-là. Tantôt je vous citois Socrate et Platon, nous n' avez pas voulu déférer à leur autorité ; maintenant que la raison commence à vous persuader, et que vous n' avez plus besoin d' autorités, que direz-vous, si je vous montre que ce raisonnement est le leur ? |
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| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:42 | |
| B. Le leur ? Est-il possible ? J' en serai fort aise. A. Platon fait parler Socrate avec un orateur, nommé Gorgias, et avec un disciple de Gorgias, nommé Calliclès. Ce Gorgias étoit un homme très-célèbre ; Isocrate, dont nous avons tant parlé, fut son disciple. Ce Gorgias fut le premier, dit Cicéron, qui se vanta de parler éloquemment de tout ; dans la suite, les rhéteurs grecs imitoient cette vanité. Revenons au dialogue de Gorgias et de Calliclès. Ces deux hommes discouroient élégamment sur toutes choses, selon la méthode du premier ; c' étoient de ces beaux esprits qui brillent dans les conversations, et qui n' ont d' autre emploi que celui de bien parler : mais il paroît qu' ils manquoient de ce que Socrate cherchoit dans les hommes, c' est-à-dire des vrais principes de la morale et des règles d' un raisonnement exact et sérieux. Après que l' auteur a bien fait sentir le ridicule de leur caractère d' esprit, il vous dépeint Socrate, qui, semblant se jouer, réduit plaisamment les deux orateurs à ne pouvoir dire ce que c' est que l' éloquence. Ensuite Socrate montre que la rhétorique, c' est-à-dire l' art de ces orateurs-là, n' est pas un art véritable : il appelle l' art une discipline réglée qui apprend aux hommes à faire quelque chose qui soit utile à les rendre meilleurs qu' ils ne sont . Par là il montre qu' il n' appelle arts que les arts libéraux, et que ces arts dégénèrent toutes les fois qu' on les rapporte à une autre fin qu' à former les hommes à la vertu. Il prouve que les rhéteurs n' ont point ce but-là ; il fait voir même que Thémistocle et Périclès ne l' ont point eu, et par conséquent n' ont point été de vrais orateurs. Il dit que ces hommes célèbres n' ont songé qu' à persuader aux athéniens de faire des ports, des murailles, et de remporter des victoires. Ils n' ont, dit-il, rendu leurs citoyens que riches, puissants, belliqueux, et ils en ont été ensuite maltraités : en cela ils n' ont eu que ce qu' ils méritoient. S' ils les avoient rendus bons par leur éloquence, leur récompense eût été certaine. Qui fait les hommes bons et vertueux est sûr, après son travail, de ne trouver point des ingrats, puisque la vertu et l' ingratitude sont incompatibles. Il ne faut point vous rapporter tout ce qu' il dit sur l' inutilité de cette rhétorique, parce que tout ce que je vous en ai dit comme de moi-même est tiré de lui ; il vaut mieux vous raconter ce qu' il dit sur les maux que ces vains rhéteurs causent dans une république. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:42 | |
| B. Je comprends bien que ces rhéteurs étoient à craindre dans les républiques de la Grèce, où ils pouvoient séduire le peuple et s' emparer de la tyrannie. A. En effet, c' est principalement de cet inconvénient que parle Socrate ; mais les principes qu' il donne en cette occasion s' étendent plus loin. Au reste, quand nous parlons ici, vous et moi, d' une république à policer, il s' agit, non-seulement des états où le peuple gouverne, mais encore de tout état, soit populaire, soit gouverné par plusieurs chefs, soit monarchique ; ainsi je ne touche pas à la forme du gouvernement : en tous pays les règles de Socrate sont d' usage. B. Expliquez-les donc, s' il vous plaît.A. Il dit que, l' homme étant composé de corps et d' esprit, il faut cultiver l' un et l' autre. Il y a deux arts pour l' esprit, et deux arts pour le corps. Les deux de l' esprit sont la science des lois et de la jurisprudence. Par la science des lois, il comprend tous les principes de philosophie pour régler les sentiments et les moeurs des particuliers et de toute la république. La jurisprudence est le remède dont on se doit servir pour réprimer la mauvaise foi et l' injustice des citoyens ; c' est par elle qu' on juge les procès et qu' on punit les crimes. Ainsi, la science des lois doit servir à prévenir le mal, et la jurisprudence à le corriger. Il y a deux arts semblables pour les corps : la gymnastique, qui les exerce, qui les rend sains, proportionnés, agiles, vigoureux, pleins de force et de bonne grâce ; vous savez, monsieur, que les anciens se servaient merveilleusement de cet art que nous avons perdu : puis la médecine, qui guérit les corps lorsqu' ils ont perdu la santé. La gymnastique est pour les corps ce que la science des lois est pour l' âme ; elle forme, elle perfectionne. La médecine est aussi pour le corps ce que la jurisprudence est pour l' âme ; elle corrige, elle guérit. Mais cette institution si pure s' est altérée, dit Socrate. à la place de la science des lois, on a mis la vaine subtilité des sophistes, faux philosophes qui abusent du raisonnement, et qui, manquant des vrais principes pour le bien public, tendent à leurs fins particulières. à la jurisprudence, dit-il encore, a succédé le faste des rhéteurs, gens qui ont voulu plaire et éblouir : au lieu de la jurisprudence, qui devoit être la médecine de l' âme, et dont il ne falloit se servir que pour guérir les passions des hommes, on voit de faux orateurs qui n' ont songé qu' à leur réputation. à la gymnastique, ajoute encore Socrate, on a fait succéder l' art de farder les corps, et de leur donner une fausse et trompeuse beauté : au lieu qu' on ne devoit chercher qu' une beauté simple et naturelle, qui vient de la santé et de laproportion de tous les membres ; ce qui ne s' acquiert et ne s' entretient que par le régime et l' exercice. à la médecine on a fait aussi succéder l' invention des mets délicieux et de tous les ragoûts qui excitent l' appétit des hommes ; et au lieu de purger l' homme plein d' humeurs pour lui rendre la santé, et par la santé l' appétit, on force la nature, on lui fait un appétit artificiel par toutes les choses contraires à la tempérance. C' est ainsi que Socrate remarquoit le désordre des moeurs de son temps ; et il conclut en disant que les orateurs, qui, dans la vue de guérir les hommes, devoient leur dire, même avec autorité, des vérités désagréables, et leur donner ainsi des médecines amères, ont au contraire fait pour l' âme comme les cuisiniers pour le corps. Leur rhétorique n' a été qu' un art de faire des ragoûts pour flatter les hommes malades : on ne s' est mis en peine que de plaire, que d' exciter la curiosité et l' admiration ; les orateurs n' ont parlé que pour eux. Il finit en demandant où sont les citoyens que ces rhéteurs ont guéris de leurs mauvaises habitudes, où sont les gens qu' ils ont rendus tempérants et vertueux. Ne croyez-vous pas entendre un homme de notre siècle qui voit ce qui s' y passe, et qui parle des abus présents ? Après avoir entendu ce païen, que direz-vous de cette éloquence qui ne va qu' à plaire et qu' à faire de belles peintures, lorsqu' il faudroit, comme il dit lui-même, brûler, couper jusqu' au vif, et chercher sérieusement la guérison par l' amertume des remèdes et par la sévérité du régime ? Mais jugez de ces choses par vous-même : trouveriez-vous bon qu' un médecin qui vous traiteroit s' amusât, dans l' extrémité de votre maladie, à débiter des phrases élégantes et des pensées subtiles ? Que penseriez-vous d' un avocat qui, plaidant une cause où il s' agiroit de tout le bien de votre famille, ou de votre propre vie, feroit le bel esprit et rempliroit son plaidoyer de fleurs et d' ornements, au lieu de raisonner avec force et d' exciter la compassion des juges ? L' amour du bien et de la vie fait assez sentir ce ridicule-là ; mais l' indifférence où l' on vit pour les bonnes moeurs et pour la religion fait qu' on ne le remarque point dans les orateurs, qui devroient être les censeurs et les médecins du peuple. Ce que vous avez vu qu' en pensoit Socrate doit nous faire honte. B. Je vois bien maintenant, selon vos principes, que les orateurs devroient être les défenseurs des lois, et les maîtresdes peuples pour leur enseigner la vertu ; mais l' éloquence du barreau chez les romains n' alloit pas jusque là. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 Mar 29 Jan - 10:42 | |
| A. C' étoit sans doute son but, monsieur : les orateurs devoient protéger l' innocence et les droits des particuliers, lorsqu' ils n' avoient point d' occasion de représenter dans leurs discours les besoins généraux x al 1 besoins généraux de la république ; de là vient que cette profession fut si honorée, et que Cicéron nous donne une si haute idée du véritable orateur. B. Mais voyons donc de quelle manière ces orateurs doivent parler ; je vous supplie de m' expliquer vos vues là-dessus. |
| | | | François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 1 | |
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