PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Le miracle de la pie II

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Le miracle de la pie  II Empty
MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Le miracle de la pie II   Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Le miracle de la pie  II Icon_minitimeDim 3 Fév - 16:25

II

Or, le saint jour de Pâques, maître Jacquet Coquetouille,
notable bourgeois de la ville, regardait par le trou d’un volet,
en sa maison, passer dans la rue montueuse les pèlerins
innombrables. Ils allaient, contents l’avoir gagné leur pardon;
et leur vue accrut grandement sa vénération pour la Vierge
noire. Car il estimait qu’une dame tant visitée devait être une
puissante dame. Il était vieux et n’avait plus d’espoir qu’en
Dieu. Encore doutait-il de son salut éternel, parce qu’il lui
souvenait l’avoir souvent dépouillé sans pitié la veuve et
l’orphelin. Il venait encore d’ôter à Florent Guillaume son
écrivinerie à l’enseigne Notre-Dame. Il prêtait à intérêt sur
bons gages. On n’en pouvait pas induire qu’il fût usurier,
puisqu’il était chrétien et que les Juifs seuls faisaient l’usure,
les Juifs, et, si l’on veut, les Lombards et les Cahorsins.
Jacquet Coquedouille en usait tout autrement que les Juifs. Il
ne disait pas, à la manière de Jacob, d’Ephraïm et de
Manasséi: « Je vous prête de l’argent. » Il disaiti: « Je mets
de l’argent dans votre négoce et trafic », ce qui était bien
différent. Car l’usure et le prêt à intérêt étaient interdits par
l’Église; mais le négoce était licite et permis. Et pourtant, à la
« Du lever au coucher du soleil. »
pensée qu’il avait réduit un grand nombre de chrétiens à la
misère et au désespoir, Jacquet Coquedouille éprouvait du
remords, pensant à la justice divine suspendue sur sa tête; et,
en ce saint jour de Pâques, il lui vint l’idée de s’assurer, pour
le Jugement dernier, la protection de Notre-Dame. Il pensait
qu’elle plaiderait pour lui, au tribunal de son divin Fils, s’il
lui donnait des épices. Il alla donc au grand coffre où son or
était renfermé, et après s’être assuré que sa porte était close,
il ouvrit le coffre plein d’angelots, de florins, d’esterlins, de
nobles, de couronnes d’or, de saluts d’or, d’écus au soleil et
de toutes monnaies chrétiennes et sarrasines. Il en tira en
soupirant douze deniers d’or fin qu’il mit sur la table toute
couverte de balances, de limes, de cisailles, de trébuchets et
de livres de comptes. Ayant refermé son coffre à triple clé, il
nombra les deniers, les renombra, les regarda longuement
avec amitié, et leur adressa des paroles tant suaves, polies,
accortes, humbles, gracieuses et courtoises, que c’était moins
langage humain que musique céleste.
« Oh.! petits agnels, soupirait le bon vieillard, oh.! mes
chers agnelets, oh.! mes beaux et précieux moutons d’or à la
grande laine. »
Et prenant les pièces entre ses doigts avec autant de
respect que si ç’eût été le corps de Notre-Seigneur, il les mit
dans la balance et s’assura qu’elles pesaient le poids, ou à
peu près, bien qu’un peu rognées déjà par les Lombards et les
Juifs aux mains desquels elles avaient passé.
Après quoi il leur parla plus doucement encore que
devanti:
« Oh.! mes gentils moutons, mes agneaux gentils, çà.!
que je vous tonde.! Vous n’en éprouverez nul mal. »
Et saisissant ses grands ciseaux, il rogna de-ci, de-là des
pièces d’or, comme il avait coutume de rogner toute pièce de
monnaie avant de s’en séparer. Et il recueillit soigneusement
les rognures dans une sébile déjà à demi pleine de petits
morceaux d’or. Il voulait bien donner douze agnelets à la
Sainte Vierge. Mais il ne se croyait pas dispensé d’agir selon
l’usage. Cela fait, il s’en fut quérir dans l’armoire aux gages
une petite bourse bleue, brodée d’argent, qu’une dame
loudière et meschinette lui avait laissée en sa détresse. Il
savait que le bleu et le blanc sont les couleurs de Notre-
Dame.
Ce jour-là et le suivant il n’en fit pas davantage. Mais
dans la nuit du lundi au mardi il eut des crampes et rêva que
des diables le tiraient par les pieds. Il tint ce songe pour un
avertissement de Dieu et de Notre-Dame, le médita, en son
logis, tout le long du jour, puis il s’en alla vers le soir porter
son offrande à la belle Dame noire.
Revenir en haut Aller en bas
 
Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Le miracle de la pie II
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Le miracle de la pie I
» Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Le miracle de la pie III
» Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Le miracle de la pie IV
» Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Le gab d’Olivier
» Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques Tournebroche. Frère Joconde

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: