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| Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane | |
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Auteur | Message |
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| Sujet: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:41 | |
| Mademoiselle Roxane Mon bon maître, M. l’abbé Jérôme Coignard, m’avait mené souper chez un de ses anciens condisciples qui logeait dans un grenier de la rue Gît-le-Coeur. Notre hôte, prémontré de grand savoir et bon théologien, s’était brouillé avec le prieur de son couvent pour avoir fait un petit livre des malheurs de mam’zelle Fanchon; en suite de quoi il était devenu cafetier à La Haye. De retour en France, il vivait péniblement des sermons qu’il composait avec beaucoup de doctrine et d’éloquence. Après le souper, il nous avait lu ces malheurs de mam’zelle Fanchon, source des siens, et la lecture avait duré assez longtemps; et je me trouvai dehors, avec mon bon maître, par une nuit d’été merveilleusement douce, qui me fit concevoir tout de suite la vérité des fables antiques qui se rapportent aux faiblesses de Diane, et sentir qu’il est naturel d’employer à l’amour les heures argentées et muettes. J’en fis l’observation à M. l’abbé Coignard, qui m’objecta que l’amour cause de grands maux. |
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| Sujet: Re: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:41 | |
| « Tournebroche, mon fils, me dit-il, ne venez-vous pas d’entendre de la bouche de ce bon prémontré que, pour avoir aimé un sergent recruteur, un commis de M. Gaulot, mercier à la Truie-qui-file, et M. le fils cadet du lieutenant criminel Leblanc, mam’zelle Fanchon fut mise à l’hôpital.? Voudriezvous être ce sergent, ce commis ou ce cadet de robe.? » Je répondis que je le voudrais. Mon bon maître me sut gré de cet aveu et il me récita quelques vers de Lucrèce pour me persuader que l’amour est contraire à la tranquillité d’une âme vraiment philosophique. |
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| Sujet: Re: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:41 | |
| Ainsi devisant, nous étions parvenus au rond-point du Pont-Neuf. Accoudés au parapet, nous regardâmes la grosse tour du Châtelet, noire sous la lune. « Il y aurait beaucoup à dire, soupira mon bon maître, sur cette justice des nations polies, dont les vengeances sont plus cruelles que le crime même. Je ne crois pas que ces tortures et que ces peines, qu’infligent des hommes à des hommes, soient nécessaires à la conservation des États, puisqu’on retranche de temps à autre quelqu’unes des cruautés légales, sans dommage pour la république. Et je devine que les sévérités qu’on garde ne sont pas plus utiles que n’étaient celles qu’on a abandonnées. Mais les hommes sont cruels. Venez, Tournebroche, mon ami; il m’est pénible de songer que des malheureux veillent sous ces murs dans l’angoisse et le désespoir. L’idée de leurs fautes ne m’empêche pas de les plaindre. Qui de nous est juste.? » |
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| Sujet: Re: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:41 | |
| Nous poursuivîmes notre chemin. Le pont était désert, à cela près qu’un mendiant et une mendiante s’y rencontrèrent. Ils se blottirent dans une des demi-lunes, sur le seuil d’une échoppe. Ils semblaient assez contents l’un et l’autre de mêler leurs misères et, quand nous passâmes près d’eux, ils songeaient à tout autre chose qu’à implorer notre charité. Pourtant, mon bon maître, qui était le plus pitoyable des hommes, leur jeta un liard qui demeurait seul dans la poche de sa culotte. « Ils recueilleront notre obole, dit-il, quand ils auront repris le sentiment de leur détresse. Puissent-ils alors ne pas se disputer cette pièce avec trop de violence. » Nous passâmes outre, sans plus faire de rencontre, quand, sur le quai des Oiseleurs, nous avisâmes une jeune demoiselle qui marchait avec une résolution singulière. Ayant hâté le pas pour l’observer de plus près, nous vîmes qu’elle avait une taille fine et des cheveux blonds dans lesquels se jouaient les clartés de la lune. Elle était vêtue comme une bourgeoise de la ville. |
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| Sujet: Re: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:41 | |
| « Voilà une jolie fille, dit l’abbé; d’où vient qu’elle se trouve seule dehors, à cette heure.? En effet, dis-je, ce n’est pas ce qu’on rencontre d’ordinaire sur les ponts après le couvre-feu. » Notre surprise se changea en une vive inquiétude quand nous la vîmes descendre sur la berge par un petit escalier fréquenté des mariniers. Nous courûmes à elle. Mais elle ne parut point nous entendre. Elle s’arrêta au bord des eaux qui étaient assez hautes, et dont le bruit sourd s’entendait à quelque distance. Elle demeura un moment immobile, la tête droite et les bras pendants, dans l’attitude du désespoir. Puis, inclinant son col gracieux, elle porta les mains à ses joues, qu’elle tint cachées durant quelques secondes sous ses doigts. Et tout de suite après, brusquement, elle saisit ses jupes et les ramena en avant du geste habituel à une femme qui va s’élancer. Mon bon maître et moi, nous la joignîmes au moment où elle prenait cet élan funeste, et nous la tirâmes vivement en arrière. Elle se débattit dans nos bras. Et comme la berge était toute grasse et glissante du limon déposé par les eaux (car la Seine commençait à décroître), il s’en fallut de peu que M. l’abbé Coignard ne fût entraîné dans la rivière. J’y glissais moi-même. Mais le bonheur voulut que mes pieds rencontrassent une racine qui me servit d’appui, pendant que je tenais embrassés le meilleur des maîtres et cette jeune désespérée. Bientôt, à bout de force et de courage, elle se laissa aller contre la poitrine de M. l’abbé Coignard, et nous pûmes remonter tous trois la berge. Il la soutenait délicatement, avec cette grâce aisée qui ne le quittait pas. Et il la conduisit jusque sous un gros hêtre au pied duquel était un banc de bois où il l’assit. Il y prit place lui-même. |
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| Sujet: Re: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:42 | |
| « Mademoiselle, lui dit-il, ne craignez rien. Ne dites rien encore, mais sachez qu’un ami est près de vous. » Puis, se tournant vers moi, mon maître me diti: « Tournebroche, mon fils, il faut nous réjouir d’avoir mené à bonne fin cette étrange aventure. Mais j’ai laissé làbas, sur la berge, mon chapeau, qui, bien que dépouillé de presque tout son galon et fatigué par un long usage, ne laissait point de garantir encore du soleil et de la pluie ma tête offensée par l’âge et les travaux. Va voir, mon fils, s’il se trouve encore à l’endroit où il est tombé. Et si tu l’y découvres rapporte-le-moi, je te prie, ainsi qu’une boucle de mes souliers, que je vois que j’ai perdue. Pour moi, je resterai près de cette jeune demoiselle et je veillerai sur son repos. » Je courus à l’endroit d’où nous venions et je fus assez heureux pour y retrouver le chapeau de mon bon maître. Quant à la boucle, je ne pus la découvrir. Il est vrai que je ne pris pas un extrême soin à la chercher, n’ayant vu, de ma vie, mon bon maître qu’avec une seule boucle de soulier. Quand je revins au hêtre, je trouvai la jeune demoiselle dans l’état où je l’avais laissée, assise, immobile, la tête appuyée contre l’arbre. Je m’aperçus qu’elle était parfaitement belle. Elle portait une mante de soie garnie de dentelles, et fort propre, et elle était chaussée d’escarpins dont les boucles reflétaient les rayons de la lune. Je ne me lassais pas de la considérer. Soudain, elle ranima ses yeux mourants et, jetant sur M. Coignard et sur moi un regard encore voilé, elle dit d’une voix éteinte, mais d’un ton qui me sembla celui d’une personne de qualitéi: « J’apprécie, messieurs, ce que vous avez fait pour moi dans un sentiment d’humanité; mais je ne puis vous en marquer mon contentement, car la vie à laquelle vous m’avez rendue est un mal haïssable et un cruel supplice. » En entendant ces paroles, mon bon maître, dont le visage exprimait la compassion, sourit doucement, parce qu’il ne croyait pas que la vie fût à jamais haïssable pour une si jeune et jolie personne. |
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| Sujet: Re: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:42 | |
| « Mon enfant, lui dit-il, les choses ne nous font point la même impression, selon qu’elles sont proches ou lointaines. Il n’est pas temps de vous désoler. Fait comme je suis et dans l’état où m’a réduit le temps injurieux, je supporte la vie où j’ai pour plaisirs de traduire du grec et de dîner quelquefois avec d’assez honnêtes gens. Regardez-moi, mademoiselle, et dites-moi si vous consentiriez à vivre dans les mêmes conditions que moi.? » |
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| Sujet: Re: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:42 | |
| Elle le regarda; ses yeux s’égayèrent presque, et elle secoua la tête. Puis, reprenant sa tristesse et sa désolation, elle diti: « Il n’y a pas au monde une créature aussi malheureuse que je suis. Mademoiselle, répondit mon bon maître, je suis discret par état et par tempérament; je ne chercherai point à vous tirer votre secret. Mais on voit clairement à votre mine que vous souffrez d’une peine d’amour. Et c’est un mal dont on réchappe, car j’en ai été moi-même atteint. Il y a de cela fort longtemps. » Il lui prit la main, lui donna mille témoignages de sympathie et poursuivit en ces termesi: « Je n’ai qu’un regret à cette heure, c’est de ne pouvoir vous offrir un asile pour passer le reste de la nuit. Mon gîte est dans un vieux château assez distant, où je traduis un livre grec en compagnie de ce jeune Tournebroche que vous voyez ici. » Coolmicro est un pervers. |
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| Sujet: Re: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:42 | |
| En effet, nous habitions alors chez M. d’Astarac, au château des Sablons, dans le village de Neuilly, et nous étions aux gages d’un grand souffleur qui périt, depuis, d’une mort tragique. « Si toutefois, mademoiselle, ajouta mon bon maître, vous saviez quelque lieu où vous pensiez pouvoir vous rendre, je serai heureux de vous y accompagner. » À quoi la jeune demoiselle répondit qu’elle était sensible à tant de bonté, qu’elle logeait chez une parente où elle était assurée d’entrer à toute heure, mais qu’elle n’y voulait point retourner avant le jour, tant pour n’y point troubler le sommeil des gens que par crainte d’être trop vivement rappelée à la douleur par la vue des objets qui lui étaient familiers.
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| Sujet: Re: Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane Dim 3 Fév - 16:42 | |
| En prononçant ces paroles, elle versa des larmes abondantes. Mon bon maître lui diti: « Mademoiselle, donnez-moi, s’il vous plaît, votre mouchoir et je vous en essuierai les yeux. Puis je vous conduirai, en attendant le jour, sous les piliers des Halles où nous serons assis commodément à l’abri du serein. » La jeune demoiselle sourit dans ses larmes. « Je ne veux point, dit-elle, vous donner tant de peine. Allez votre chemin, monsieur, et croyez que vous emportez toute ma reconnaissance. » Pourtant elle posa la main sur le bras que lui tendait mon bon maître et nous prîmes tous trois le chemin des Halles. La nuit s’était beaucoup rafraîchie. Dans le ciel qui commençait à prendre une teinte laiteuse, les étoiles devenaient plus pâles et plus légères. Nous entendions les premières voitures des maraîchers rouler vers les Halles au pas lent d’un cheval endormi. Parvenus aux piliers, nous prîmes place tous trois dans l’embrasure d’un porche à l’image Saint-Nicolas, sur un degré de pierre que M. l’abbé Coignard prit soin de recouvrir de son manteau, avant d’y faire asseoir la jeune demoiselle. Là, mon bon maître tint sur divers sujets des propos plaisants et joyeux à dessein, afin d’écarter les images funestes qui pouvaient assaillir l’âme de notre compagne. Il lui dit qu’il tenait cette rencontre pour la plus précieuse qu’il eût jamais faite dans sa vie, qu’il emporterait d’une si touchante personne un cher souvenir, sans vouloir lui demander son nom et son histoire. |
| | | | Anatole France (1844-1924) Les Contes De Jacques .Mademoiselle Roxane | |
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