L'heure du Souvenir
10 avril 1906
Dans l'aspect douloureux d'un sombre cimetière
Se dresse un monument dont la simplicité
Frappe tous les regards en ce lieu solitaire
Où le passant rêveur s'est souvent arrêté
Sur une croix de fer se lit une préface
Qui dit l'âge et le nom du mortel endormi
Dans ce séjour suprême où chacun a sa place
Où règne le silence et la mort et l'oubli
En lisant l'inconnu sent passer dans son âme
Un frisson de pitié et de grand désespoir
Vingt ans l'âge d'amour l'âge d'or de la femme
L'âge où le coeur n'est pas enveloppé de noir
L'âge du vrai bonheur de la folle jeunesse
L'âge où loin des soucis qu'enfantent certains jours
L'homme sait ignorer la brutale caresse
De la douce gaieté aux trompeuses amours
Mais pourquoi m'arrêter aux sentiments du monde
Associer mes pleurs aux larmes du passant
N'ai-je donc pas assez de ma douleur profonde
Pour insulter le Sort et blâmer le Néant
Oui ma douleur suffit à ma juste colère
Et le Temps qui s'envole emportant mes soupirs
N'adoucira jamais la fatale chimère
Qui vivra malgré tout dans mes grands souvenirs
Le soir je viens souvent consoler ma tristesse
Près de celle qui dort son éternel repos
Je crois la voir dans l'ombre où ma lourde détresse
Cherche un peu du Passé dans le sein des échos
J'interroge ces lieux où ma timide enfance
S'écoulait à l'abri des pleurs et des tourments
Sublime en son partage avec la bienveillance
D'une enfant comme moi plus vieille de deux ans
Mais la nature en deuil me répond plus étrange
Qu'au temps où le plaisir sur nos fronts innocents
Gravait son nom sacré comme l'âme d'un ange
Qui vole dans le ciel aux mystères si grands
La source qui s'écoule au sein de la prairie
Les arbres entassés dans la grande forêt
N'ont plus comme autrefois un air de féerie
Une voix qui troublait le rêveur indiscret
Il semble qu'un fléau caché dans les ténèbres
Veille sur les tombeaux des mânes endormis
Et d'un zèle expliqué en des plaintes funèbres
Il garde ces palais aux vivants interdits
Il semble que la nuit pour moi se fait plus sombre
Que ma douleur grandit l'image du passé
Il semble que tout meurt dans l'oubli et dans l'ombre
De ce que je réclame à mon rêve effacé
Je comprends le Destin a changé cette vie
Lui la cause du deuil des choses d'ici bas
Il a droit de frapper sans jamais que l'on crie
Son injuste courroux ne se conteste pas
Il commande au Trépas à la belle Nature
Inflexible et cruel il méprise le Bien
Il rit de la prière et du tendre murmure
Il est maître absolu, près de lui Tout est Rien.
Honoré HARMAND