Pour oublier
14 mai 1906
Pour oublier j'ai dans l'ivresse
Cherché le calme et la douceur
J'ai crû entrevoir ma détresse
Briller aux rayons du malheur
J'ai bu quelques verres d'absinthe
Et j'ai senti dans mon cerveau
L'Engourdissement de la plainte
Le plaisir dans un chant nouveau
J'ai bu de ce mauvais liquide
Qui détruit nos tempéraments
Le monde m'a semblé moins vide
Qu'au jour des découragements
J'ai bu en de larges rasades
Aux coupes de la volupté
Les heures m'ont semblé moins fades
Et le Temps plus précipité
J'ai crû déjà que l'Espérance
Dans mon coeur avait tout changé
Je n'ai plus senti ma souffrance
Et ce soir je n'ai pas pleuré
Mais l'ivresse s'est envolée
Le Temps a repris sa langueur
Et ma pauvre âme désolée
A frôlé l'aile du malheur
Le monde est devenu l'abîme
Que mes yeux ne voulaient plus voir
J'ai repris mon nom de victime
Que me donna le désespoir
J'ai rejeté bien loin mon verre
Où dort la désillusion
Et j'ai vu s'enfuir ma chimère
Dans les brouillards de l'horizon
Mon cerveau devenu lucide
A compris les lois de mon sort
Sur ma face creuse et livide
La vie a reflété la mort
Pour oublier loin de l'ivresse
Cherchant le calme et la douceur
J'ai fui méprisant la caresse
De l'absinthe au baiser moqueur.
Honoré HARMAND