Le poète mourrant
19 mai 1906
Le jour s'enfuit déjà et la nuit qui s'avance
Semble toucher le port
Où je vais méditer dans l'éternel silence
Les pages de la mort.
Pourquoi me rappeler à cette heure suprême
Mon souriant passé
Et revoir dans mon rêve une image que j'aime
Celle que j'ai pleurée.
Pourquoi me rappeler cet âge de la vie
Où tout n'est que bonheurs
Où le regret n'est pas où l'extase ravie
Passe loin des douleurs.
Pourquoi me rappeler les heures disparues
Les plus beaux de mes jours
Pourquoi revivre encor les gaietés entrevues
Les fragiles amours.
Mais puisque de mon coeur l'espérance est absente
Mes pleurs sont superflus
Mes rêves ont passé ainsi qu'une ombre errante
Ils ne sont déjà plus.
L'avenir m'apparaît triste et plein d'amertume
J'ai peur du lendemain
Le bonheur est fragile et son feu se consume
Sur le bord du chemin.
La fièvre me dévore et la mort me réclame
Je tremble sous mes pas
Mes doigts sont impuissants à dénouer la trame
Que mêle le trépas.
Puisque la vie hélas est une incertitude
Où l'homme doit vieillir
Pourquoi l'aimer encor vivre par habitude
Mieux vaut-il pas mourir.
Mieux vaut-il pas jeter au terme du voyage
L'ancre de son Destin
La vie est passagère et la mort n'a pas d'âge
Nous avons une fin.
Cette poésie est la rectification de l'heure suprême que j'avais faite l'an
dernier ; on peut voir par le style que je n'ai pas changé mon chemin. J'ai
toujours suivi la route garnie de ronces où se sont déchirées une à une toutes
mes espérances.
Honoré HARMAND