La légende du Poète
2 septembre 1906
Il était un poète incrédule et impie
Vivant au jour le jour sa misérable vie
Un de ces malheureux dont le Destin méchant
Guide le caractère aux ivresses du crime
Ebranle la Raison d'une faible victime
Innocente parfois comme un petit enfant
Lui parlait-on de Dieu il riait d'un fou rire
Parfois interrogeant ? Que voulez-vous me dire
Mais ce dieu qu'est-il donc ? Je ne le connais pas
Je ne l'ai sans mentir jamais vu sur mes pas
Je me rappelle bien au temps de mon enfance
On me parlait souvent de dame Providence
D'un dieu plus fort que nous, un habitant du Ciel
Qui, au dire du monde était l'Etre Eternel
J'ai grandi et depuis, allant à l'aventure
Je n'ai plus entendu parler de ce démon
Je ne crois qu'aux tableaux de la belle Nature
Le reste dans mon coeur n'a su fixer un nom.
Une nuit de Décembre une ombre miséreuse
Allait et revenait sur le bord du chemin
Sans doute était-ce un pauvre en sa harde frileuse
Tremblant. Il était jeune on eut dit un gamin
Venu là quémander le pain de la misère
Pour un frère malade ou bien pour une mère
En cette nuit glacée au fond d'un vieux taudis
Comptant des jours trop longs les dures exigences
Il tenait un cahier en ses doigts engourdis
Et ses yeux reflétaient l'image des souffrances
Qu'il devait concentrer tout au fond de son coeur
Chaque soir il venait, allant jusqu'à l'Eglise
Regardant le portail et la muraille grise
Etrange aux yeux de tous. Il semblait un rôdeur
Venu là pour tenter un mauvais coup à faire
Tout en lui respirait le doute et le mystère
Noël ! Et dans l'Eglise une sourde clameur
S'entendait. Une flamme illuminait le choeur
Noël ! C'était la fête et la réjouissance
Noël c'était de Dieu la sublime naissance
Les fidèles en foule accouraient dans la Nuit
Mais ils ne voyaient pas, à leurs côtés, sans bruit
Se glisser comme une ombre au sein noir des ténèbres
Le fantôme aperçu non sans mainte frayeur
Les soirs où du clocher les sons lents et funèbres
Exhalaient d'un grand jour le signe précurseur
Le poète était là. Pourquoi pour quelle cause
Dit un brave ouvrier, resté toujours croyant
A sa femme tremblante et jugeant plus prudent
De ne pas l'approcher. Il faut que je lui cause
Et sache qui il est ? Ajouta le vieux brave
Et vers notre poète avançant d'un air grave
Il dit ! Pardonnez-moi, mais que faites-vous là
Vous semblez regarder les portes de l'Eglise
Et dans vos yeux je vois comme une convoitise
De vous associer aux foules que voilà
Avez-vous peur d'entrer ? Quelle est votre croyance
Etes-vous protestant, catholique ou païen
Et l'autre de répondre, hélas ma conscience
Ne saura vous fixer car je ne crois à rien
Vous me semblez jouir des bienfaits de la Vie
Peut-être est-ce de Dieu que vous vient ce bonheur
Si je croyais ainsi sentir naître en mon coeur
Ce calme généreux qui flatte mon envie
J'irais à vos côtés et priant avec vous
J'entrerais à l'Eglise et dirais « Notre Père »
Comme je le faisais jadis avec ma mère
Et devant le lieu saint fléchissant les genoux
J'apprendrais à connaître et prier. Le brave homme
Interdit tout d'abord, ajouta mon enfant
Qu'importe qui tu sois de quel nom on te nomme
Tu crois, cela suffit, au coeur pour qu'il soit grand
Il entra, hésitant puis reprenant courage
Il avança craintif jusqu'au pied de l'Autel
Il sentit dans son coeur comme un bienfait du Ciel
Changer de son Destin la miséreuse image
Quel tableau saisissant le poète en haillons
S'agenouilla tout près de l'autel de la Vierge
Et de sa poche usée au degré des saisons
Il tira quelques sous, pour acheter un cierge
L'office commença ; d'un regard étonné
Il embrassa la foule et sur sa face blême
Un rayon de plaisir et de bonheur suprême
Passa furtivement, il était consolé
Le Prêtre récitait une longue prière
La foule recueillie en silence écoutait
Le Prêtre récitait et dans l'Eglise entière
Comme une seule voix la foule répondait
Une heure s'écoula, et dans la sombre église
Le silence reprit sa place au sein des nuits
La porte se ferma. Dehors le froide bise
Glaçait de son baiser les passants engourdis
Seul un homme restait l'âme contemplative
Assis sur les degrés de l'escalier tournant
Il avait d'un rêveur l'image fugitive
Et son corps se perdait dans un grand vêtement
Soudain une clarté étrange éblouissante
Troubla l'obscurité et l'on vit l'Eternel
Dans son char emporter la dépouille tremblante
Du poète incrédule aux royaumes du Ciel.
Honoré HARMAND