Le Poète et la Vie
23 novembre 1906
(Manque le début)
--------------
Comme un enfant sensible aux tristesses futiles
Pourquoi m'accuses-tu ? Quand de te contenter
A chaque instant du jour tu me vois m'efforcer
Suivant de tes désirs l'onde capricieuse.
Adoucissant la crainte en ton âme anxieuse
Rétablissant le calme au sein de tes tourments
Et chassant loin de toi les découragements.
Le Poète
Pourquoi à tes remords attacher le mensonge
Tout ce que tu promets est l'oeuvre d'un beau songe
Que le sommeil apporte aux ombres de la nuit
Et dont le règne meurt quand un beau soleil luit
Dans l'azur attendri des voûtes éternelles
Où le rêve s'efface où les choses réelles
Trompent notre espérance ainsi que nos projets
Où le plaisir vécu enfante les regrets
Voilà la vérité de tes vaines promesses
Notre coeur est grisé il croit à tes caresses
Il est fou de ta lèvre aussi de tes baisers
Il est avide aimant les plaisirs passagers
Mais tu caches ton âme à notre âme ingénue
Et n'oses à nos yeux te montrer toute nue.
La Vie
Poète écoute bien cette sage leçon
Tu me crois hypocrite et doutes de mon nom
Mais aux jours attristés quand tu vas l'âme en peine
Errant dans la forêt voulant briser la chaîne
Qui te retient captif et souffrant d'un long mal
Pourquoi me mépriser mon joug est moins brutal
Que celui de la Mort sanglante et meurtrière
Qui se rit de tes pleurs et sourde à ta prière
Entraîne dans sa nuit tout ce que tu aimais.
L'image que tes yeux ne reverront jamais
A cet instant suprême est plus belle et plus grande
Tu crois pour l'acheter qu'il suffit d'une offrande
Mais l'or est chose neutre aux guichets de la Mort
Et son prix est trop bas pour acheter le Sort.
Le Poète
Tu éloignes de nous le bienfait qu'on approche
Pourquoi à chaque chose attacher un reproche
Aujourd'hui le plaisir enfante pour demain
Un regret qui lui-même entraîna un chagrin
Et c'est ainsi toujours que glissant sur la pente
L'homme se voit tromper par tout ce qui le tente
Ici pour le griser tu fis naître l'amour
Là tu plaças l'oubli plus loin d'un autre atout
Le bonheur travesti ne semble pas le même
Malheur à celui là qu'une fièvre suprême
Poussera vers la source où les fous altérés
Apaiseront leur soif au feu des voluptés
Ils sentiront leur coeur par ton ivresse infâme
Consumer l'espérance et sa dernière flamme.
La Vie
Pourquoi douter ainsi de ce que je promets
A ceux pour qui la foi n'eut jamais de secrets
Ne te souviens-tu pas des heures expirées
Où tu croyais encor aux chansons bien aimées
Qu'on accorde le soir aux battements d'un coeur
Quand du soleil couchant la dernière lueur
S'efface à l'horizon en brumes violettes
En ce temps là Poète écrivant des bluettes
Où tu parlais de moi en mots élogieux
Réponds, comme aujourd'hui doutais-tu d'être heureux ?
Désaltère ta soif à mon onde limpide
Et quand tu pleureras devant ta coupe vide
Je te consolerai d'un suprême plaisir
Il me faut un instant à moi pour la remplir
Le Poète
Dis-tu vrai et nos coeurs de trop brusques alarmes
S'affectent-ils ainsi ? Est-il vrai que tes charmes
Ne tarissent jamais et que las de gémir
L'homme de sa blessure est certain de guérir
J'espère et de la foi écoutant la parole
Je chasse loin de moi le doute qui m'affole
Je ris à ton image à ton front radieux
Je reflète mon rêve à l'azur de tes yeux
Je t'aime et pour toujours j'adore ta chimère
Pardonnes si j'osais d'une injuste colère
Abhorrer ton principe et mépriser tes lois
Pardonnes si j'osais élever trop la voix
C'est que ton livre avait des pages arrachées
Comme les souvenirs au déclin des années.
Honoré HARMAND