Au collège de Nicolet
À l'occasion du centenaire de sa fondation
À l'âge où l'homme sent battre son coeur plus vite
Sous les souffles féconds du divin Floréal,
Où tout autour de lui le caresse et l'invite
A se laisser bercer dans un rêve idéal;
Où tout n'est qu'espérance, enivrement, aurore,
Où sous les purs rayons de l'horizon vermeil,
La vie ouvre son aile, et l'âme semble éclore
Comme une fleur céleste aux baisers du soleil; -
O Nicolet! à l'âge où l'on rit, où l'on aime,
Où l'on voit chaque jour passer devant ses yeux
Quelque lambeau doré de l'éternel poème
Que chante aux coeurs naïfs l'avenir radieux.
Un étranger, hélas! sevré de toute ivresse,
Jeune encore, et déjà désireux d'oublier,
Frêle épave échappée à la vague traîtresse,
Vint baiser en pleurant ton seuil hospitalier.
Son front avait longtemps ruisselé sous l'orage,
Ses pieds avaient rougi les cailloux du chemin,
Un vent d'épreuve avait désarmé son courage :
Quelqu'un qui l'aperçut vint lui tendre la main.
De profonds dévoûments nature inassouvie,
Le bon ange eut pour lui des mots réconfortants;
Et devant ce vaincu précoce de la vie,
Ta porte, ô Nicolet! s'ouvrit à deux battants.
Dans l'arche à la merci des flots noirs du déluge
La colombe rentrait avec son rameau vert;
C'était le port serein, l'asile, le refuge,
L'oasis émergeant des sables du désert.
Au lutteur épuisé la Paix offrait sa palme;
La douce quiétude avait enfin son tour;
Après les jours troublés une atmosphère calme
De généreux oubli, d'indulgence et d'amour!
Ô sainte Alma Mater, j'ai revu tes portiques
A tes enfants toujours si largement ouverts,
Ton site inoublié, tes abords poétiques,
Et tes vieux pins croulant sous l'assaut des hivers;
J'ai revu ton doux seuil, j'ai revu ta couronne
De parterres fleuris et d'odorants buissons,
Tes grands murs aux tons clairs et joyeux qu'environne
Un réseau de bosquets pleins d'ombre et de chansons;
J'ai revu ton clocher tout blanc que le ciel dore,
Ton antique chapelle où nous priions tout bas,
Et tes vastes préaux et ta salle sonore,
Complices journaliers de nos bruyants ébats;
Et quand de tes sentiers j'ai suivi les méandres
Dont les échos semblaient reconnaître ma voix,
Mille chuchotements familiers et tendres
Ont redit à mon coeur ces choses d'autrefois.
Ils m'ont redit tes soins, ta bonté maternelle,
Ton noble esprit vibrant en touchants unissons,
La douce paix des jours écoulés sous ton aile,
Tes exemples pieux et tes saintes leçons.
Et pourtant, évoqué par cette voix amie,
Nul de ces souvenirs l'un à l'autre lié
En moi n'a pu surprendre une fibre endormie :
Mon coeur reconnaissant n'avait rien oublié.
Non! et c'est là ma joie en ce beau jour de fête
De sentir, abrité de nouveau sous ton toit,
Que si de longs hivers ont neigé sur ma tête,
Ils n'ont rien refroidi de mon amour pour toi.
Ô mon vieux Nicolet! penche ton front, regarde
L'essaim de tes enfants sous tes yeux réuni :
Toutes les lèvres n'ont qu'un seul cri : Dieu te garde!
Il n'est dans tous les coeurs qu'un seul voeu : Sois béni!
Oui, sois bénie, ô Mère! Instruis, console et prie!
Que vers ton noble but rien n'entrave tes pas!
Enfante des héros pour la double Patrie :
La grande de là-haut et celle d'ici-bas!
Et moi, quand je verrai mon dernier soleil luire,
Que la mort m'étreindra dans son cercle étouffant,
Mon grand regret sera de ne pouvoir te dire;
- Le vieillard a payé la dette de l'enfant!