III
Mais pourras-tu suffire à cette tâche immense,
Patrie? Autour de toi les peuples en démence
N'entraveront-ils pas ton généreux élan?
Là-bas, aux bords du Rhin, le sabre du hulan
N'arrêtera-t-il pas ta poussée impuissante
Vers la terre promise où luit, incandescente,
L'aurore du progrès fraternel et fécond?
Te verra-t-on faiblir au bord du Rubicon?
Pour la première fois verrait-on, - ô souffrance! -
Les mots «vaincre ou mourir» t'intimider, ô France?
Non! quel que soit l'obstacle à franchir ou briser,
Ton bras sait entreprendre et ton coeur sait oser.
En avant donc! courage! entre dans la carrière;
Laisse les indécis regarder en arrière!
Toi, marche sans pâlir tout droit vers le grand but.
Pour le bonheur commun chacun son attribut :
Le tien, c'est d'affermir la nef européenne,
De retrouver l'Éden, de combler la Jéhenne,
De cimenter la paix entre tous les pouvoirs,
D'équilibrer partout les droits et les devoirs,
Aux rayons du progrès d'ouvrir toutes les caves,
D'apprivoiser les loups qui rodent les yeux caves,
Et, vers les grands sommets, dans les pures clartés
Que verse le soleil des saintes libertés,
- Sommets où l'avenir a taillé son domaine, -
De diriger enfin la caravane humaine.
Oh! la tâche est bien rude, et grave est le danger.
Je le sens, tu verras contre toi s'insurger
Avec les carnassiers leurs victimes sans nombre,
Les aveugles du jour et les hydres de l'ombre;
Tu verras contre toi combattre au premier rang
L'esclave armé qui sert de rempart au tyran.
La lutte sera trop inégale peut-être.
Sous l'effort combiné du despote et du reître,
Peut-être verras-tu s'éclipser ton grand nom,
Et s'effondrer au choc ta puissance... Mais non!
Tu sauras museler cette meute hagarde.
Marche sous l'oeil de Dieu qui là-haut te regarde;
Va vers ta destinée à n'importe quel prix;
Subis ta sainte loi: civilise... ou péris!
Oui, péris, s'il le faut, - pardonne à ce mot sombre! -
Ainsi qu'un grand navire incendié qui sombre,
Ou plutôt comme l'astre immense qui s'éteint,
Le soir, dans les brasiers de l'horizon lointain,
Drapé dans les replis d'une pourpre sanglante,
Et qui, longtemps après que sa masse aveuglante
S'est engloutie au loin dans les cieux entr'ouverts,
De ses rayons mourants dore encor l'univers!
Et puis si les hiboux disaient: -La France est morte!
On entendrait là-bas, de leur voix mâle et forte,
Nos enfants, relevant le drapeau des grands jours,
Crier au monde entier: -La France vit toujours !