Un soir au bord du lac Saint-Pierre
Souvenir de Nicolet
Doucement balancé par la brise mourante,
Le lac applanissait sa nappe transparente
Où déjà s'étendaient les ailes de la nuit;
Les échos se taisaient au fond du bois sauvage,
Et sur le sable du rivage,
Le flot venait mourir sans bruit.
La lune déployait sa chevelure blonde
Et ses tremblants reflets se déroulaient sur l'onde
Comme un ruban d'argent sur un voile d'azur;
La brise caressait la mobile ramée,
Et son haleine parfumée
S'endormait avec le flot pur.
Enfin, c'était à l'heure où la verte ramure
Mêle aux accents du soir un suave murmure,
Où la feuille frissonne aux baisers du zéphir;
À l'heure où des ondins la troupe se rassemble;
À l'heure où chaque étoile tremble
Dans une vague de saphir.
Fuyant des vains plaisirs les coupes délirantes,
J'aimais à contempler les ondes murmurantes,
Ou les flots sommeillant dans le calme des nuits;
J'aimais à m'égarer dans les bois, sur les grèves,
Laissant au loin flotter mes rêves,
Ce baume des tristes ennuis.
J'avais vu du soleil la brûlante crinière,
Ainsi qu'un char de feu dans une immense ornière,
S'engouffrer au Couchant dans un océan d'or;
J'avais vu de la nuit se déployer les voiles,
Et son diadême d'étoiles
Sur son front scintillait encor.
Et j'errais sur la rive, admirant en silence,
Les reflets chatoyants du flot qui se balance
Et glisse en ondulant sur le sable doré;
Et d'un roseau flexible armant mon doigt timide,
Je gravais sur l'arène humide
Les lettres d'un nom adoré.
Un nom plus enivrant que le bruit des fontaines;
Plus suave qu'un chant sur les vagues lointaines;
Plus doux que les échos d'un bois mystérieux;
Qui surpasse en beauté le chant de Philomèle
Dont la voix chaque soir se mêle
Au bruit des flots harmonieux.
Nom plus mélodieux que l'onde sur la grève;
Plus doux qu'un chant d'amour entendu dans un rêve
Plus pur que le soupir d'un enfant qui s'endort;
Nom plus harmonieux que le vol d'un archange;
Plus doux que les accents d'un ange
Qui chante sur sa lyre d'or!
Mais comme un vent léger sur la molle pelouse,
Passant et repassant, une vague jalouse,
De son onde venait aussitôt l'effacer;
Je le gravais encor; mais la vague suivante
Détruisait la lettre mouvante
Que je venais de retracer.
Voilà, pensais-je alors, les rêves du jeune âge!
Un songe qui s'enfuit; la feuille qui surnage
Et disparaît bientôt parmi les flots mouvants;
La trace du proscrit sur la terre étrangère;
Une ombre, une vapeur légère
Qu'emporte le souffle des vents!
Riante illusion bientôt évanouie;
Pauvre fleur qu'une aurore a vue épanouie,
Et qui penche, le soir, son calice flétri;
Fantôme décevant; souriante chimère;
Sylphe dont l'image éphémère
S'envole après avoir souri!
Qu'est-ce donc, ô mon Dieu! qu'est-ce donc que la vie,
Ce banquet séduisant où notre âme ravie
Porte une lèvre avide aux coupes des amours?...
C'est un nom qu'une main a tracé sur le sable
Et qu'une lame insaisissable
Efface et détruit pour toujours!...