Jolliet
DÉCOUVERTE DU MISSISSIPI
I
Le grand fleuve dormait couché dans la savane.
Dans les lointains brumeux passaient en caravane
De farouches troupeaux d’élans et de bisons.
Drapé dans les rayons de l’aube matinale,
Le désert déployait sa splendeur virginale
Sur d’insondables horizons.
Juin brillait. Sur les eaux, dans l’herbe des pelouses,
Sur les sommets, au fond des profondeurs jalouses,
L’Été fécond chantait ses sauvages amours.
Du Sud à l’Aquilon, du Couchant à l’Aurore,
Toute l’immensité semblait garder encore
La majesté’ des premiers jours.
Travail mystérieux! Les rochers aux fronts chauves,
Les pampas, les bayous, les bois, les antres fauves,
Tout semblait tressaillir sons un souffle effréné;
On sentait palpiter les solitudes mornes,
Comme an jour où vibra, dans l’espace sans bornes,
L’hymne du monda non veau-né.
L’Inconnu trônait là dans sa grandeur première.
Splendide, et tacheté d’ombres et de lumière,
Comme un reptile immense au soleil engourdi,
Le vieux Meschacébé, vierge encor de. servage,
Dépliait ses anneaux do rivage en rivage
Jusques aux golfes du Midi.
Echarpe de Titan sur le globe enroulée,
Le grand fleuve épanchait sa nappe immaculée
Des régions de l’Ourse aux plages d’Orion,
Baignant le steppe aride et les bosquets d’orange,
Et mariant ainsi, dans un hymen étrange,
L’Equateur au Septentrion.
Fier de sa liberté, fier de ses flots sans nombre,
Fier du grand pin touffu qui lui verse son ombre,
Le Roi-des-Eaux n’avait encore, en aucun lieu
Où l’avait promené sa course vagabonde,
Déposé le tribut de sa vague profonde,
Que devant le soleil et Dieu!...