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| Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:36 | |
| Rappel du premier message :
Chapitre II
Après ces quelques lignes consacrées à ceux dans l'ombre de qui se hasardèrent mes premiers pas dans la vie, et ces quelques coups de crayon donnés à la description du foyer où s'abrita mon enfance, il me reste à décrire un peu le canton et le milieu où s'écoulèrent mes dix premières années. Un court tracé topographique d'abord. La partie de Lévis qui se déroule en amont du fleuve, depuis la gare de l'Intercolonial, à l'endroit qu'on appelle encore le « Passage », se divise en deux portions distinctes : les « Chantiers », et « sur les Côtes ».
Ces deux appellations indiquent suffisamment la position respective des lieux relativement à la haute falaise qui longe le Saint-Laurent dans cette partie de son cours, pour qu'il n'y ait aucun besoin d'insister. Je l'indique seulement parce que jamais deux populations de caractère plus différent ne se sont côtoyées de si près.
Sur la Côte, un grand chemin bordé de belles fermes, demeures de cultivateurs à l'aise, de « gros habitants », comme on disait alors. Au bas de la falaise, le long de la rive du fleuve, les « Chantiers », c'est-à-dire une longue suite
Dernière édition par Plume Incarnadine le Mer 5 Juin - 11:44, édité 1 fois |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:38 | |
| Cette histoire d'amour, Baptiste Lachapelle l'avait chantée lui-même, dans une de ses complaintes dont il était à la fois le poète et le musicien. Cette complainte de Baptiste Lachapelle n'était autre chose qu'une naïve ballade racontant une de ces éternelles infidélités du coeur, toujours les mêmes et pourtant toujours nouvelles; une de ces banalités de l'existence qui, cependant chez certaines âmes assez imprudentes pour mettre, suivant l'expression populaire, tous leurs oeufs dans le même panier équivalent à des catastrophes. Je l'avais entendu chanter cette complainte, par les travailleurs du chantier, mais surtout par la petite bonne Madeleine, dont j'ai parlé plus haut, et qui possédait une voix tout particulièrement adaptée à ce genre de mélodies, dont la monotonie rêveuse et traînante parle si éloquemment aux sentiments des populations naïves. Plusieurs fois je l'avais entendue fredonner:
C 'est Baptiste Lachapelle Des beaux pays lointains; Il aimait la plus belle... Hélas! cruel destin!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:39 | |
| Et chaque fois, cela m'avait rendu songeur. J'aurais voulu, moi aussi, être un Baptiste Lachapelle quelconque, fier coureur d'aventures, aimer la plus belle, et payer au prix des plus cruels destins l'honneur de voir mon nom figurer à la rime dans quelque chanson de village modelée par cette voix douce et triste de la petite bonne. En attendant, je caressais au moins ce rêve voir Baptiste Lachapelle « des beaux pays lointains ». Un soir, une grande et belle cage avait fait son entrée dans l'anse, et jugez de mon émoi, lorsque j'entendis un de nos voisins dire: - C'est Baptiste Lachapelle, sûr et certain! Je l'ai entendu chanter au large, et j'ai bien reconnu sa voix, allez! On conçoit la folle envie qui me passa par la tête. Or je suppliai tant ma grand'mère que, quelques instants après, muni de mille recommandations prudentes, je partais pour la cage, à la garde et sous la protection du voisin, qui avait affaire au «bourgeois », je ne sais plus pour quel marché de provisions de bouche. Le brave homme voulait me donner la main pour m'aider à sauter d'un crib à l'autre, et à franchir l'espace libre entre chaque dame de bôme; inutile. J'avais le pied aussi leste que lui, autant d'expérience pour le moins, et j'arrivai le premier sur la fameuse cage commandée par Baptiste Lachapelle. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:40 | |
| Le souper venait de se terminer autour d'un foyer large de dix pieds au moins, au milieu duquel une vaste marmite pendait au crochet d'une chèvre rustique; et les hommes en chemises rouges comme toujours allumaient leurs pipes avec des tisons, et commençaient la causerie du soir, leurs faces sombres et leur groupe pittoresque s'éclairant aux lueurs intermittentes du foyer avec des effets de clair-obscur à réjouir l'oeil de Callot ou de Rembrandt. Baptiste Lachapelle était debout, les bras croisés. Je le reconnus tout de suite; il n'y avait pas à s'y tromper. C'était un bel homme de haute taille, à l'air singulièrement imposant et distingué. Il était brun, avec des yeux très doux et très profonds sous leurs arcades sourcilières, dont la ligne horizontale indiquait une grande force de volonté et de pénétration. La tête nue laissait voir, dans l'envolée des cheveux flottants, un galbe fier parfaitement en harmonie avec le profil du visage, qui, aux lueurs du foyer, se dessinait comme une médaille de bronze avec une remarquable pureté de lignes. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:40 | |
| Tout cela est resté aussi fidèlement gravé dans ma mémoire que si j'avais vu l'homme hier. D'un air distrait, il regardait les bûches calcinées jeter leur dernier éclat sur les profondeurs noires du dehors. Cette attitude méditative ne me surprit pas; je trouvais mon héros tel que je me l'étais figuré. La conversation entre lui et notre voisin ne fut pas longue. Deux mots, et marché conclu. - Gadoury! appela Baptiste Lachapelle, sur un ton qu'aurait envié le Monte-Cristo d'Alexandre Dumas, apportez ici un verre de rhum. Vous ne refuserez pas la petite goutte de l'amitié, n'est-ce pas? ajouta-t-il en se retournant vers son interlocuteur. Celui-ci j'aime à lui rendre ce témoignage ne se fit pas prier. Ils trinquèrent. -C'est votre fils? demanda Baptiste Lachapelle en m'indiquant du doigt. Je rougis jusqu'aux oreilles, naturellement. -Non, monsieur, répondit notre voisin, c'est un bonhomme que sa grand'mère m'a confié; il pleurait à chaudes larmes pour vous voir. -Vraiment, mon brave! fit l'homme en me posant la main sur la tête. Pourquoi désirais-tu me voir? -Pour vous entendre chanter votre chanson, répondis-je en balbutiant.
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:41 | |
| -Ma chanson? eh bien, ma foi, je vais te la chanter en effet, mon ami. Tu me fais plaisir, assieds-toi là! Et pendant que les « hommes de cage », à la nouvelle que le « bourgeois » allait chanter, se rangeaient respectueusement autour de lui, Baptiste Lachapelle avec un regard à mon adresse que je vois encore entonnait gravement, et sur un ton pour moi inoubliable, le couplet dont j'ai cité plus haut la première moitié:
C 'est Baptiste Lachapelle Des beaux pays lointains; Il aimait la plus belle... Hélas! cruel destin! Écoutez son histoire, Et rapp 'lez-vous toujours Qu'il ne faut jamais croire Aux serments des amours!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:41 | |
| Cette voix d'un timbre riche et puissant, pleine d'ampleur et de portée sonore, où, par intervalles, un léger tremblement ajoutait je ne sais quelle singulière expression à la phrase musicale, m'impressionna plus que je ne saurais dire. Les longues finales traînantes, auxquelles, de temps à autre, une note d'agrément à peine perceptible prêtait un charme d'attendrissement indéfinissable, allaient s'éteindre sous les grandes falaises sombres, éveillant au loin de petits échos perdus, doux et affaiblis comme les souvenirs mélancoliques que l'aile du temps efface ou emporte avec elle. J'étais bien jeune alors six ans peut-être je n'avais pas encore, cela va sans dire, entendu aucun chanteur sérieux; je ne savais même pas ce que c'était que la poésie et la musique. Eh bien, j'ai beau me faire ces réflexions, je ne puis parvenir à me persuader à moi-même que je n'ai pas entendu, ce soir-là, un grand poète et un grand artiste. L'enthousiasme me tenait réellement aux cheveux lorsque le chanteur reprit:
Adieu, mère! adieu, père! Adieu, tous mes amis! Je suis au désespoire (sic) De quitter mon pays Destinée importune, C'est ainsi qu'il nous faut Aller chercher fortune Dans les pays d'en haut! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:41 | |
| Il va sans dire que je n'ai pu retenir toute la chanson, qui était longue. Le sens, ou plutôt les phases du récit seules car c'était un récit me sont restées à la mémoire. Les adieux
de Baptiste Lachapelle à sa bien-aimée avaient été touchants. Elle lui avait juré éternelle fidélité:
Adieu, mon ami tendre! Adieu, mon tendre amour! Je jure de t 'attendre D 'ici à ton retour! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:41 | |
| Mais la douce promesse n'avait pas résisté à l'absence. Pendant que le jeune amoureux parcourait les régions reculées du Nord-Ouest à la recherche de cette fortune qu'il rêvait pour sa fiancée, celle-ci, en femme pratique, avait pris le parti le plus sûr, celui d'épouser un marchand cossu de son village. À cette époque, on ne savait pas lire, encore moins écrire. Du reste, la poste, dans les prairies sauvages surtout, laissait à désirer. En sorte que, le jour où, trois ans après son départ Baptiste Lachapelle reparaissait dans son village pour déposer aux pieds de l'infidèle le fruit de ses courses et de son labeur, il tombait juste au milieu de la noce. Le coeur brisé, il repartit le soir même. Ce dernier couplet dit ses adieux à celle qui l'avait trahi:
Adieu, cruelle amie Qui brisas mon destin! Je vais passer ma vie Dans les pays lointains. Et Baptiste Lachapelle, Grâce à toi, pour toujours, Vivra dans la tristesse, Sans joie et sans amours! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II Mer 5 Juin - 11:41 | |
| Songeons que cet homme ne savait pas lire! Où avait-il pris cette flamme poétique, cette profondeur de sentiment, cette intuition de l'idéal, cet instinct du beau artistique qui se font jour dans ces couplets informes, et plus encore dans l'air que son étonnant talent musical leur avait adapté! Qui le dira? Quoi qu'il en soit, le souvenir de cet homme étrange m'a trotté dans la tête toute ma vie. |
| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre II | |
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