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| Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III | |
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Invité Invité
| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III Mer 5 Juin - 11:45 | |
| Chapitre III
Parlons encore un peu de ce type étrange aujourd'hui disparu, ou à peu près, dont David Barbin était le prototype, Baptiste Lachapelle l'héroïque exception, et dont, pour une grande partie, se composait la population de ce quartier de la Pointe-Lévis qu'on appelait les « Chantiers ». Qu'on me laisse d'abord raconter une autre anecdote qui, bien qu'elle ne se soit pas passée dans notre canton, fait singulièrement ressortir la physionomie de cette classe d'individus à laquelle celui-ci empruntait son principal cachet. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III Mer 5 Juin - 11:45 | |
| À l'époque où la capitale du Dominion ne s'appelait que Bytown, et où la ville de Hull consistait en quelques bâtisses groupées aux abords du pont des Chaudières, il y avait, dans les environs, sur la rive bas-canadienne de la rivière Ottawa, une chapelle qu'on appelait la « Chapelle des voyageurs », et qui était desservie par un Père oblat du nom de Reboul. Le bon missionnaire ne recrutait pas ses ouailles parmi un troupeau d'élite; mais il avait du zèle, et réussissait quelquefois à attirer à ses sermons quelques-uns de ces égarés de la civilisation, qui, passant six mois de l'année dans les bois, et six mois de l'année sur les cages et dans les cabarets, n'avaient guère le temps de s'instruire plus en religion qu'en autre chose. Un jour un Vendredi saint il prêchait la Passion devant une assistance émue, parmi laquelle se distinguait un groupe de trois ou quatre « chemises rouges », dont la « candeur naïve » prêtait une attention tout particulièrement soutenue aux paroles du prédicateur. Celui-ci y allait du plus beau de son éloquence; et l'intérêt surexcité des nouveaux paroissiens se manifestait surtout chez l'un d'eux, évidemment un peu plus éméché que ses camarades. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III Mer 5 Juin - 11:45 | |
| A chaque mouvement plus ou moins pathétique de l'orateur, il se trémoussait sur son siège, et ses voisins étaient obligés de le retenir par la manche pour l'empêcher de laisser éclater trop bruyamment son intérêt. Au récit des outrages prodigués au divin Sauveur, ses muscles se crispaient, et son entourage l'entendait mâchonner les jurons les mieux constitués de son répertoire. Enfin, il n'y peut plus tenir; les bourreaux enfonçaient des clous dans les pieds et les mains du crucifié; tout à coup il se dresse sur ses pieds, et laissant retomber un formidable coup de poing sur son prie- Dieu: - Torrieux d'un nom! s'écrie-t-il d'une voix de stentor, y avait donc pas un homme de Sorel là!... N'est-ce pas identiquement l'exclamation rajeunie du fier Sicambre: « Que n'étais-je là avec mes Francs! » Le fait est que ces hommes de chantiers étaient presque tous de braves gens au fond. Ils étaient beaucoup plus fanfarons que méchants. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III Mer 5 Juin - 11:45 | |
| Leur apparence de brutalité, leur langage trivial, leurs imprécations blasphématoires, leurs airs de matamores et de casseurs de mâchoires, c'était de la pose la plupart du temps. Tel individu, qui avait toujours sa hache à la main ne parlant rien moins que d'éventrer tout le monde, ne se serait pas pardonné d'écraser la patte d'un chien. Aussi, n'étaient-ils pas plus tôt rentrés au foyer de la famille, après le départ de leurs « associés » des paroisses d'en haut, que ceux de ma connaissance se transformaient comme par enchantement. Ils allaient à confesse, faisaient leurs pâques, avec une amende honorable à la croix de tempérance; et désormais plus de querelles ni menaces, ni vantardises ni défis, ni interminables ribambelles de jurons! Plus même de chemises rouges ni de ceintures fléchées. Le bohême nouveau genre avait laissé tomber sa fantasque défroque, pour revêtir le costume et les allures de tout le monde: il était rentré dans le prosaïsme de l'existence. Il était redevenu travailleur régulier; et la gaffe du flotteur ou la hache de l'équarrisseur à la main, il gagnait la vie de sa famille de la façon la plus bourgeoise du monde, ne conservant de ses voyages qu'une manière de s'exprimer tout particulièrement pittoresque, avec un mépris hautain et gouailleur pour tout ce qui sentait l'habitant. C'est surtout sous ces dehors et cette physionomie spéciale que je les ai vus de près. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III Mer 5 Juin - 11:46 | |
| Tous apportaient à leur chantier une petite chaudière en fer-blanc contenant leur repas du midi; et, au coup de canon tiré de la citadelle de Québec, ils laissaient tomber leur instrument de travail, s'asseyaient sur un plançon ou sur une bille, happaient rapidement leur pitance, et puis allumaient leurs pipes et se mettaient à causer ou à raconter. Accidents, batailles, légendes, récits fantastiques, prouesses de toutes sortes, il y avait de quoi frapper une imagination moins vive que la mienne. J'écoutais tout avec une telle intensité d'attention que ces braves gens avaient fini par me prendre en amitié, et racontaient un peu, je crois, pour me faire plaisir. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III Mer 5 Juin - 11:46 | |
| Par parenthèse, je dois leur rendre cette justice que jamais aucun de ces personnages à réputation plus ou moins suspecte, cependant, ne s'est permis en ma présence un seul mot qui pût blesser l'oreille la plus délicate d'un enfant de mon âge. Il en était de même, du reste, à toutes les réunions dont je parlerai dans un instant. Un jour, un des bômiers s'était permis de lâcher un juron frisant le blasphème. - Voyons, toi, s'écria un de ses camarades plus âgés, t'as assez sacré dans le bois cet hiver, repose-toi cet été! Et tout le monde d'applaudir. Celui qui donnait ainsi une leçon de bienséance chrétienne à un camarade trop peu scrupuleux, c'était Joe Violon Joe Violon le conteur, dont quelques-uns des récits ont déjà amusé ceux qui me lisent. C'était un type très remarquable que celui-là... Dans son état civil, il s'appelait Joseph Lemieux; dans la paroisse il se nommait José Caron; et dans les chantiers, il était universellement connu sous le nom de Joe Violon. D'où lui venait ce curieux sobriquet? c'est plus que je ne saurais dire. Il se faisait déjà vieux quand je l'ai connu, et il était loin de s'imaginer que j'évoquerais sa mémoire plus d'un demi- siècle après sa mort. C'était un grand individu dégingandé, qui se balançait sur les hanches en marchant, hâbleur, ricaneur, goguenard, mais assez bonne nature au fond pour se faire pardonner ses faiblesses. Et, au nombre de celles-ci bien que le mot faiblesse ne soit peut-être pas parfaitement en situation il fallait compter au premier rang une disposition, assez forte au contraire, à lever le coude un peu plus souvent qu'à son tour. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III Mer 5 Juin - 11:46 | |
| Il avait passé sa jeunesse dans les chantiers de l'Ottawa, de la Gatineau et du Saint-Maurice; et si vous vouliez avoir une belle chanson de cage ou une bonne histoire de cambuse, vous pouviez lui servir deux doigts de jamaïque, sans crainte d'avoir à discuter sur la qualité de la marchandise qu'il vous donnait en échange. On ferait un gros volume avec toutes les histoires que j'ai entendu raconter à Joe Violon. Souvent, les soirs d'automne et d'hiver car Joe Violon n'allait plus « en hivernement » il y avait veillée de contes chez quelque vieux de notre voisinage, et nous allions écouter les récits du vétéran des chantiers, dont le style pittoresque nous enthousiasmait. Je dis nous, car, comme on le pense bien, il n'était pas question pour moi d'assister à ces réunions sans être bien et dûment chaperonné. (Ces fonctions importantes incombaient généralement à ce frère d'adoption dont j'ai déjà parlé, c'està-dire à John Campbell, qui était connu dans tout le canton sous le nom de Johnny Camel, et qui par une heureuse coïncidence aimait les histoires presque autant que moi.) L'été, ces réunions avaient plus d'attraits encore. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III Mer 5 Juin - 11:46 | |
| À quelques arpents en aval de chez nous, dans un enfoncement de la falaise encadré de noyers gigantesques, dans un site qui aurait pu faire le sujet d'un charmant tableau, il y avait un four à chaux, dont le feu dans la période de la cuisson, bien entendu s'entretenait toute la nuit. (Ce four à chaux appartenait à notre plus près (sic) voisin un Monsieur Houghton ami de mon père, et dont j'aurai l'occasion de parler plus d'une fois.) Les abords en étaient garnis de bancs de bois; et c'était là qu'avaient lieu les rendez-vous du canton pour écouter le narrateur à la mode. Quand les sièges manquaient, on avait tôt fait d'en fabriquer à même des longs quartiers de bois destinés à entretenir la fournaise ardente, |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III Mer 5 Juin - 11:47 | |
| Là, dès la brune, on arrivait par escouades: les femmes avec leur tricot, les hommes avec leurs pipes, les cavaliers avec leurs blondes bras dessus bras dessous, la joie au coeur et le rire aux dents. Chacun se plaçait de son mieux pour voir et pour entendre; les chauffeurs fourgonnaient la flambée en faisant jaillir des gerbes d'étincelles, et bourraient la gueule du four d'une nouvelle attisée de bois sec; les pétillements de la braise résonnaient comme des décharges de mousqueterie; et c'était un vrai spectacle que toutes ces figures rieuses sur lesquelles, au fond de cet entonnoir sombre, la grande bouche de flamme jetait alternativement ses lueurs douces ou ses fulgurantes réfractions, tandis que l'ombre des chauffeurs se dessinait tragique et géante sur l'immense éventail lumineux projeté dans le lointain. Un étranger, qui aurait aperçu cela en passant sur le fleuve, aurait cru assister à quelque diabolique fantasmagorie, à quelque évocation mystérieuse du domaine féerique. Ne me demandez pas si l'on se sent poète à ces moments- là! Mais ce n'était pas là les seuls éléments d'inspirations que me valait la situation exceptionnelle des lieux où s'est écoulée ma première enfance. J'y reviendrai. |
| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre III | |
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